L'Etat despotique, entre légendes et réalités (II)

Les janviéristes qui ont ramené Bouteflika au pouvoir ont fait les frais de leurs compromissions.
Les janviéristes qui ont ramené Bouteflika au pouvoir ont fait les frais de leurs compromissions.

Un évènement majeur qui a marqué l’actualité nationale et internationale et qui mérite d’être rappelé et apprécié à sa juste valeur.

La leçon à retenir de l’affaire Tiguentourine

En relation avec le fil directeur qui anime cette contribution, la problématique de la construction de l’Etat moderne et de son autorité dans la société reviennent avec force et au premier plan, à chaque fois qu’on aborde, à bâtons rompus, des problèmes sécuritaires, économiques, de violence scolaire, de prise en charge des enfants diabétiques ou de corruption, mais qui restent sans solution et qu’on recherche la "solution commune", la "clé", qui sont articulés à tous ces problèmes de fond de notre société en mutation. L’affaire du site gazier de Tiguentourine qui n’a pas livré tous ses secrets constitue, à notre avis, une rupture manifeste, violente, contre la cohérence et la centralité de l’Etat national. Sans revenir aux faits qui sont, sur l’essentiel, connus de tous, on peut considérer que par rapport aux missions du DRS, cet évènement majeur exprime, au-delà des luttes de clans et des manipulations internes ou externes, de graves erreurs professionnelles.

L’appréciation peut-être difficile, car c’est le propre des Etats despotiques, du moins, dans le cas algérien. Des dirigeants qui s’affirment patriotes et qui se situent au-dessus de la loi, fonctionnent et évoluent dans l’interpénétration des structures officielles et informelles dans le fonctionnement de l’état et des jeux de rôle correspondants. C’est ce qui explique, aussi, qu’il n’y a pas eu, à notre connaissance, de sanctions rendues publiques contre les responsables concernés, comme dans les états de droit. Mais, à notre avis, la principale leçon à tirer de cet évènement tragique est que les responsables algériens aient évité le piège de l’internationalisation de cet évènement et l’intervention des parties étrangères. Cet évènement est chargé de la plus grande alerte pour la refondation de l’Etat républicain, en particulier dans un contexte régional plein de risques et d’exigences qui vont se renouveler, à l’avenir, sous différentes formes, ne constituant, dans la meilleure des hypothèses, que des pressions sur le noyau de l’ANP qui résiste fortement à l’intervention étrangère dans les affaires internes des pays, à la participation de notre armée à des conflits internes de pays voisins et à l’implantation de bases militaires étrangères sur le sol de l’Algérie.

Les janviéristes : sursaut patriotique et absence de projet républicain

Le 11 janvier 1992, est une date historique. Les militaires janviéristes ont, dans un sursaut patriotique, préservé l’état algérien de tomber entre les mains d’un pouvoir théocratique, aventurier. A ce titre, la société ne peut que leur être reconnaissante. Par quels cheminements, les institutions de l’état et les services de sécurité, dont les capacités d’anticipation se sont subitement atrophiées, sont arrivés à cette impasse de société où l’initiative a presque échappé des mains de l’état. Dans un moment historique où des «amateurs», des personnalités non imprégnés de la culture de l’état, c’est le moins qu’on puisse dire, ont voulu négocier un projet de société. Des questionnements et des interrogations de fond qui ne peuvent que nous mener vers la question centrale, celle des incohérences dans le pilotage de l’état.

Toute l’expérience algérienne valide le principe général, universel, dans la construction de la république moderne, que la mission de l’institution militaire ne peut, dans les moments de crise, qu’accompagner cette période tumultueuse, même progressivement, vers un Etat de droit, un état civil qui consacre la primauté du civil sur le militaire, un principe énoncé dans la plate-forme de la Soummam, en 1956, qui explicite la nature de l’Etat :"C’est enfin la lutte pour la renaissance d’un Etat algérien sous la forme d’une république démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues".

