Mokrane Gacem : "Relancer le MCB ? Oui mais..."

Mokrane Gacem.
Mokrane Gacem.

Formé dans les écoles des courants progressistes de la gauche intellectuelle, Mokrane Gacem est surtout un «activiste clandestin» de la cause amazighe lorsque Boumediene ne tolérait même pas l'évocation du mot Berbère. C'est dans la discrétion qu'il a mené son combat pour cette cause, préférant la servir sans concession et sans contrepartie. «Pas besoin de lauriers pour défendre ma propre identité» se plaît-il à répéter.

Le Matindz.net : 35 ans après la grande révolte du peuple Berbère, nous avons aujourd'hui l'impression que le mouvement tend à s’essouffler, et les espoirs nés ce 20 avril 80 semblent quelque peu brisés, non ?

Mokrane Gacem : Non, pas du tout. Le Mouvement est plus vivant que jamais et les espoirs qu'il lève aujourd'hui sont immenses. Moi, je ne suis pas pessimiste, même si je refuse de verser dans un optimisme béat. Le terrain est parlant, il ne faut pas le borner à la Kabylie où l'apparence d'un reflux semble gagner quelques esprits. En profondeur, la Kabylie est toujours mobilisée et active. Toutefois, le bilan peut s'apprécier d'une manière contradictoire. Des avancées assez notables, avec des insuffisances certaines, dues à la faiblesse politique dont souffre encore ce mouvement et à la force de frappe des Pouvoirs en place dans la région qui ne lésinent ni sur la brutalité ni sur d'autres moyens pour nous combattre. Cela ne doit pas nous aveugler sur les progrès réalisés dans divers domaines depuis 80. Aujourd'hui, l'étendard Amazigh est partout. Toutes les communautés amazyghs s'y reconnaissent et le revendiquent. N'est-ce pas là, un pas de géant et une source de grands espoirs ?

Un bilan positif donc ?

Dans une certaine mesure oui. Il ne faut pas tomber dans le défaitisme. Tamazighth est devenue langue officielle Au Maroc. En Algérie, elle est reconnue langue nationale et son officialisation est inéluctable. En Libye, la communauté amazigh s'affirme tant sur la plan territorial que linguistique et s'achemine vers la création d'un Etat totalement amazigh. En Tunisie, imazyghen commencent a s'organiser tout comme c'est le cas au Mali, en Egypte et dans la diaspora au quatre coins du monde.

Ils sont ou donc les reculs auxquels vous faites allusion ?

Là nous parlons de l'expérience algérienne, A mon sens, le plus important des reculs c'est l’arrêt du processus démocratique initié par le mouvement du 20 avril 80. Ce processus était tellement important et ancré dans les profondeurs de la société qu'il a commencé a entraîner la société civile dans des formes d'organisations autonomes par rapport au système et au pouvoir. Rappelez vous les syndicats autonomes, aussi bien ouvriers qu'estudiantins et toutes ces organisations comme les enfants de chouhadas, celle des femmes, la ligue des droits de l'homme etc... Ce processus a été stoppé net en 1988 et dévoyé au profit de la pérennisation du système. Le pouvoir était menacé dans ses fondements par la marche d'une société libérée de son hégémonie. Il s'est rapidement légitimé aux yeux de tous grâce aux événements de 1988 qu'il a lui-même provoqué. L'apparente ouverture démocratique qui s'en suivit est gérée sous sa tutelle avec la bénédiction de ceux qui étaient censés l'abattre. Ces derniers ont dès lors accepté ses règles et ses jeux politiques pour quelques strapontins.

C'est dû à quoi, selon vous, ce ralliement au pouvoir qui ne dit pas son nom ?

Essentiellement, cela est dû à la faiblesse politique qui caractérise la société et ses élites gangrenées par des ambitions statutaires que le Pouvoir n'a pas eu de difficulté à satisfaire avec quelques strapontins à sa marge.

Un combat qui est aujourd'hui, et d’après vous, otage de luttes partisanes ?

C'est aussi un problème. Tamazight est devenue, pour certains, un fonds de commerce. Elle est prise en otage par des intérêts étroits, sectaires où bassement narcissiques.. il y a toutefois, des individus et des collectifs qui portent encore cette cause d'une manière totalement désintéressée. Je parle ici des militants qui agissent sur le terrain, des enseignants de tamazight et ceux qui assurent une production culturelle dans cette langue. Les artistes d'une manière générale dont on ne mesure pas encore l'apport.

Mais si les partis politiques ne doivent pas porter cette cause, qui pour le faire a leur place?

Je ne dis pas que les partis ou les organisations politiques ne doivent pas porter cette cause. Bien au contraire, c'est ce qu'il faut espérer. Les partis doivent revenir de leur dérives. Comme tamazight est une cause qui transcende les partis, elle doit être, a mon avis, portée par une structure plus large, plurielle et surtout autonome sans exclure les partis.

A l'exemple du MCB (Mouvement Culturel Berbère) ?

Dans l'esprit, je dirais oui, mais je rappelle quand même que le MCB n'était pas structuré. Pourtant, ces derniers temps, quelques militants dont vous faites partie, ont pensé a relancer ce mouvement...

Tu veux sans doute parler de l'appel de Tighremt. Oui, j'étais un des signataires de l'appel, mais l'idée de faire renaître le MCB n'était pas partagée par tout le monde. En plus, l'appel, dans son contenu, était dicté par la conjoncture. Il ne portait, donc, aucun projet.

