Mort de l'opposant historique : Aït Ahmed ou la fin d'une illusion démocratique (I)

Aït Ahmed porté par son peuple vers sa dernière demeure.
Aït Ahmed porté par son peuple vers sa dernière demeure.

Voici que le dernier des libérateurs de l’Algérie qui vient à mourir, voici que le premier opposant à la dictature d'Alger qui tire sa révérence.

Hocine Aït Ahmed, pendant plus de 70 ans de combat politique aura été celui qui n'a cessé de croire et de militer d'abord pour une Algérie libre, ensuite plurielle, progressiste et démocratique. Le sort et la real politique en ont voulu autrement. Ait Ahmed est mort avant que la dictature ne tombe et avant que "son" Algérie ne se démocratise, bien au contraire ! Avec la disparition du fondateur de l'OS et du FFS, c'est l'illusion, tant entretenue par des générations de militants enfants du leader historique, qui disparaît définitivement.

Qui mieux qu'Aït Ahmed incarnait cet idéal d'un changement démocratique en Algérie et d'une rupture sans cassure face à l'hégémonie coloniale avant l'indépendance et celle dictatoriale post indépendance ? Dans les années 1940, Hocine Aït Ahmed, jeune lycéen qui descend des montagnes de Kabylie pour poursuivre des études à Alger, rejoint le cercle militant de son lycée et se propulse déjà dans les premiers rangs et en 1947, il contestait même la main mise de Messali Hadj sur les organes du PPA/MTLD. Dans un rapport adressé au chef, le jeune militant préconisait la collégialité de la décision politique et la rectitude dans l'organisation. Ce «lèse-majesté» a valu tout simplement la mise à l'écart de la tête de l'OS, organisation paramilitaire imaginée et conçue par Hocine Aït Ahmed pour préparer l’insurrection armée contre l'ordre colonial. Ait Ahmed est remplacé par Belouizdad pour "berbérisme", lui qui s'est clairement démarqué des militants berbéristes et n'a jamais dénoncé les liquidations qui ont suivi la crise anti-berbériste de 1949. "je préférais une Algérie arabe à une Algérie française" alors que «je savait qu'ils étaient nombreux parmi nous à préférer une Algérie française à une Algérie berbère» confessa plus tard. La messe est dite et cette logique auto-négationniste, Hocine Aït Ahmed va la suivre jusqu'à son dernier souffle.

Après que Ben Bella, son meilleur ennemi, le dénonça en 1951 suite au cambriolage de la poste d'Oran, l'OS est démantelée et ses membres sont arrêtés. Parmi eux Abane Ramdane, futur leader de la révolution algérienne, Aït Ahmed, quant à lui, s'enfuit en Égypte. En 1954, Ait Ahmed est parmi les 9 «enfants de la Toussaint» à déclencher la guerre du 1 Novembre et un an plus tard, il internationalise la cause algérienne à Bandung avant d'ouvrir la représentation diplomatique algérienne à New York, au siège de l'ONU. Dans un avion qu'il l'acheminait du Maroc vers Tunis, Aït Ahmed et ses 5 compagnons sont victimes du premier détournement d'avion commis par l'aviation française. Ils seront incarcérés jusqu'en 1962.

Suite au coup d’État du Clan de Oujda contre le GPRA (Gouvernement algérien provisoire), Aït Ahmed refuse de rejoindre le bureau politique constitué par Ben Bella et démissionne de toutes ses fonctions pour soutenir les opposants au putsch militaire, il dénonce «le fascisme» du duo Ben Bella/Boumediene. L’été 1962 consacre l'instauration de la dictature érigée par l’Armée des frontières qui remporte la bataille du pouvoir contre le GPRA. Un an plus tard, l'opposant Ait Ahmed fonde le Front des forces socialistes et organise un maquis en Kabylie pour contrecarrer la dictature et revendiquer le pluralisme politique. Les tentatives de fédérer d'autres opposants en dehors de la Kabylie est vouée à l’échec et la lutte du FFS sera décimée. Comme en 1947 Ait Ahmed est accusé de "régionalisme"» et après les geôles d'Aulnoy et d'Alger, AïtAhmed sera contraint à l'exil en 1966.

