Le discours africain d’Abdelkader Messahel est-il pertinent ?

Abdelkader Messahel
Abdelkader Messahel

Dans le discours prononcé par Abdelkader Messahel, ministre de l'Union africaine, ministre des Affaires maghrébines et de la Ligue des Etats arabes au siège du ministère des Affaires étrangères à Alger à l’occasion de la journée de l’Afrique le 25 mai 2015.

Qui portera la voix de l’Algérie devant la conférence internationale sur la dé-radicalisation prévue les 22 et 23 juillet 2015 à Alger ? La question qui reste sans réponse, est celle de savoir si le ministère des Affaires étrangères sera apte à gérer cette nouvelle dualité. Assisterons-nous à un double langage dans la politique extérieure du pays ? Faudra-t-il inscrire la cacophonie ou la langue de bois comme troisième langue nationale dans la prochaine constitution ? Le discours qui a été prononcé contient des contre-vérités éhontées d’une légèreté ahurissante. Concernant la libération des peuples du continent du joug colonial, le ministre Messahel déclare : "’Mais ce combat libérateur reste à parachever : le Sahara Occidental, est la dernière terre africaine encore sous occupation". Je rappelle que les vestiges du colonialisme n’ont pas disparu.

Depuis la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) la quête de l’Afrique a été insufflée par l’esprit du panafricanisme. L’Union Africaine (UA) a pris des mesures pour mettre un terme à l’occupation illégale de l’Archipel de Chagos, de l’île comorienne de Mayotte et soutenir le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. Dans une allocution prononcée par le chef de l’Etat de l’Union des Comores lors de son investiture à la magistrature suprême du pays le 26 mai 2015, la question de l’intégrité territoriale reste centrée autour de la réintégration de l’ile comorienne de Mayotte conformément aux résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de l’ex-OUA. La position du pays reste orientée par le droit international. Rappelons que la constitution actuelle de l’union des Comores inclut en son sein les iles autonomes de Mwali, N’Dzuwani, N’Gazidja et Maoré (Mayotte). La question de l’intégrité et de l’unité territoriale de l’archipel des Comores a été inscrite depuis l’admission des Comores à l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1975 par une résolution(3385) de l’Assemblée Générale de l’ONU qui "réaffirme le respect de l’unité de l’archipel"’. La république de Maurice a obtenu du Royaume-Uni son indépendance le 12 mars 1968. Avant l’obtention de l’indépendance, l’archipel des Chagos a été illégalement séparé par le Royaume-Uni du territoire de Maurice. Cette action a été réalisée en violation de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960 (résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies), qui interdit le démembrement d’un territoire colonial avant l’accession de celui-ci à l’indépendance. Conformément à l'article 1 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, la République de Maurice a introduit une procédure arbitrale le 20 décembre 2010 concernant la création par le Royaume-Uni d'une aire marine protégée autour de l'archipel des Chagos. La Cour permanente d'arbitrage agit en tant que greffe dans cet arbitrage. Le 18 mars 2015, le Tribunal arbitral a rendu sa sentence en déclarant que "la sentence aborde la compatibilité avec la convention de la création par le Royaume-Uni d’une aire marine protégée autour de l’archipel des Chagos le 1er avril 2010. Deux membres du tribunal ont exprimé leur adhésion partielle à la décision rendue par la majorité du tribunal ainsi que leur dissidence partielle avec celle-ci. Ils ont joint une opinion concordante et dissidente à la sentence." La relation avec le Royaume-Uni reste affectée par le conflit de souveraineté sur l’archipel des Chagos.

Par ce discours mentionnant seulement le Sahara Occidental, le ministre a-t-il voulu célébré la journée de l’Afrique ou celle de l’Union du Maghreb arabe (UMA) si tant elle existe ? Concernant la situation sécuritaire "notre armée nationale et nos forces de sécurité, auxquels nous rendons hommage, poursuivent vaillamment la lutte antiterroriste". Rappelons que la résolution 2178 intitulée’’ Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme’’ adoptée par le Conseil de sécurité le 24 septembre 2014, indique que "la force militaire, les mesures visant à faire appliquer la loi et les opérations des services de renseignement ne suffiront pas à elles seules à vaincre le terrorisme, et soulignant qu’il est nécessaire d’éliminer les conditions propices à la propagation du terrorisme." Réussir à vaincre efficacement le terrorisme passe par la coopération du citoyen et des forces militaires avec l’exemple des citoyens volontaires ayant participé aux cotes de l’armée nationale populaire à la lutte contre la subversion et le terrorisme à partir de 1992. Le discours ne rend pas hommage aux citoyens et citoyennes algériens. Pas un seul mot n’a été prononcé pour le peuple algérien. Alors que dans le dernier paragraphe du discours, le ministre salue ‘’la mémoire des héros et héroïnes africains morts au service de leur nation et pour le triomphe de la liberté et de la souveraineté de l’Afrique.’’

Le septentrion malien : bombe à retardement géopolitique ?