Avec le recul, on peut affirmer que le noyau des janviéristes n’a pas produit des élites imprégnées de la culture républicaine (de façon dominante), ni de personnalités charismatiques, des leaders qui cristallisent le large courant patriotique et républicain. Ce noyau n’avait donc pas cette grande ambition de continuer de construire le projet inachevé d’un état moderne, républicain. Pour preuve, Boudiaf, un des pères de la Révolution algérienne qui a su capter l’intérêt et les aspirations de la jeunesse et projetait avec une équipe dont le leader syndical Abdelhak Benhamouda, a été assassiné par «le système». C’est assez significatif et très révélateur que le groupe des janviéristes n’avait pas l’ambition d’opérer des ruptures dans le fonctionnement général de l’état et de projeter sa refondation, de le moderniser, alors que la crise qui a mis à nu les incohérences du système de gestion et de gouvernance des institutions stratégiques de l’état, constituait un signal d’alerte fort qui appelait à traiter la crise systémique dans ses racines.

Si le groupe des janviéristes n’a pas su maintenir sa cohésion politique, s’est disloqué et a perdu l’initiative historique, c’est précisément parce que ses ambitions, sa perspective stratégique était de courte vue. On sait, maintenant, le recul aidant et avec des données précises et dans une claire configuration politique, sur quoi a débouché ce sursaut patriotique qui, rappelons-le, était soutenu par un large front patriotique, de partis démocratiques et de gauche, des personnalités et des syndicalistes, tous rassemblés dans le Comité National de Sauvegarde de l’Algérie (CNSA) et à qui nous rendons un grand hommage. Cette alliance entre des officiers supérieurs patriotes et un large mouvement démocratique, républicain, constituait le socle sur lequel devait se construire, la République sociale, le rêve de plusieurs générations de chouhadas, de militants et d’intellectuels patriotes. Pourquoi ce projet n’a pas suffisamment muri, dans le cadre de la crise d’Etat ? Où situer les faiblesses ? A notre avis, les jeunes officiers supérieurs, la nouvelle génération (qui viennent généralement des couches populaires), qui sont constamment en contact avec le monde extérieur et ses transformations, formés dans les grandes écoles et sensibles aux problèmes liés à la modernisation de l’état et de la société, qui supportent l’essentiel de la charge de travail, aux différents échelons de l’ANP et des services de sécurité, ont un rôle à jouer, dans la modernisation de l’état et dans la réappropriation des valeurs et principes de Novembre. C’est, dans ce cadre précis d’analyse et d’évaluation, qu’il s’agit de situer le rôle joué par le groupe des officiers supérieurs de l’ANP et du général Toufik. Et non dans des récits fantastiques de rivalités personnelles, des énigmes de romans policiers ou des histoires mystérieuses.

C’est un échec, pouvons-nous conclure, du système politique, en tant que tel. Autrement dit, ce système n’est pas réformable et a épuisé toutes ses «ressources» et possibilités de reproduction. Tous les indicateurs économiques, sociaux sont au rouge et expriment, historiquement, la fin de ce «système», de ce mode de gouvernance, d’utilisation et de répartition des ressources de la nation. Un tel système est en totale inadéquation avec les besoins urgents, émergents et vitaux de la société moderne. Toutes les tentatives de débureaucratiser l’appareil de l’état, de combattre les réseaux de la corruption ou de relancer, stratégiquement, le secteur économique productif n’ont pas réussies parce qu’elles n’ont pas pris comme postulat de départ que c’est le politique qui est déterminant, en dernière instance, dans la résolution de la crise de l’Etat.

Les dossiers de corruption sont toujours un sujet sensible dans la société parce que, justement, ils concernent la moralisation et la crédibilité des institutions de l’état. Les dossiers de corruption que font sortir les services du DRS, dans des moments sensibles, sont utilisés dans les luttes de clans et de positionnement dans les structures de l’état, comme un moyen de pression et de chantage et où les services de sécurité sont «juge et partie», alors que dans une république de droit, toute l’enquête sur les dossiers de corruption, est sous l’autorité de la justice. Et, c’est à la justice de trancher, en dernière instance. C’est dans la logique de ce système que des organes de contrôle aussi importants que la cour des comptes ou l’Inspection Générales des Finances, soient marginalisés et que leur personnel ne bénéficie pas de toute la considération professionnelle et des moyens nécessaires à leur mission. Le tableau serait incomplet, si on ne rappelle pas cette incohérence structurelle du système qui, malgré le dispositif juridique décidé par le gouvernement, dans son intention de lutter contre la corruption, maintient toujours son refus de délivrer l’agrément à l’association nationale de lutte contre la corruption, pourtant reconnue, au niveau internationale.

