Bancarisation de l’informel : tout un tapage médiatique pour une mesurette

Abdelmalek Sellal.
Abdelmalek Sellal.

C’est un très mauvais calcul voire un leurre de croire que l’argent de l’informel puisse contribuer à soulager l’économie nationale de ses difficultés actuelles dues à la baisse des prix du pétrole et surtout d’espérer éveiller chez les barons un patriotisme quelconque. C’est du moins ce que laisse entendre le premier ministre qui selon toute vraisemblance semble très sûr de lui en tentant d’intégrer les activités informelles dans le circuit économique.

Dans son intervention à la télévision, même la bancarisation du 1/3 du montant qui échappe au contrôle de l’Etat reste bénéfique pour l’économie nationale. Il est clair que les deux tiers sont reconvertis en dehors des frontières et le gouvernement ne compte pas entreprendre des mesures pour les rapatrier. En effet, l’article 43 de l’ordonnance instituant la loi des finances complémentaires parle carrément de "conformité fiscale" et permet à tout commerçant de déclarer ces avoirs cachés dans le cadre de ce programme moyennant le paiement de 7% sur le chiffre d’affaires déclaré au moment de l’identification. "Les sources de ces fonds ou les transactions qui en sont à l’origine doivent être légitimes et ne correspondre à aucun acte incriminé par le code pénal et la législation régissant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme" reste à ,savoir qui peut légitimer ces sommes faramineuses estimées à plusieurs milliers de milliards de DA puisque leur bancarisation n’exige aucune enquête sur leur origines et aucun déclarant ne va se dénoncer lui-même sur leur éventuelle irrégularité. Cette amnistie fiscale, que les membres du gouvernement ne veulent pas reconnaitre s’étale sur environ 18 mois soit au 31 décembre 2016.

Lorsque l’administration fiscale taxe le contribuable sur un forfait simple sans aucune rétroactivité, ce dernier sera amnistié des pénalités et des redressements qui en découlent en fonction du secteur d’activité dont il sera classé, notamment l’import /export. Ceux qui ne souscrivent pas à ce programme seront redressés dans des conditions de droit commun et les règles d’usage en la matière contre l’évasion et la fraude fiscale. Quelle est l’importance du secteur informel en Algérie ? Comment s’est-il ancré dans le rouage économique ? Quel que soit le qualificatif donnée à cette opération dont les appellations sont diverses, le gouvernement ou même le président de la république disposent t-ils des prérogatives pour amnistier les suceurs de la nation ? Quel impact aura-t-elle sur la crise économique due à la baisse des recettes pétrolières ?

1- D’abord, l’amnistie fiscale est une affaire de la nation toute entière

Sur le plan de la forme, on peut se demander si un gouvernement ou une équipe au pouvoir voire même un président d’un pays peut priver les générations futures de leur droit de demander des comptes à ceux qui ont sucé le sang des citoyens pendant plus de cinq décennies en détournant les lois de la république à leur profit. Aujourd’hui, entendre le chef du cabinet de la présidence de la république vanter les mérites des capitaux indument acquis pour les incérer dans le circuit formel en leur donnant une étiquette légale reste une dérive grave. Il faut reconnaitre que le président de la république dans sa compagne électorale de 1999 avait déclaré qu’il était partisan des questions référendaires simples pour recueillir des réponses aussi simples. Dans son discours à Tizi Ouzou, il a été formel sur la question du recyclage dans le circuit économique de l’argent indument acquis. Il dira qu’il est possible de fermer les yeux sur l’origine des fortunes et de ne pas demander "min aina laka adha" Comme il n’a pas dérogé au crime de sang, il était à l’époque inconcevable de le faire pour les biens appartenant aux orphelins, aux veuves et à la collectivité en général. Il faut préciser qu’à peine cinq mois après son accession à la magistrature suprême, il a commencé à décevoir par ce genre de déclarations sur les nouveaux riches, les logements, le travail etc.

Il, était pris par une frange importante de la société comme l’homme de la ressuscitation. Pour beaucoup d’analystes, il pouvait concilier les deux tendances dirigiste et libéraliste. Il a "bâti" avec le feu Boumediene le modèle de développement par l’industrie industrialisante, n’était-il pas membre du conseil de la révolution qui a cautionné cette politique depuis plus d’une décennie ? Nombreux sont les citoyens qui ont cru à son mimétisme et sa manière presque parfaite pour imiter le regretté Boumediene lors de sa première compagne électorale. Les Algériens n’espéraient aucunement revenir au dirigisme Boumedieniste mais se disaient, enfin un homme politique qui a hérité de son aura sans gant ferré. Il nous fera l’économie d’un débat d’école stérile entre les deux tendances technocrates. Bouteflika est parmi les rares historiques qui restent pour témoigner que l’Algérie de 1962 était majoritairement prolétaire et paysanne et que les propriétaires terriens et les détenteurs des moyens de production aussi bien tertiaires qu’industriels ne dépassaient 5% de la population. Comment 50 ans après on est arrivé à ce chamboulement de la stratification des couches sociales ? Faut-il balayer tout d’un revers de la main pour dire «vive les barons algériens» en leur ouvrant la porte grande ouverte.

