Grèce : vers un nouveau paradigme pour rembourser les dettes publiques ?

Alexis Sipras, premier ministre grec.
Alexis Sipras, premier ministre grec.

La nouvelle interdépendance et l’interconnexion des systèmes financiers planétaires demandent de repenser la manière de concevoir les dettes publiques. Le cas de la Grèce est un bon exemple de l’utilité de ce changement de paradigme pour tenir compte des situations extrêmes qu’entraîne cette nouvelle donne.

Le mouvement de mondialisation en cours permet la concentration de la richesse dans les mains de personnes physiques et morales. Entre 2010 et 2014, la fortune nette des 80 personnes les plus riches du monde a augmenté de 600 milliards de dollars américains, pour totaliser 1900 milliards. C’est l’équivalent des avoirs des 3,5 milliards de personnes les plus pauvres de la planète. En 2014, 20% des gens les plus riches détenaient près de 95% des richesses. Actuellement, plus de 1800 milliardaires se partagent plus de 7000 milliards de dollars. Oxfam prévoit d'ailleurs que d'ici 2016, le 1% des personnes les plus riches détiendra plus de 50% de toutes les richesses mondiales. La progression de cette concentration du capital est fulgurante et aucun mécanisme n’existe actuellement pour l’empêcher. Le paradigme actuel de gestion des actifs mondiaux est dépassé.

Un bon exemple de cette situation est le problème qu’entraîne cette mondialisation sur les dettes des États. L’argent s’accumule souvent dans les paradis fiscaux plutôt que de servir à améliorer le bien-être de la population. Beaucoup de pays voient donc les ressources vitales pour leur population être drainées par un très petit nombre d’individus qui internationalisent leur fortune. Le Forum économique de Davos de 2014 a dénoncé la montée des inégalités dans le monde comme un des principaux enjeux qui préoccupaient les décideurs de la planète. Cette disparité de richesse entre les pays et les individus est déjà considérée par des organismes internationaux comme la deuxième plus importante menace pour la stabilité et la sécurité sur la planète.

Ce transfert d’argent public dans des comptes privés est particulièrement visible en Grèce qui incarne le concept de socialisation des pertes et de privatisation des profits. Sur les 207 milliards d’euros qui ont été versés à ce pays pour l’aider à gérer sa crise financière, 58 milliards ont servi à recapitaliser les banques, 101 milliards ont payé les créanciers de l’État grec qui sont aussi des banques et 35 milliards ont servi à payer les intérêts sur les bons du Trésor. Si les possesseurs internationaux des richesses du pays ont été indemnisés, la population grecque la plus pauvre vit depuis 2008 avec des mesures d’austérité drastiques. La dette nationale est donc passée de 120 à 175 % du PIB entre 2010 et 2015, soit environ 320 milliards d’euros.

En conservant les proportions déjà connues de la distribution de la richesse entre les divers groupes sociaux dans le monde, environ 256 de ces milliards d’euros pourraient être considérés comme la responsabilité du 5% les plus riches des parties prenantes nationales et internationales dans ce dossier. C’est à eux que cet argent devrait être réclamé, pas à la population qui s’est non seulement fait prendre ses avoirs, mais doit maintenant rembourser ceux des autres. Si l’on peut considérer qu’il serait injuste d’effacer l'intégralité de la dette grecque, c’est une autre injustice que de demander aux citoyens de ce pays de la payer en entier. Un rééquilibrage plus juste des charges entre les nouveaux groupes sociaux planétaires devient une priorité.

Face à cette problématique, un nouveau paradigme de gestion des dettes d’État est nécessaire. Les populations de la planète doivent pouvoir récupérer l’argent public qui dort dans les paradis fiscaux. Le secret bancaire est un luxe que le monde ne peut plus se payer en 2015. L'accord du 20 février donnait quatre mois à Athènes et à ses créanciers pour trouver un nouvel accord durable. L’Europe est donc exceptionnellement bien placée pour créer ce nouveau paradigme de récupération de la richesse. Des pays comme le Portugal, l’Irlande et l’Espagne bénéficieraient grandement de ce nouveau paradigme de gestion qui responsabiliserait financièrement les parties prenantes les plus riches à la dette publique qu’ils causent.

La création de ces nouvelles normes de gestion de la dette publique risque de faire des remous. Continuer avec celles qui existent actuellement risque cependant d’être pire. En plus de créer des fractures sociales importantes, les problèmes économiques actuels poussent plusieurs États à se protéger en regardant vers des regroupements de pays émergents et de nouveaux systèmes économiques comme ceux du BRICS. Il n’est pas anodin que la présidente argentine Cristina Kirchner vienne de faire une visite officielle à Vladimir Poutine pour signer des accords avec la Russie. Cette surprenante coopération entre deux pays qui étaient politiquement aux antipodes il n’y a pas longtemps est liée directement aux faiblesses de l’actuel paradigme de gestion des dettes publiques et la situation va aller en s’empirant s’il n’est pas changé rapidement. La manière dont la Grèce sortira de sa crise est un enjeu extrêmement important pour l’avenir de l’Europe. La forme que prendra la gestion de cette situation est toute aussi importante pour le futur de la planète.

Michel Gourd

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Ilyes Negadi

La crise de la Grèce fait toujours souffrir l'euro, outre la décision de l'ECB, et pourtant en Algérie l'euro ne saisse de grimper...