Dans un contexte international d’intégration des économies et du développement des réseaux mafieux et de la spéculation, l’état devrait protéger ses fonctionnaires et cadres par une législation appropriée. En faisant en sorte que les membres du gouvernement, les principaux responsables militaires, le personnel diplomatique et d’une manière générale, le personnel qui représente l’état, ne possèdent pas d’intérêts financiers, ou seraient liés au milieu des affaires dans les pays étrangers, ce qui deviendrait non conforme à leur mission professionnelle et affecterait la moralité et la crédibilité de l’état. Le mieux, est que cette mesure soit une disposition constitutionnelle.

Dans ce moment d’évaluation, il faut noter un aspect essentiel de cette évolution tragique pilotée par les janviéristes, en alliance avec d’autres forces au pouvoir dont le général Mediene était un de leur leader, qui a débouché sur des "compromis contre-nature", comme ce fut les cas des 3e et 4e mandats. Dans cette évaluation, on peut s’interroger sur ce qui amené les forces dites patriotiques, à réaliser un consensus contre les intérêts supérieurs de la nation, en adoptant le projet de loi relatif aux hydrocarbures et la tentative de privatisation de Sonatrach, la plus importante entreprise publique du pays, qui procure au pays plus de 95 % de ses recettes en devises et plus des 2/3 de ses ressources fiscales, celle qui fait vivre toute l’Algérie. Même la personnalité de monarque de Bouteflika, ne peut expliquer le basculement de nombreuses forces patriotiques vers la trahison de la société et de son idéal de justice sociale, forgé depuis la nuit des temps, des circoncellions, à l’époque romaine, jusqu’aux combattants de la guerre de libération nationale, en passant par les révoltes contre la récolte de l’impôt turque et les mouvements de résistance, entre soulèvements et insurrections, durant la longue nuit coloniale, qui ont maturé le projet de novembre 1954. Officieusement, on raconte que c’est grâce à l’intervention de l’anti-impérialiste Hugo Chavez auprès de Bouteflika que le projet, déjà ficelé, a été mis au placard. En toute objectivité, on peut considérer cette mesure comme étant la première rupture avec le consensus national de la société algérienne fondé sur les valeurs de la guerre de libération nationale.

De ces considérations, le citoyen s’interroge : quelles sont les origines de la crise politique ? Et quelles sont les alternatives concrètes ? L’hypothèse générale qu’on propose est que l’état despotique (ses institutions, dont sa police politique) est devenu une contrainte majeure au développement des forces productives (entendre "relance économique", les diverses propositions du FCE etc.) et au renforcement de la cohésion de la société. Une contrainte objective, historique, qu’il s’agit de lever. La seule solution, incontournable : déclencher un processus pour aller vers un Etat démocratique et social, un Etat de droit. Il n’y a pas d’issue, toute tracée, conçue d’avance. C’est aux acteurs, aux intellectuels patriotes, civils et militaires, d’imaginer toutes les pistes, toutes les issues, possibles et imaginaires, de manière créative et audacieuse. Dans la filiation de l’idéal de Novembre. (A suivre)

Mustapha Ghobrini, universitaire, militant MDS

Lire aussi la première partie : L'Etat despotique, entre légendes et réalités (I)

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Commentaires (4) | Réagir ?

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nadhir Sediri

Vous devez voir l'avenir avec de nouvelles conceptions politique et non pas celles d'un parti du passé. Vous devez vous reformez et si vous pouvez pas, il faut continué avec et toujours les militaires et Belaid Abdeslem avait raison et suivez mon regard.

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Bachir Ariouat

La Kabylie fait partie d'un ensemble, elle ne peut se soustraire du reste du pays, elle est liée par le sang, par la culture, et par l'histoire de ses racines à ce pays.

Les discours de Monsieur, Mehenni, il devrait écrire des chansons s'il en est capable, mais qu'il laisse la politique à ceux qui l'a font, c'est trop sérieux pour confier toute un pays où une région à un Monsieur qui ne sait pas écrire une mélodie pour le peuple.

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