"Timlilit di 1962" (Rencontre en 1962), un roman de Aumar U Lamara

Toute l'histoire du roman est partie de cette photo de maquisards de la wilaya III.
Toute l'histoire du roman est partie de cette photo de maquisards de la wilaya III.

Aumer U Lamara vient de sortir aux Editions Achab (Tizi Ouzou) un roman en kabyle. Tout débute à partir d'une photo de maquisards, comme ces milliers de clichés anonymes pris dans les maquis. Des photographies qui figent pour la postérité des hommes parfois inconnus ou oubliés. L’auteur revient ici sur l’histoire de ce roman.

Timlilit di 1962 est un roman basé sur un fait historique réel qui s'est déroulé au printemps 1962, soit quelques jours seulement après la signature du cessez-le-feu en Algérie…

L’histoire. La fin des sept ans et demi de guerre a rendu espoir à la population, laminée, usée et épuisée par les innommables épreuves qu’elle a subies. Dans le sillage de cet élan de joie libéré, un immense rassemblement de la population de Haute Kabylie a eu lieu, entre le 19 mars et la mi-avril 1962, dans la vallée de Bubhir. Partie d'un petit village des At Yehya, la foule avait grossi de village en village, de tribu en tribu pour se retrouver, telle une déferlante, dans cette vallée, Tazaghart, qui était quelques jours auparavant une zone interdite.

Parmi le groupe de maquisards qui accompagna cette foule se trouvait un officier de l'ALN, un des rares rescapés parmi les pionniers du 1er novembre 1954. Cet officier trouva les mots justes pour parler à la population, des mots pour panser les blessures et apaiser les souffrances immenses des sacrifices endurés par le peuple algérien ; il exprima ensuite les attentes et les espoirs sans limites de ce jour nouveau…

Bien évidemment, en ce jour d'avril 1962, il n'y avait pas encore le coup de force de l'armée stationnée au Maroc et ses milliers de morts (désigné à tort par «Guerre des wilayas»), le putsch de Ben Bella, l'invasion de la Kabylie par l'armée des frontières, la guerre des sables, le monopole du pouvoir par le FLN, l'imposition de l'arabo-islamisme, les injustices et les spoliations sans fin, le printemps amazigh de 1980, les massacres de milliers de jeunes en octobre 1988, l'apparition des barbes-FLN et de leur sous-produit l'intégrisme du FIS et de ses sous-traitants responsables des dizaines de milliers de morts, le printemps noir de 2001 et ses 121 assassinats, la corruption débridée et la vassalisation du pays envers les mirages des déserts orientaux...

Le roman

Près de vingt ans après cet évènement de 1962, Salem reçoit un email dans lequel était jointe une photographie qui avait été prise à ce rassemblement. Il eut beaucoup de mal à reconnaître, parmi les personnages de cette photographie, l'un de ses proches, qu'il venait de connaître. Salem, assis dans le hall d'embarquement de l'aéroport, fixa alors chacun de ces visages et essaya d'imaginer, en creusant dans ses propres souvenirs de la guerre et de la vie d'antan dans son village, le parcours de chacun des personnages qui y étaient alignés et certains souriant au photographe.

En partant de l'allure générale de chacun, de la coiffure, tête nue ou portant béret, de la tenue vestimentaire civile ou militaire, de l'arme au pied ou mitraillette en bandoulière, Salem ne tarda pas à mettre presque un nom, une famille et une histoire propre à chacun. Salem se retrouva tout d'un coup devant treize vies de combat, de souffrances et de mille espérances sur ce trajet sinueux qui les mena tous, aux sons des chants et des youyous, jusqu'à cette vallée de Tazaghart qui reprit soudainement vie.

Dans la confusion, entre le vécu et son imagination, Salem ne pouvait déterminer avec certitude s'il était acteur au milieu de ces personnages, dans les villages brûlés, les combats meurtriers, les centres de torture improvisés par les paras, les longues journées dans le silence des casemates, ou bien observateur distant, témoin malgré lui.

Lorsque Salem se leva de son siège dans cet immense aéroport pour prendre son avion, il ne savait plus si c'était bien lui ou un autre personnage qui avait emprunté son corps et son identité et se mouvait avec hésitation, dans le passé et le présent, le long des couloirs lumineux…

Salem entendait alors résonner dans sa tête quelques paroles de l'officier survivant :

"Nekmen achal di tesrafin akked tmara akken ad nedder, ad tedder tmurt nnaγ. Neffer di tillas γas nekkni nhemmel tafat. Nekna, nemmured di ddiq akken azekka ad bedden tiddi nsen warraw nnaγ, ad ddun d imdanen i tafat di tmurt nsen..." (nous avons tenu dans la contrainte et les casemates obscures pour pourvoir survivre et que puisse vivre notre pays, nous étions reclus dans l'obscurité alors que nous aimons la lumière plus que tout, nous avons rampé dans l'adversité pour que demain nos enfants puissent vivre debout dans leur pays...).

A. U. L.

Plus d'articles de : Culture

Commentaires (6) | Réagir ?

avatar
tahar foli

merciiiiiii

avatar
Kichi Duoduma

Nous sommes forts, dis donc, nous autres kabyles !... « Près de vingt ans aprês 1962 », c’est à dire vers 1982 ou même un peu avant, on s’envoyait déjà des photos par email ya m’haynek !...

PAP ! PAP ! PAP !... Je suis gonflé de fierté ethnique !...

Mais... je ne veux pas paraître négatif, alors bravo quand-même pour vouloir écrire d’abord et pour le faire ensuite !

visualisation: 2 / 6