La question malienne nous interpelle à plus d’un titre. "Cet accord (Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger) préserve l’intégrité territoriale du Mali et son unité nationale". Faut-il ajouter au double langage de la diplomatie algérienne, le double jeu mené par le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui a proclamé de manière irrévocable l’indépendance de l’Etat de l’Azawad le 6 avril 2012 tout en reconnaissant les frontières en vigueur avec les Etats limitrophes ? Alors que l’article 1 de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger mentionne "le respect de l’unité nationale, de l’intégrité nationale et de la souveraineté de l’Etat du Mali." La Coordination des Mouvements de l’Azawad qui a observé les derniers développements du processus, a pris acte du déroulement de la cérémonie de la signature à Bamako le vendredi 15 mai 2015 de l’accord dit « accord pour la paix et la réconciliation au mali » entre la partie gouvernementale et les milices communautaires qui lui sont favorables, et a rappelé que cette signature ne saurait l’engager avant l’aboutissement des discussions prévues après son paraphe. Le prochain défi à relever pour le Mali sera celui de la diversité culturelle avec l’appellation Azawad contenue dans l’article 5 "une compréhension commune de cette appellation qui reflète également une réalité humaine, devra constituer la base du consensus nécessaire, dans le respect du caractère unitaire de l’Etat malien et de son intégrité territoriale." La notion mémorielle fait appel à une construction fondée sur une entité historique et territoriale de l’Azawad ainsi qu’une martyrisation de son peuple.

L’identité de l’Azawad est forgée sur la base d’une essence qui détermine un être idéalisé vivant dans la souffrance au Mali et qui prétend à l’indépendance. La vraie identité de l’Azawad est alors envisagée comme une communauté cohérente, une communauté morale adoptée à la volonté de l’indépendance du septentrion malien. Les ambiguïtés concernant ce glissement syntactique et lexical, ajoutées à la reconnaissance actée de l’Azawad par le Mali, lui accorde tous les attributs d’une nation. Autre obstacle à relever concernera la démographie : dans l’article 16 "l’Etat s’engage à favoriser le recrutement dans la fonction publique des collectivités territoriales, dont les effectifs seront majoritairement réservés aux ressortissants des régions du Nord". Cet article identifie des critères discriminatoires, le critère de ressortissant du nord l’emporte sur celui de la compétence individuelle.

La conférence sur la dé-radicalisation les 22 et 23 juillet à Alger s’ouvrira-t-elle dans la morosité ? La radicalisation correspond par définition à un processus par lequel une personne devient radicale ou est radicalisée à l’égard du recours à des formes de violences ou au terrorisme au sein d’une société. Je rappelle que le gouvernement d’Ali Benflis (août 2000-avril 2003 ) a joué un rôle important ,un rôle pionnier en prenant des mesures initiales pour la mise en place du Centre Africain pour les études et la recherche sur le terrorisme (CAERT) (l’acronyme anglais est ACSRT) conformément au plan d’action de l’Union Africaine pour la prévention et la lutte contre le terrorisme en 2002.Ce plan a été adopté en septembre 2002 à Alger par la réunion de haut niveau intergouvernemental de l’UA sur la prévention et le combat contre le terrorisme en Afrique. Ce plan a permis la création du CAERT dont le siège est à Alger. Les efforts du gouvernement Benflis ont été orientés pour la fondation d’une structure dont le rôle principal est de développer une stratégie antiterroriste et d’adopter un plan d’actions visant à lutter contre la radicalisation en déterminant les facteurs et les méthodes qui font que des personnes sont attirés par le terrorisme.

Avec le CAERT, le gouvernement Benflis a contribué au rassemblement des pays membres de l’UA en élaborant des approches communes suite à l’adoption de la résolution 1377 par le Conseil de sécurité le 12 novembre 2011 qui "se félicite de l’engagement des États en faveur de la lutte contre le fléau du terrorisme international, demande à tous les États de devenir dès que possible parties aux conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme international, et encourage les États membres à faire progresser les travaux dans ce domaine; demande à tous les États de s’entraider à cet effet". L’idée que je propose est de réaliser un nouveau modèle politique dans la cadre d’une révision constitutionnelle en introduisant un article intitulé : "Les relations internationales de l’Algérie".

Cet article contiendra ce qui suit : "Les relations internationales de l’Algérie sont gouvernées par les principes : 1- Reniement du terrorisme 2- Etablir un code de conduite centré sur la lutte contre le terrorisme et faisant valoir les valeurs morales et humanistes et basées sur la solidarité, la tolérance et le rejet de toute forme de discrimination, d’injustice, d’extrémisme et de haine, ainsi que le respect mutuel de la souveraineté des Etats." Le discours du ministre est indissociable de l’esprit critique qui est le fondement même de l’étude en géographie humaine car les propos tenus par le ministre sont le vecteur d’une propagande. Le ministre mentionne ‘’le respect de l’égalité constitutionnelle entre les femmes et les hommes", "une dynamique en faveur de l’émergence des femmes’’,’’les progrès enregistrés récemment au plan législatif avec l’adoption par le parlement algérien des amendements portés au code la famille".

A la veille de la conférence internationale sur la dé-radicalisation, le ministre a-t-il l’intention de briguer le poste de ministre de la solidarité nationale, de la famille et de la condition de la femme ? Il est important de souligner que l’année 2015 permettra de contempler l’histoire des Nations unies à l’occasion de son 70e anniversaire. Je conclus en indiquant l’étymologie du terme ministre qui signifie serviteur en latin.

Mohamed-Salah Benteboula

Géographe

Plus d'articles de : Maghreb

Commentaires (0) | Réagir ?