Elections en Turquie: Tayyip Erdogan ou le rêve absolutiste ottoman

Tayyip Erdogan, le sultan, veut la majorité et une constitution sur mesure.
Tayyip Erdogan, le sultan, veut la majorité et une constitution sur mesure.

Le président turc joue gros dimanche. Il veut la majorité absolue aux élections pour s’offrir une constitution sur mesure et tire à vue sur tout ce qui bouge ou entrave son pouvoir autoritaire

Dans le parcours de Tayyip Erdogan, que les Turcs affublent du qualificatif moqueur de "sultan", de "padishah" (roi des rois) ou que Selahattin Demirtas, dirigeant du Parti démocratique du peuple (HDP, kurde) compare à "Ibrahim le fou" (sultan ottoman de 1615-1648), il y a des dates, des lieux de mémoire, des symboles,que TayyipErdogan revisite à des fins de pouvoir.

Ainsi en est-il du 10 août dernier, un jour particulier pour lui. Au soir du premier tour de l’élection présidentielle, apprenant qu’il venait d’être élu dès le premier tour (52%), il est allé prier dans la soirée à la mosquée d’Eyüp (Istanbul) du nom du compagnon du prophète de l’islam tombé durant le 1er siège de Constantinople au 7e siècle, là où depuis Mehmet al-Fatih (15e siècle), tous les sultans ottomans venaient prêter serment. Cela n’a nullement empêché Tayyip Erdogan de jurer fidélité à la Constitution et aux principes laïcs de l’Etat turc lors de son investiture le 28 août par le Parlement, puis d’aller déposer une gerbe sur la tombe de Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie et d’écrire sur le livre d’or ces lignes à forte portée politico-symbolique : "Je débute ma fonction en tant que premier président élu par le peuple dans l'histoire turque. Aujourd'hui, la Turquie a recouvré son âme et son esprit. Aujourd'hui, la Turquie renaît de ses cendres".

Et en effet, Tayyip Erdogan, 60 ans, dont onze au pouvoir, né dans le quartier populaire de Kasimpaça sur la rive européenne, caresse le rêve de garder les rênes du pouvoir jusqu’en 2023, année du centenaire de la Turquie moderne et en faire la dixième puissance économique mondiale (la Turquie est classée aujourd’hui 15 éme puissance économique mondiale). Après Mehmet al-Fatih, le conquérant de Constantinople, Soliman le magnifique, puis Mustapha Kemal, des hommes dont les règnes et la gouvernance ont été marqués d’une main de fer et d’un autoritarisme absolutiste sans failles, Tayyipb Erdogan, aux tendances despotiques affirmées, qui ne souffre aucun crime de lèse-majesté, veut à son tour marquer de son empreinte l’histoire turco-ottomane. Et pour ce faire quoi de plus simple que de magnifier le passé ottoman quand ce n’est pas celui des empires et Etats fondés avant l’ère ottomane par les conquérants turco-mongols et seldjoukides.

A la mesure d’un nouveau sultan, il s’est donc fait construire un Palais présidentiel aussi grand que Versailles (voir L'Humanité du 7-8 mars) de 200 000 m², composé de 1000 bureaux et pièces d’un coût total de 278 millions d’euros dans lequel il reçoit ses invités – Mahmoud Abbas en a été le premier – au pied d’un monumental escalier sur lequel se tiennent seize gardes habillés en guerriers d’époque symbolisant les seize empires et Etats turco-mongols depuis Attila jusqu’aux Ottomans ! Et à l’instar des sultans, Erdogan a, à son service, un gouteur pour le protéger de toute menace d’empoisonnement, on ne sait jamais !

Le 29 mai, jour de célébration du 562e anniversaire de la conquête de Constantinople, en pleine campagne électorale, Tayyip Erdogan, flanqué de son Premier ministre Ahmet Davotuglu, aura vécu un autre moment d’instrumentalisation d’un passé magnifié à outrance. "Les élections du 7 juin prochain seront une nouvelle conquête, si Dieu le veut» a-t-il lancé aux centaines de milliers de personnes rassemblées à Yenipaki, à Istanbul.

La conquête, à savoir faire élire 400 députés de son parti, sur les 560 sièges en lice, lui permettant de modifier la Constitution, s’avère un peu plus compliquée. Et bien qu’ébranlé par les protestations des jeunes de Taksim en 2013 et les scandales de corruption, Tayyip Erdogan, "l’Homme de la nation", n’a cure des critiques. Il est partout, multiplie les sorties sur le terrain, et brocarde tout ce qui se met en travers de ses ambitions califo-ottomanes.