2- Pourquoi cette panique sur la situation économique ?

Doit-on continuer à souffler le chaud et le froid par dire qu’on n’a pas choix en utilisant l’alibi de la chute des recettes pétrolières ? L’assèchement de la masse monétaire dans différentes institutions financières aussi bien privées que publiques pour financer les grands projets que l’investissement public n’a pu prendre en charge n’est qu’une manière logique de rétablir ces banques dans leur rôle statutaire. L’objectif principal d’une banque est de collecter de l’épargne pour le mettre à la disposition des investisseurs ou est le problème ? Limiter la facture des importations au strict minimum est possible à condition d’orienter les subventions vers les couches sociales qui le méritent. Comment peut-on croire et qui veut-on convaincre que le 1/3 de 40 milliards de dollars qui circulent dans le circuit informel peuvent contribuer à la disponibilité du cash alors qu’en un semestre on vient de finir avec un déficit de plus de 7 milliards de dollars. N’est-il pas plus offensif et plus audacieux pour un gouvernement de revoir carrément l’enveloppe réservée aux subventions diverses et qui profitent aux industriels. Pourquoi ne pas procéder à un changement des billets de banque en donnant un délai cours au rapatriement des anciens et l’argent de l’informel rentrera de force dans les caisses de l’Etat en faisant payer aux contrevenants ce qu’ils méritent. Mais tout porte à croire que le chef de gouvernement devait jeter l’éponge face à la maffia politico- financière. Pourtant tout au début de son investiture lors de son intervention devant les patrons des entreprises privées et du principal syndicat du pays, il a fait un très bon diagnostic de la situation économique de l’Algérie. Après les élections du quatrième mandat, l’arrivée de Haddad au FCE, le langage commence à prendre une autre orientation qui n’est pas de nature rassurante pour l’avenir.

3- L’informel bancarisé va créer des surprises

Il est clair que la situation de la baisse des recettes a contraint les pouvoirs publics de ratisser large pour renflouer les caisses de l’Etat même en ayant recours à ce genre d’amnistie fiscale utilisé d’ailleurs dans tous les pays du monde et notamment par le gouvernement italien de Berlusconi entre 2002 et 2009. Il se trouve qu’au stade actuel, les entrepreneurs qui vivaient dans la clandestinité depuis plusieurs décennies tenteront de blanchir par ce procédé l’argent sale pour s’emparer des entreprises publiques que l’Etat compte céder. L’objectif est de faire de l’Algérie un immense bazar où ils règnent en maitre par un monopole sur les produits de premières nécessité jusqu’à là protégés par l’Etat. Les activités parapétrolières sont aussi visées. D’ailleurs le traitement des données sismiques est déjà pris par le groupe Haddad passant ainsi d’un secteur BTP à celui pétrolier sans aucune transition ni expertise avérée. La démarche du gouvernement telle qu’elle est conçu est en total contradiction avec les perspectives économique. En effet, sans rentrer dans les détails et en se limitant uniquement aux documents officiels fournis par le gouvernement en place, on peut déduire que pratiquement tous les secteurs de l’économie nationale sont demandeurs en perspective de capitaux sans aucun espoir de retour sur investissement ni sur le court ni sur le moyen et encore moins sur le long terme.

Le secteur de bâtiment veut arriver à un million de logement, celui de l’éducation au sens large du terme doit faire face aux 900 000 algériens qui viennent chaque année , le secteur industriel englouti annuellement des sommes considérables sans pouvoir se relever de sa chute, le tourisme s’effrite, plus de 200 000 demandes d’emploi de diplômés s’ajoutent à la liste des chômeurs le secteur privé fait pression pour avoir accès à la manne financière alors que l’ONS dans son évaluation relève que sur 957 718 entités recensées près de 90% sont versées soit dans le commerce soit dans les services d’utilité discutables etc. Donc en résumé, on constate que même dans des perspectives à long terme, le poids est mis sur les hydrocarbures pour mettre à la disposition du secteur des fonds nécessaires pour les besoins divers et s’autofinancer pour augmenter les réserves en hydrocarbures voire même d’autres sources d’énergie. Seules les orientations du ministère de l’énergie et des mines semblent «si elles se réalisent» porteuses de fruits. Il s’agit d’abord d’introduire d’autres formes de production d’électricité que celle produite par le gaz. Pour rappel, 96% de l’électricité est produit à partir du gaz en Algérie. Sur le moyen terme, poursuivre les efforts d’efficacité énergétique pour limiter le gaspillage et arriver à une certaine vérité des prix pour une certaine catégorie de consommateurs.

