Gaz de schistes / développement durable : quelle voie prendre ?

Les populations du sud contre l'exploitation du gaz de schiste
Les populations du sud contre l'exploitation du gaz de schiste

Depuis quelques mois, il y a une véritable "cacophonie" sur l’exploration/exploitation de gaz de schistes en Algérie, du côté d’In Salah. C’était une période caractérisée par un quiproquo car tout le monde parlait en même temps et personne n’écoutait. Pour paraphraser Jean Amrouche : "A force de parler, l’essentiel a été oublié, les discussions sont devenues l’objet du débat".

Des citoyens se sont mobilisés pour cela, ce qui est légitime, car il y a une volonté de comprendre ce qui se passe ou qui se fait chez eux/chez nous. C’est un signe de maturité que de chercher à comprendre. Cependant, ces voix sont relayées par beaucoup d’autres qui se font passer pour celles d’experts mais dans la réalité elles ne le sont pas. Le politique a pris le dessus sur le scientifique. Dans cette cacophonie, il y a eu de l’intox et beaucoup de mensonges par omission, pour reprendre l’expression. Dans ce débat, certains ont même présenté l’incident de Haoud Berkaoui comme étant lié aux gaz de schistes (7) alors qu’il a eu lieu il y a très longtemps et sans aucun lien avec l’exploration sur les gaz de schistes et la fracturation.. Parmi les produits dangereux, on a eu droit même à une photo d’un bigbag de chlorure de calcium. Enfin tout a été dit et redit, sans en préciser le contexte et même sans centrer le débat et écouter les vrais experts (je n’en suis pas un) nous expliquer tout ce qui concerne ces gaz dit non conventionnels.

Cependant, depuis quelque temps, il y a eu décantation et des voix d’experts, sincères ont recentré le débat pour nous expliquer ce que sont les shales gaz, l’impact de leur exploration sur l’environnement, la santé et l’économie.

Pour pouvoir comprendre tout cela, il faut d’abord écouter les uns et les autres et raisonner avec sérénité. Il ne faut pas réduire le débat aux «pour ou contre» les gaz de schistes. On n’est pas dans la théologie (hlal ou hram) et le monde n’est pas binaire. L’équation est beaucoup plus complexe mais solvable, elle a des solutions. Il n’y a pas lieu de verser dans l’écologisme et décider, tout de go, que cela est dangereux. Chaque technique doit être d’abord comprise, maîtrisée pour pouvoir se faire une idée précise.

En termes de définition, le gaz de schistes est dit «non conventionnel» par rapport au gaz exploité jusque-là dans les gisements gaziers et qui, lui, est dit conventionnel. Il y a une simple relativité. Le gaz des gisements conventionnels arrive en surface naturellement quoique parfois, on le fait arriver par injection par les mêmes méthodes pour maintenir les débits et augmenter la pression au fond du puits et les ressources à extraire. Le gaz de schistes est piégé dans la roche mère et le gaz «conventionnel» a migré dans un gisement.

On présente notre pays comme ayant un potentiel important en gaz de schistes mais pratiquement peu de travaux ont été orientés dans ce sens. Derrière le mot «potentiel», il y a la notion de probabilité. De ce fait, il y a lieu de faire des travaux dits d’exploration pour mieux connaître les ressources qui passeraient après beaucoup plus de travaux de terrain et d’analyses à des réserves dites prouvées. Le processus est long et coûteux mais indispensable pour connaître ce que nous avons dans notre sous-sol.

Les impacts sur l’environnement, la santé et autres trouvent toujours des solutions. L’environnement doit être pris comme générateur d’emplois et de projets de recherche mais non comme un frein au développement. Dans ce cadre, il faut aller doucement (prudemment), mais vite. Aux USA, cet élan d’exploration/exploitation a généré des centaines de milliers d’emplois et une énergie bon marché.

La problématique liée aux types d’énergie qui seront utilisées dans l’avenir reste majeure.

Fondamentalement, les stratégies de développement sont orientées vers la substitution des énergies fossiles (charbon et hydrocarbures), jugées très polluantes, par des énergies plus écologiques (solaire, éoliennes, géothermique, biomasse et nucléaire), pour la plupart d’entre elles jugées «d’avenir». à l’exception du nucléaire pour lequel les avis sont mitigés.