En 1980, lors des événements du Printemps berbère et face à un journaliste français qui posait la question de l'autonomie de la région de Kabylie, bastion du FFS et de la revendication culturelle berbère, Aït Ahmed refuse le fait accompli et réclame l'autonomie «pour toute l’Algérie», il réitère l'idéal pour lequel il s'est engagé 35 ans auparavant à savoir une Algérie libre et démocratique. Son appel resta vain et les étudiants berbéristes qui dénonçaient l'interdiction d'une conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle furent arrêtés et différés devant la cour de sûreté de l’État. En 1985, Hocine Aït Ahmed enterre la hache de guerre avec son meilleur ennemi, celui qui l'a embastillé en 1964 et tué 400 de ses anciens compagnons pour lancer «l'appel de Londres» pour une ouverture politique en Algérie. La stratégie était de réunir deux opposants historiques au régime du président Chadli, un Kabyle et un Arabe afin de «réunifier le peuple» et imposer le multipartisme. L'appel ne sera pas suivi d'effet mais il coûtera très cher au FFS. L'avocat Ali Mecili, derrière les contacts entre Ait Ahmed et Ben Bella est exécuté par la sécurité militaire algérienne à Paris en 1987. Dans son combat politique, Hocine Aït Ahmed a souvent tourné le dos à sa région natale, la Kabylie, pour ne pas apparaître "seulement"» kabyle mais comme un leader politique national voire international malgré les assauts répétitif du régime algérien contre la région et sa culture.

En 1989 et à la faveur de l'ouverture politique, l'intraitable opposant rentre en Algérie après 25 ans d'exil et en 1991, face au raz-de-marée islamiste, Ait Ahmed, fidèle à lui-même et à son idéal, a appelé, en organisant des marches grandioses à Alger et en Kabylie pour la poursuite du processus électoral qui a vu le FIS remporter la quasi totalité des municipalités en Algérie, à l'exception de la région de Kabylie, et une majorité absolue au sein du nouveau parlement qui venait d’être élu. La junte au pouvoir ne l'a pas entendu et le pays sombra dans une guerre civile atroce qui coûtera la vie à des centaines de milliers de citoyens et des dizaines d'intellectuels furent abattus. En 1994, la région rebelle de Kabylie, sous la houlette du Mouvement culturel berbère, rentre en dissidence avec le régime algérien, qui impose l'Arabe comme seule langue du pays et instaure l'islam comme religion d’État, et un million d'écoliers et d'étudiants Kabyles boycottent l'école algérienne pour revendiquer l'officialisation de la langue berbère, authentique de l'Afrique du Nord. Dans une ultime tentative pour arrêter la spirale de la violence entre militaires et islamistes, Hocine Aït Ahmed réussit à réunir toute la classe politique algérienne civile autour d'un compromis politique qui rejette la violence et consacre l’alternance au pouvoir, ce fut "Le Contrat de Rome", contrat paraphé en 1995 sous l'égide de l'église catholique de Sant Egidio en Italie. Il est rejeté en bloc par le régime militaire algérien qui organise la même année une élection présidentielle pour plébisciter le général Zéroual à la tête de l’État. C'est juste après cette période que l’Algérie commence à connaître les massacres de masse dans les villes de l'intérieur et la généralisation de la violence. Suite à l'assassinat du grand chanteur Kabyle Lounes Matoub en 1998, la Kabylie s'embrase encore une fois pour réclamer la vérité et la condamnation des commanditaire et c'est le FFS qui appela au calme. Ahmed Djeddai, secrétaire national du parti de l'époque a rencontré le général Zéroual et a réclamé "des élections transparentes". A suivre

Ahviv Mekdam

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Commentaires (5) | Réagir ?

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fateh yagoubi

merci

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gtu gtu

merci

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