Ensuite intensifier les efforts d’investissement pour valoriser les réserves des ressources fossiles, s’attaquer en troisième phase aux .énergies renouvelables enfin et aux alentours de 2025, construire carrément une centrale nucléaire. Malheureusement tous ces programmes demandent du temps que tous les acteurs concernés semblent perdre dans débats stériles. Ceci devait aboutir à des mauvaises solutions pour des problèmes réels. Ouvrir les banques à l’informel, c’est plus tard lui permettre de recycler le dinar dans le circuit international et faire fondre ainsi la manne financière jalousement gardée dans des banques étrangères.

4- Le gouvernement doit sortir du circuit infernal des mesurettes

L’équation de l’économie nationale est claire comme l’eau de roche. Les prix du baril est notamment le Sahara blend est en chute libre pour atteindre aujourd’hui moins de 50,2 dollars. Le redressement du dollar par rapport aux autres devises ne suit malheureusement pas le même rythme. Cela signifie que la baisse des recettes s’installe dans la durée pour la simple raison que les perspectives d’une reprise de la croissance mondiale s’éloignent avec une demande rigide notamment de la chine et des Etats Unis. D’un autre côté, les échéances ne donnent pas assez de temps à l’Algérie de diversifier son économie. Plus de 7 milliards de dollars de déficit au premier semestre 2015. Les besoins à importer sont peu compressibles sinon en progression d’année en année. Plus de 900 000 nouvelles bouches à nourrir chaque année. La lutte contre la fraude fiscale dont notamment le circuit de l’informel doit être continuelle mais ne devra pas constituer un axe stratégique comme c’est le cas actuellement car elle ne donne que des miettes en retour sans compter son caractère impopulaire : les mesures prises pour réinsérer les activités informelles dans circuit économique est comprise par beaucoup comme une abdication des pouvoirs publiques face aux barons qui virussent la démarche normale du rouage économique. Ceci dit, trouver les voies et les moyens, pour récupérer l’argent fraudé du trésor public est la mission même des pouvoirs publics sans pour autant en faire un tapage médiatique. Comment peut-on concevoir une LFC qui met en prison un défaillant d’une simple déclaration à la CNAS et pardonne à quelqu’un qui menace l’existence même de la nation. La majorité des barons de l’import sans export activent en Algérie pour ramasser de l’argent et vivent outre frontière. Par contre, la vraie mesure offensive consiste à vendre plus d’hydrocarbures par une reconquête de son marché traditionnel en faisant valoir ses atouts de proximité et de savoir-faire.

Les Russes en dépit de leur animosité avec les américains ont réussi à prendre la place de l’Algérie qui en tirait plus de 20 milliards de dollars. Le gaz qatari envahi l’Europe qui fait pression sur l’Algérie afin de revoir ses prix. Il faut faire en sorte que la diplomatie algérienne soit au service de l’économie au lieu de faire plaisir à François Hollande pour régler le conflit malien sans aucune contrepartie française dont les entreprises préfèrent investir au Maroc. Ensuite, il ya près d’un million de km² de domaine algérien susceptible de renfermer des hydrocarbures avec un taux de réussite qui dépasse les 60%, alors pourquoi attendre des investisseurs qui ne veulent pas des blocs proposés jusqu’à présent ? Sonatrach avec son expérience n’est-elle pas capable d’entamer des recherches sur ses fonds propres ? Elle pourra ainsi augmenter les réserves en pétrole et gaz conventionnel au lieu de perdre son temps dans la polémique de schiste.

6- Conclusion. Avec une production nationale qui satisfait les 30% des besoins des ménages et des entreprises, le reste étant importé, une dépendance de l’économie nationale à 98% des hydrocarbures, près d’un million d’emplois précaire formé par une masse de contractuels, un million de nouveaux venus d’ici fin décembre, cette baisse si rien n’est entrepris entre temps ne fera que creuser l’écart du déficit budgétaire. Le fond de la régulation des recettes fondera comme de la glace. Il est fort probable que d’ici la fin du quatrième mandat, l’Algérie sera dans la même situation que celle de 1999 avec des maliens, des syriens et des libyens à la charge en plus. Auquel cas, on aura pédalé pendant 20 ans à vide.

Rabah Reghis, Consultant et Economiste pétrolier

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Commentaires (3) | Réagir ?

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klouzazna klouzazna

Oui... pendant que le patronnat exige l'effacement de leurs dettes (comme d'habitude, c'est comme ça qu'ils ont construit leurs fortunes), un commis provisoire propose rien d'autre que d'ouvrir une lessiveuse d'argent sale pour le marché informel !!! du blanchiment d'argent quoi !!! on ne combat pas la déliinquance en la régularisant !!!

les missionés pour défendre ce type de fausses solutions ne font que de dévoiler leurs vrais visages !!!

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Bachir Ariouat

Ah bon, vous aviez crues à quelques choses de leurs parts, hé bien mon cher Monsieur, vous devriez cesser de rêver, depuis un demi siècle nous commençons à les connaître pourtant, à moins que vous croyez au miracle et au mirage, alors continuez à croire, c'est comme croire qu'il existe un peuple en Afrique du nord, hormis la Tunisie, le reste c'est des moutons.

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