La définition du mix énergétique d’un pays est capitale. Dans tous les cas la protection de l’environnement y est liée car chaque technique présente ses avantages et es inconvénients. Même le solaire présenté aujourd’hui comme substitut ou complément pourrait, à la longue, causer des problèmes en liaison avec les batteries usagées. Ceci pour dire que chaque chose peut présenter des problèmes qu’il faut prendre sérieusement en charge : c’est comme cela que les choses avancent. La qualité et la préservation de l’environnement est impérieuse. Elle doit être derrière chaque réflexion, mais arrivera-t-on à la satisfaire ? L’essentiel c’est de participer, dans un premier temps, à l’effort de recherche et d’exploration pour mieux maitriser les techniques et les technologies qui permettent de mieux connaitre et faire passer le potentiel en ressources, puis en réserves (prouvées), et minimiser le gap qui nous sépare des pays développés. On ne va pas attendre 2030 pour se mettre à la prospection de nos ressources alors que les techniques avancent ailleurs. En cette période future (2030), il sera peut-être un peu trop tard mais il y aura toujours quelques-uns pour reprocher à la compagnie d’hydrocarbure son «laxisme» et le temps perdu pour former ces ingénieurs et techniciens, si elle ne se met pas de la partie, dès aujourd’hui. La formation de la ressource humaine est impérative à tout processus de développement. D’ailleurs le problème se pose dans tous les secteurs d’activités Demain c’est maintenant. Il y a lieu de mettre dès aujourd’hui cette crème dans le bain des entreprises qui développent les techniques d’exploration et les technologies de fracturation – qui ne date pas de 2015 – afin d’être prêt pour prendre en main le destin. Dans tous les cas, ces pays avancent dans leurs recherches et ne nous attendent pas dans nos bavardages. La recherche c’est aussi de l’anticipation.

Beaucoup de pays utilisent le nucléaire pour produire leur énergie mais qui parle des méfaits et désastres causés par l’exploitation de l’uranium qui pourtant sont exponentiellement plus graves que ceux causés par les fracturations pour gaz de schistes ? Que ceux (de l’autre côté de la méditerranée) qui soutiennent les citoyens d’In Salah apportent d’abord leur soutien aux populations du Niger et autres qui «baignent» dans le Yellow cake (concentré extrêmement dangereux) et autres déchets nucléaires afin d’illuminer leurs appartements et faire tourner leurs usines.

C’est le cas de la France. Le refus de l’exploration des gaz de schistes dans ce pays est dû au fait que son énergie électrique est d’origine nucléaire (à plus de 80%) et que le combustible nucléaire provient du Niger, à bon marché.

Par type d’énergie, les coûts de revient d’un kilowattheure restent fluctuants. Rapportées au baril de pétrole, elles sont classées comme suit (du moins cher au plus cher) :

1. Pétrole, 2. Charbon, 3. Hydro, 4. Nucléaire, 5. Géothermie, 6. Biomasse/biofuel, 7. Eolienne, 8. Solaire.

Aux USA, selon les données publiées par l’AIE (1), le coût de l’énergie solaire est 225 fois plus cher que celui de l’énergie pétrolière. Selon la même source, les coûts passent ainsi de 0.28 US$ pour le pétrole à 63 US$ pour le solaire et 1.79 US$ pour le nucléaire. Une analyse publiée récemment (3) montre que la production d’énergie par le nucléaire consomme plus de trois fois d’eau que les gaz de schistes. Le kilowatteur produit par le solaire est 4 fois plus cher que celui qui est généré par le gaz de schiste (6).

On note aussi que la problématique de l’exploitation des gaz de schistes réside aussi dans la maitrise des méthodes de fracturation de la roche et le contrôle de sa propagation. L’optimisation des consommations d’eau utilisée pour la fracturation et les niveaux de pressions nécessitent une modélisation de la fracturation en 3D (5). Afin d’économiser l’eau, il y a même des expérimentations en vue de l’utilisation de l’hélium et autre gaz carbonique.

Les principales préoccupations de l’exploration et l’exploitation des gaz de schistes concernent la gestion des eaux usées, les risques, la sécurité et la santé des personnes (2). Ces aspects sont de mieux en mieux pris en charge, avec le développement des techniques et des technologies.

L’évolution de l’économie mondiale ne peut pas s’en passer actuellement du nucléaire et des hydrocarbures, surtout que les autres énergies vertes (éolienne et solaire) ont des coûts de revient très grands qui ne peuvent pas être supportés par les industries et les ménages car cela freinerait la consommation, donc la croissance. La politique de soutien des prix du Kilowatt éolien et solaire par les Etats développés est une alternative utilisée mais peut-elle en être ainsi pour notre pays, sur le long terme ? Cela saignerait encore plus le trésor public. On doit se diriger crescendo vers un mix énergétique qui nous convient le mieux, y compris avec le nucléaire.