Medias, juges et policiers dans le collimateur du calife

Dans son collimateur, les réseaux sociaux et les médias. Le 16 mai, pour avoir titré "La peine de mort avec 52% des voix» à propos de l’ex-président égyptien Mohamed Morsi, dont la photo et celle d’Erdogan figuraient côte à côte, le quotidien Hurryieta été accusé de suggérer que le chef de l'Etat turc (élu avec 52% de voix) pourrait subir le même sort que son ex-homologue égyptien ! Une plainte a été déposée contre la direction du journal. Autre journal épinglé, Cumhuriyet du 29 mai, qui a publié des photos et une vidéo sur son site web montrant une livraison d’armes aux djihadistes syriens convoyés par des camions appartenant au MIT (services secrets turcs) ! Le journal a été aussitôt attaqué en justice pour…terrorisme ! Et ce, sans compter le blocage de temps à autre de Twitter, Facebook et Youtube, les opérations coups de poings contre le journal Zaman et la chaine TV Samanyolu, proches du prédicateur et ennemi juré d’Erdogan, FethallahGulen. «Nous les poursuivrons encore jusque dans leurs repaires» déclarait-il en décembre dernier. Ainsi en est-il des cinq juges radiés le 5 mai pour avoir enquêté sur les affaires de corruption ayant éclaboussé en 2013 ses proches, et qui s’en vont grossir les rangs de ces centaines de magistrats et policiers déjà révoqués et,..de la prise du contrôle de la banque Asya, détenue par les proches de Gülen, par les autorités turques !

Autres cibles. Pour l’avoir interpellé lors du drame de la mine de Soma (301 morts) en mai, un jeune a été qualifié de "sperme d’Israël". Concernant les femmes revendiquant l’égalité, il affirmait : "Vous ne pouvez pas leur demander de sortir et de creuser le sol, c'est contraire à leur nature délicate" avant de leur recommander "au nom de la décence de ne pas rire à gorge déployée" ou de leur conseiller de faire au moins trois enfants.

Le HDP, décidé à lui barrer la voie

Mais voilà, les manifestations massives de Taksim (Istanbul) et qui ont touché des dizaines de villes du pays, en juin 2013, les affaires de corruption ayant éclaboussé son pouvoir, les purges massives opérées dans le milieu de la justice et de la police – plusieurs dizaines de policiers et magistrats ayant enquêté sur la corruption ont été révoqués –, l’embastillement des journalistes , les procès intentés à des militaires ( les 200 officiers accusés en 2012 de complot ont été acquittés et libérés en mars dernier), ses diatribes contre les femmes, ses connivences avec les djihadistes syriens et son autoritarisme, ont desservi l’image du chef de l’Etat turc, y compris dans les rangs de son parti, l’AKP (le Parti de la justice et du développement, issu de la mouvance islamiste). Selon les derniers sondages, l’AKP n’est même pas en mesure de garder la majorité parlementaire.

Sur son chemin, le HDP (Parti démocratique du peuple), coalition formée de groupes de gauche turcs et du mouvement politique kurde, de Salahattin Demirtas, 42 ans, escompte franchir la barre des 10%, ce qui lui donnerait une cinquantaine de sièges de députés. Et ainsi, priver l’AKP du président Erdogan, du nombre d’élus nécessaires pour réviser la Constitution lui permettant de faire basculer d’un régime parlementaire où le président de la république a un pouvoir symbolique vers un régime présidentiel dotant le chef de l’Etat de tous les pouvoirs.

Samedi dernier à Istanbul, devant une foule de plus de 200 000 personnes (du jamais vu), Salahattin Demirtas s’est engagé à barrer la voie aux ambitions du sultan.

Hassane Zerrouky

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Commentaires (1) | Réagir ?

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khelaf hellal

On observe ainsi l'ascension fulgurante et sans coup férir des seconds couteaux du Kalife El Baghdadi en Turquie. Kemal Attaturk doit se retourner dans sa tombe tellement ses visions et son projet de société pour la Turquie ont été malmenés et contrecarrés par le nouveau Sultan Erdogan qui a dévoyé la laicité séculaire de son pays vers un islamisme politique plus porteur et plus facile à capter sur le plan électoral.