L'idée serait elle donc définitivement abandonnée ?

Je ne peux pas répondre a cette question bien que mon souhait est que nous revenions a une formule qui s’apparente au MCB avec une actualisation de ses revendications et ses formes de fonctionnement. Moi, je soutiendrai toutes les initiatives porteuses, qui s'inscrivent dans le renforcement du combat amazygh.

Justement, tamazight a toujours été au centre de vos combats. Et vous avez un long parcours dans ce sens.

Oui, tamazight a constitué l'épine dorsale de mon parcours militant. Dés le début, dans les années 1960, alors que j’étais élève au primaire, et face à la médiocrité de l'enseignement dispensé par des Égyptiens imprégnés de valeurs qui nous paraissaient déjà dépassées et racistes, ceci, dans le contexte de guerre qui opposait le FFS au pouvoir central qui s'en prenait aux populations, j'ai vite pris conscience de l'arbitraire dont on était victimes en tant que Kabyles. Elève en sixième, j’étais l'un des instigateurs d'une gréve au collège de Larba Nath Irathen au printemps 1968, d'une gréve suivie d'une manifestation à Ath Yani en 1970 et au lycée Chihani Bachir en 1971. Nous nous opposions à l'arabisation des programmes scolaires. Militant de l'académie berbère très jeune, j'ai vite épousé le combat identitaire au point de quitter le PAGS aussitôt après l'avoir intègré en 1972 en raison des positions de ce parti par rapport à la question amazighe. A partir de l'année 1975, j'ai contribué à la fondation de plusieurs organisations politiques clandestines de gauche qui portaient, toutes, la revendication amazighe dans leurs programmes. C'est d'ailleurs de ces organisations que sont issus beaucoup d'acteurs et de cadres du mouvement 1980.

Il y a là de quoi écrire tout un livre...

Oui, et ce n'est pas pour faire ma propre promotion mais pour raconter le combat mené par beaucoup pour tamazight. J'ai déjà écrit une bonne partie de de récit mais il me reste a réunir encore toute la documentation nécessaire pour étoffer cet ouvrage.

Au-delà de cet ouvrage, avez vous d'autres projets ?

Assurément. En dehors de mon activité militante quotidienne, j'ai en projet l’organisation de plusieurs festivals un peu partout en Kabylie à l'image de celui que nous avons réussi l'été dernier dans l'Akfadou, dont l'objectif premier est de réconcilier les populations avec leurs histoire. Le pouvoir a tout fait pour couper ce cordon ombilical. Sur le plan de l'écriture, je suis sur une réflexion autour du MCB. Par ailleurs, je prépare un documentaire, qui est d'ailleurs presque achevé, sur le parcours de Tahar Salhi, qui a combattu dans l'ALN et dans le FFS de 1963. Un autre film documentaire est aussi en préparation, cette fois-ci, sur Kamel Tarwihth.

Pourquoi un documentaire sur Tarwihth ?

Je dois d'abord préciser que ce n'est pas parce que c'est un ami ou parce que j'interviens sur BRTV que j'ai pensé a faire ce travail. La complaisance n'est pas mon genre. Kamel Tarwiht est pour moi un cas d'école. Je suis fasciné par le personnage. Nonobstant ses brillantes études universitaires, kamel Tarwiht est pour ce qu'il a été et ce qu'il est devenu un pur produit de la culture kabyle. Il cumule des qualités et des talents qu'il ne doit qu'à son génie et à son immersion dans la culture profonde kabyle depuis sa petite enfance. C'est un phénomène culturel en lui-même. A ce titre, il mérite l'intérêt. Les Kabyles l'adorent et voient en lui un digne porteur de leur identité culturelle.

Dernière question, avez- vous une opinion sur l'avenir de la Kabylie

Je ne lis pas dans une boule de cristal. L'avenir de la Kabylie sera ce que ses enfants en feront. Notre souhait est qu'elle retrouve la paix, le progrès et l'esprit écologique en évoluant de plus en plus vers l'affirmation de son identité propre dans le cadre de Tamazgha.

Propos recueillis par Samir Ait Ghali

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Commentaires (5) | Réagir ?

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mohand tawdect

Ya si Mokrane, le MAK vient de confirmer qu'il s'avère être le seul parti capable de restaurer la personnalité kabyle ; autrement dit les autres partis présumés kabyles ont montré leurs limites rongées par leurs accointances et leur narcissisme viscéral. Il est bon que tu saches aussi que dans les forums qui traitent de la Question il y a des personnes qui savent lire, décoder et dénoncer les intentions sournoises et malveillantes.

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Hend Uqaci Ivarwaqène

Y'a t-il un exègète ou un fqih dans la salle pour mspilki sk safidir?

« Le terrain est parlant, il ne faut pas le borner à la Kabylie où l'apparence d'un reflux semble gagner quelques esprits. »

« Notre souhait est qu'elle retrouve la paix, le progrès et l'esprit écologique en évoluant de plus en plus vers l'affirmation « DE SON IDENTITE PROPRE DANS LE CADRE DE TAMAZGHA »

Je ne peux pas répondre a cette question bien que mon souhait est que nous "revenions" a une formule qui s’apparente au MCB avec une actualisation de ses revendications et ses formes de fonctionnement.

C'est d'où que c'est qu'on va reviender exactma?

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