Une école, des recommandations

Nouria Benghebrit, ministre de l'Education
Nouria Benghebrit, ministre de l'Education

Lors de la récente Conférence nationale autour du système éducatif où 200 recommandations ont été dégagées, plusieurs ayant été relevées par l’APS, seule une évacuant toutes les autres, celle qui a trait à l’usage des langues maternelles en début de scolarité, a focalisé l’attention et engendré un "débat", alors que la langue maternelle qui n’a aucunement besoin d’être inscrite dans la constitution pour exister, est un fait, une pratique courante et présente dans tous les cycles du système éducatif et en société.

Et s’il n’est pas nécessaire d’être grand clerc en éducation, pour réaliser que l’école va mal, il revient cependant aux spécialistes avérés et reconnus en Sciences de l’éducation, ce carrefour où convergent plusieurs disciplines, afin d’éclairer les politiques et l’opinion publique, mais jamais l’inverse.

Concernant tout d’abord les autres recommandations, comment ne pas souscrire à celle qui a mis fin au ridicule seuil, cette fameuse "3ataba" ? Notons aussi celle qui prévoit d’étaler l’année scolaire pour respecter les normes, et celle qui compte alléger le pauvre dos de nos mioches au moyen d’un livre scolaire unique. Relevons celle qui préconise une réorganisation du baccalauréat en réduisant la durée des épreuves et une réintroduction du baccalauréat professionnel, puis celle qui consiste à réviser les programmes. N’oublions pas celle qui prévoit de former les formateurs (enseignants et cadres de l’Education) et celle qui accorde de l’importance au patrimoine national et à l’ouverture sur l’universalité. Ainsi, conformes aux textes fondamentaux dont la loi d’orientation sur l’éducation et censées améliorer la qualité de l’enseignement, pour mettre un frein aux déperditions, à la mauvaise orientation des élèves et au stress omniprésent, toutes les recommandations ont été escamotées. Sauf une, celle des langues maternelles.

Sinon, comment pouvons-nous ignorer les travaux de cet organisme appuyé par les plus grands experts de la planète, l’UNESCO en l’occurrence qui a recommandé la sauvegarde des langues menacées de disparition et l’utilisation de la langue maternelle, toutes les langues maternelles, dans tous les pays du monde ? La célébration de la "Journée internationale de la langue maternelle" le 21 février de chaque année est également significative.

En outre, beaucoup savent par exemple que dans les écoles les plus performantes à l’instar de la Finlande, des dispositifs ont été mis en place pour assurer l’enseignement des langues maternelles, pour les enfants d’immigrants notamment. Car ceux qui ont placé «l’enfant au centre de l’école» estiment important l’attachement aux racines et à la culture d’origine. Comme les pays scandinaves, parmi tant d’autres.

Pour revenir en Algérie, et juste pour l’interlude ou l’entracte si l’on ose dire, des critiques ont pris quelques fois l’allure d’un spectacle hallucinant. Au lieu d’un véritable débat, nous avons souvent eu affaire à des polémiques stériles, politicardes. Il est également difficile d’admettre les attaques personnelles acerbes, les propos calomnieux, diffamatoires envers Madame la ministre de l’Education Nationale, d’ailleurs avant même qu’elle ne pose vraiment pied en son bureau au ministère, lors de sa nomination. Une femme, "Mra ou noss" ou "Fehla" comme d’autres l’ont déjà dit, malmenée, étiquetée, diffamée, injuriée, notamment sur les réseaux sociaux et les médias, notamment de la part de députés dont certains ont reconnu qu’ils ne lisaient pas. Ni en arabe, ni en français et encore moins dans une autre langue. La diffamation impunie en Algérie, même envers un Ministre au service de la République. Et puis des appréciations dépourvues peut-être de virulence, mais néanmoins pernicieuses qui consistent par exemple à distiller vainement qu’il nous faut un Ministre de l’Education qui soit issu du secteur. Elle est bien belle celle-là ! Car à suivre ce type de «raisonnement», il nous faudrait alors pour gérer l’Habitat, un architecte. Ou un maçon, c’est encore mieux. Pour le ministère du Commerce, on pensera à un épicier ou un grossiste en alimentation générale. Avec tout le respect dû à ces professions ou à toute autre, honorablement et honnêtement exercée. Fin d’interlude.

Etant profane en matière de linguistique et autres disciplines connexes, mais s’exprimant d’abord en sa qualité de simple citoyen, ensuite en tant qu’enseignant universitaire en sciences exactes, l’auteur de ces lignes peut vous citer cette génération d’élèves ayant connu des enseignants venus de partout et dits coopérants techniques (CT). Cette génération majoritairement francophone dont les universitaires ont contribué à l’algérianisation de l’université (était-ce une bonne résolution, là est un autre débat). Ces universitaires arabisés au forceps, de manière précipitée, sans méthodologie aucune et sans tenir compte des réalités. Une «arabisation» des filières scientifiques et technologiques, essentiellement en première année d’université, eut lieu. Une «arabisation» sentimentale, donc peu réfléchie, dans la mesure par exemple, où notre pays semble avoir été le seul au monde à écrire les équations de mathématiques et de sciences physiques en caractères arabes. La spécificité et l’authenticité algériennes. Et puis retour à l’enseignement de ces filières, en langue française, à l’université. Retour donc à la case départ, mais que d’années perdues dans le rafistolage qui a d’ailleurs contraint à l’exil bon nombre d’universitaires. Une université devenue plus politique que scientifique. Quel gâchis. Comment pouvons-nous espérer une université performante qui reçoit des bacheliers handicapés sur les plans linguistique et scientifique ? Encore au sujet de cette génération, parmi les CT, il y avait notamment des enseignants du Moyen ou Proche Orient qui enseignaient l’arabe scolaire en utilisant leurs dialectes, ce qui n’était guère motivant, mais plutôt déboussolant pour les enfants de l’époque.

L’auteur de ces lignes, ne fut donc pas élève à l’école fondamentale. Non, il ne s’est pas farci cette école qui a formaté bon nombre d’enseignants actuels et leurs élèves, tous nos enfants, des enfants d’Algérie. Cette école fondamentale où la rationalité et la tolérance ont été étouffées au profit de la mémorisation bête et disciplinée, si l’on ose encore parler de discipline dans nos écoles, ces fabriques de zombies. Nous en avons payé le lourd prix par la suite, et nous le payons encore aujourd’hui, avec cette lobotomisation des esprits.

Enfin, ce qui est fait est fait, mais le drame c’est de persister dans l’erreur, la même de surcroit. Le drame, par exemple, c’est quand on rebelote avec cette prétendue rivalité entre arabophones et francophones que l’on nous fourgue telle une marchandise périmée, désormais invendable, pour noyer le débat, le vrai .Car cette dualité, quand elle existe, est ailleurs, pas dans la langue, mais dans le langage. Et puis cessons d’invoquer à tout bout de champ "hizb frança" ou cette main étrangère souvent indéfinie, ou d’inventer des complots à la pelle, sans nulle preuve formelle. Causons sereinement, rationnellement, sans le recours aux épouvantails, sans injures.

En guise de conclusion, le dicton populaire nous rappelle que "la langue n’a pas d’os", dès lors il faut savoir raison garder. Heureusement que la Science comme référence, est dotée d’une ossature blindée d’acier trempé.

Rachid Brahmi

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