L’impact d’utilisation des énergies renouvelables sera réduit à court et moyen terme du fait de ces coûts de revient. Il faudra attendre un essor technologique très important pour les domestiquer en termes de coûts et d’impact sur le portefeuille des citoyens. Les USA ont mesuré cela et développent de mieux en mieux les techniques d’exploration et d’exploitation des gaz de schistes en tendant vers la maitrise des risques sur l’environnement. Ce dernier est d’ailleurs considéré comme un pôle très important de création d’emplois et non de blocage des autres secteurs de l’économie.

Ce pays (USA) se dirige maintenant vers l’autosuffisance. Les foreurs axent leurs réflexions sur plus de sécurité dans la réalisation et la maitrise des plateformes, des équipements et de la cimentation de la colonne de forage. D’ailleurs les protocoles et les procédures y afférents sont très sévères et ce depuis très longtemps. Il suffit d’aller, en profane, sur une plateforme de forage conventionnelle pour se rendre compte de l’importance que donnent les experts des entreprises de forages et de services pétroliers à ces aspects liés à l’hygiène, la sécurité et l’environnement.

Les techniques utilisées dans ce domaine sont très pointues et nécessitent une compétence et une expertise avérée, non encore «démocratisées». Elles relèvent des entreprises qui les ont développées et non encore maitrisées comme le montrent les différents points de vue et réflexions d’experts.

Tout cela montre que la problématique de la protection de l’environnement est sérieusement prise en charge. De nouveaux programmes de Recherche et Développement sont impératifs pour accorder les objectifs d’exploration/exploitation optimisés avec la protection de l’environnement.

Tous les pays ont pris conscience de ce fait, mais les autres énergies (renouvelables) ne sont pas prêtes pour être substituées. Les hydrocarbures et le charbon, bien que polluants, ont encore de belles années devant deux. Toutes les simulations des organismes experts le montrent.

Un débat sur les énergies est actuellement très intense. Au Canada, par exemple beaucoup d’experts se posent la question pertinente suivante :

Pourrait-il (Le Québec), par exemple, refuser de s'intéresser à ses ressources en uranium, fermer la centrale de Gentilly et perdre ses compétences en physique nucléaire? Devrait-on en faire un sanctuaire dénucléarisé et laisser les autres, en particulier nos voisins du Sud, se débrouiller avec leurs besoins énergétiques ? Laisser le nucléaire à quelque dictature médiévale? (4).

Il y a beaucoup à faire à ce sujet mais surtout ne pas rester sur le banc de touche et attendre ce que font les autres. Il y a lieu de s’y mettre de la partie. Il ne s’agit plus d’importer les techniques et les technologies mais de les maitriser et de les reproduire chez nous : c’est toute la question de la formation de la ressource humaine qu’il faut assurer bien longtemps, avant de se lancer dans ce processus, c’est à dire dès aujourd’hui.

Le débat doit être centré sur la maîtrise technologique et l’expertise. La question mérite d’être posée et exige entretemps des réponses très réfléchies pour assurer une gouvernance digne d’un développement durable.

Arezki Zerrouki

Principales références :

  1. Florent Detroy (Octobre 2012) : Quelle énergie gagnera les élections américaines. In L’Edito des Matières premières et Co
  2. Patricia Guérin-Padilla (décembre 2011): L’exploration et l’exploitation des gaz de schistes : Les risques de contamination associés à la gestion des eaux usées et aux techniques d’exploitation (Université de Sherbrooke, Canada)
  3. Olivier Danielo (octobre 2012) : Gaz de schiste : 3 fois moins d’eau douce que le nucléaire. In Les Techniques de l’Ingénieur
  4. Michel Jébrak (2009) : De Copenhague à Sept-Îles - Le Québec, terre d'avenir pour le nucléaire (Université de Laval, Canada).
  5. Site Web : www.total.com/fr/dossiers/
  6. Hamid Guedroudj : Interview in Journal EL WATAN du 6 avril 2015
  7. Nafeez Mosaddeq Ahmed : Bouleversement énergétique ou feu de paille financier Gaz de schiste, la grande escroquerie. In Le monde diplomatique, mars 2013.

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