Ainsi parlait Nna Zara Zora

La femme algérinne, le souffre-douleur de l'homme
La femme algérinne, le souffre-douleur de l'homme

Quand vous rencontrez Nna Zara Zora, vous serez surpris par sa voix qui porte loin malgré son âge ; un âge qu’on ne peut définir avec certitude. Et on n’a d’ailleurs pas envie de le lui demander, elle se serait sans doute fâchée.

J’ai pensé aller chercher cette femme au fin fond d’un pays lointain, ou dans une de ces grandes villes où avaient fleuri les lettres et les sciences, mais non ! On m’a dit que cette femme est de chez nous, elle a un parcours comme une ascension ou un pèlerinage. Chaque jour elle traverse Alger comme un train, des trois horloges jusqu’au bout de la rue Didouche, en passant par la place des martyrs.

Il a fait très chaud cet été-là, j’avais l’impression d’être à Timimoun, et je commençais à regretter d’être venu cette année pour passer ma semaine de congé à Alger. Mais derrière ce semblant d’excuse caniculaire, rôdait ma déception de n’avoir pas rencontré la femme pour laquelle je suis en vérité venu jusqu’ici.

Il ne se passait pas grand-chose et cela n’augurait rien de bon. J’ai marché des trois horloges jusqu’à la fac. J’étais épuisé. Je me suis mis à l’ombre, assis, pour prendre ma respiration et soulager mes jambes, quand j’ai cru entendre quelqu’un qui sortait un souffle lent et régulier. J’ai tourné la tête et j’ai vu une dame, comment vous dire ? Vieille ? Oui ! Quel âge ? Je ne sais pas. Son âge m’est resté à ce jour insaisissable. Le visage avait certes les rides de la vieillesse, mais le regard était pénétrant comme celui d’un enfant. Elle m’a regardé puis elle a tourné la tête. Un temps après elle m’a dit sans me regarder :

- Vous êtes un fils ou un mari ?

Sa voix était sincère, sinon je l’aurai pris pour quelqu’un qui délire. J’ai mis du temps à lui répondre et, pendant ce temps, elle patientait. J’ai cru la distraire alors j’ai répondu nonchalamment :

– Peut-on être les deux au même temps ?

Son air a pris de la colère :

– Vous ne comprenez pas le langage de chez nous ou quoi ?

Alors j’ai répondu sans réfléchir que j’étais un fils. J’ai pensé que la discussion allait être coupée net, mais sans compter sur l’ardeur de cette dame dont j’examinais maintenant la robe chamarrée. Sa voix m’a fait sursauter :

– Vous n’êtes pas le seul à venir me voir mais, moi, je ne suis pas venue pour vous.

J’ai compris à ce moment que c’était bien la femme que je cherchais depuis lundi et nous étions jeudi 5 octobre 19..

J’étais conscient que le temps m’était compté, mais je ne savais pas par où commencer. De plus, une jeune femme était venue se mettre avec nous, ce qui n’a pas facilité ma tâche. Mais je vous assure, rien dans cette scène n’était prévu. N’na Zara Zora s’est détourné de moi et elle s’est adressé à la jeune femme.

– Savez-vous, lui dit-elle, que tout le monde vous attend ?

La jeune femme sursauta en scrutant les alentours. Personne ne la regardait ni même ne la voyait.

– Ne soyez pas surprise, la rassura la vieille dame, vous les voyez mais eux vous entendent. Regardez tous ces hommes ! Tous ont peur, mais vous, vous êtes une femme et une femme n’a pas la même peur. La peur est un défaut chez l’homme mais une vertu chez la femme. C’est vous qui allez réveiller tout ce beau monde qui dort. Donner un bon coup dans la fourmilière !

– Je ne sais pas, répondit faiblement la jeune femme.

Nna Zara Zora se tourna complètement vers elle et la secoua légèrement comme pour lui signifier qu’elle était éveillée et qu’elle ne rêvait pas.

– Pourquoi croyez-vous que l’homme passe avant vous ? Hein, dites-moi ! Y a t-il une raison ?

La femme répondit non de la tête.

–Alors, poursuivit la vieille dame, vous êtes malade car l’homme que vous suivez au pas est malade, vous pensez être lâche parce que cet homme l’est. Prenez les choses dans l’autre sens. C’est vous qui fabriquez ces hommes, bons ou méchants. C’est vous qui leur apprenez la liberté ou la soumission, la foi ou la superstition, la science ou l’ignorance ; ils tètent dans vos gros seins. Alors faites attention à ce que vous mettez dans ces bouches assoiffées.

La femme tremblait de surprise. Elle me regarda et je n’osais rien dire. J’étais comme suffoqué et paralysé par la peur.

– Dites-vous que l’avenir de tous ces gens est entre vos mains, poursuivit Nna Zara Zora. Oui entre vos mains. Celles-ci ! Et lui prit les deux mains, les souleva pour les lui montrer. Les bras tremblaient jusqu’aux épaules. Elle les laissa tomber et la jeune femme ne réagit plus. Ses bras chutèrent comme un morceau de bois.

– Vous n’avez plus de force, lui dit alors Nna Zara Zora, vous n’avez plus de courage, vous n’avez plus d’espoir, comment voulez-vous qu’on retrouve alors du courage, de la force et de l’espoir dans ces seins. Et elle lui écrasa les deux seins. La jeune femme gémit. Et où voulez-vous que l’homme aille chercher son courage, sa force et son espoir si ce n’est là. Et elle tapait si fort sur les seins que la femme pleurait.

– Pleurez ! lui dit la vieille dame, mais après avoir sorti tout le mal de la soumission, du désespoir, de la faiblesse, du semblant d’ignorance, de la superstition, de l’abandon, de l’échec, de la mauvaise pitié, du manque d’amour, de la haine,… vous serez beaucoup mieux. Recommencez alors vos rêves en partant du point zéro. Prenez votre chemin, seule d’abord, sans l’homme et, quand il saura que vous êtes convaincue, que vous ne risquez pas de rebrousser chemin, il vous suivra, il n’aura pas le choix, il a plus besoin de vous que vous avez besoin de lui.

Elle dit cela et lui tapota ensuite sur l’épaule pour lui signifier que c’était le moment de partir. Elle la poussa avec une légèreté incroyable, mais avec une telle force que la jeune femme se mit debout et marche. J’allais me lever pour partir quand Nna Zara Zora me retint.

– Pas tout de suite, me dit-elle avec une douceur maitrisée, attends qu’elle s’éloigne, que ta vue se brouille.

Quand la jeune femme avait disparu de ma vue, Nna Zara Zora me dit d’un air soulagé :

– Va maintenant ! Suis-la ! Cherche-là. C’est elle ton avenir !

A. Hédir

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Commentaires (3) | Réagir ?

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fateh yagoubi

merci

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