Mehdi Bsikri : "Le temps des expérimentations en Algérie est fini !"

Mehdi Biskri lors de l'une de ses arrestations par la police.
Mehdi Biskri lors de l'une de ses arrestations par la police.

Mehdi Bsikri, militant anti-fracturation hydraulique, s'exprime ici sur ce qui se passe dans le sud.

Pourquoi vous mobilisez vous contre une exploitation du gaz de schiste dans les bassins sahariens? Quels sont les risques concrètement?

La mobilisation contre l’exploitation de gaz de schiste est d’ordre national, pas seulement les bassins sahariens. Les risques sont connus, d’autant plus que les expériences aux Etats-Unis le démontrent clairement. L’exploitation de gaz de schiste n’est pas rentable économiquement. L’exploitation de cette énergie non conventionnelle aux Etats-Unis a été décidée pour des considérations géostratégiques et non économiques. Le modèle américain ne peut être calqué en Algérie pour plusieurs raisons.

Cette précipitation pour exploiter le gaz de schiste est incompréhensible, même si des lectures politiques peuvent être avancées. Le pays dispose encore de gisements conventionnels pour une durée minimale de 40 ans.

Les investissements pour extraire le gaz de schiste sont très coûteux. Le forage d’un seul puits peut coûter 15 millions de dollars. Mais comme les capacités d’un puits ne sont que de 55% la première année et qui se réduisent les années suivantes (sur 4 ans, la durée de vie d’un puits non conventionnel), il deviendra nécessaire de forer des milliers de puits. Sur ce point, additionnons les investissements, qui se chiffreront en milliards de dollars. Restera également à savoir que sera le seuil de rentabilité. Pour l’exemple algérien, il faudra vendre le gaz à 15 dollars le million de BTU. En prenant en compte les prix du gaz actuel, notamment ceux du marché spot (marché libre), l’Algérie vendra son gaz à perte, puisque le seuil actuel est d’une moyenne de 10 dollars. Et la chute récente des cours du brut est un avertisseur, notamment lorsqu’on sait que le prix du gaz est indexé sur celui du pétrole.

D’autre part, il y a le risque écologique. L’Algérie dispose de la nappe phréatique la plus importante dans le monde. Toujours en prenant en compte des exemples américains, dont les compagnies sont censées maîtriser les risques, ce qui n’est pas toujours le cas, pourquoi s’aventurer et mettre en péril toutes ces eaux souterraines. La fracturation hydraulique est le seul procédé pour extraire le gaz de schiste, et nécessite l’utilisation de milliers de produits chimiques, dont certains sont cancérogènes.

Ces eaux sont la véritable richesse de l’Algérie. En les utilisant pour des projets entrant dans cadre d’une agriculture et d’un développement durable, le pays peut sortir de la dépendance alimentaire à tire d’exemple. En même temps, les lourds investissements que prévoit de dégager le gouvernement pour l’exploitation de gaz de schiste, sont à investir, outre l’agriculture, dans la création d’un tissu industriel respectueux de l’environnement, et dans la création de PME-PMI, l’artisanat, le tourisme etc,, des projets rentables économiquement et qui sont créateurs de richesses et d’emplois. En résume, utiliser la rente pour sortir de la rente.

Notons également que ce projet d’exploitation de gaz de schiste bénéficie seulement aux multinationales, puisque elles sont pour le moment les seules à posséder la technologie pour exploiter le gaz non conventionnel. Et pour preuve, le 4e appel d’offres d’ALNAFT montre que des multinationales ne sont pas intéressées pour investir dans ce projet, mais elles veulent seulement vendre le matériel de forage.

Que faut il donc faire selon vous? Tout stopper ou pousser le gouvernement et les entreprises pétrolières à davantage de communication?

Quand nous nous sommes opposés à ce projet d’exploitation de gaz de schiste, nous ne l’avons pas fait pour des raisons idéologiques, mais pour les raisons que j’ai cité plus haut. Il s’agit de pragmatisme et d’alerter l’opinion publique que ce projet n’est pas rentable économiquement et il constitue un danger sur les eaux souterraines. Il faut à mon avis enclencher un véritable débat national sur la politique économique du pays et sur la politique énergétique. C’est ce que j’ai toujours défendu comme idée. Cette question dépasse les idéologies. C’est l’avenir de toute une nation qui est en jeu. Personne n’a le droit d’hypothéquer l’avenir des générations futures. Les Algériens de demain seront aptes à décider si il faut exploiter le gaz de schiste ou non, car, comme souligné par certains experts algériens, il faut attendre que le process soit mature, rentable économiquement et sans risques sur l’environnement. Pour le moment, l’Algérie possède pour au moins trois décennies des gisements conventionnels, ceci sans oublier que plus de la moitié du domaine minier algérien n’a pas encore été exploré.

Quelles sont les alternatives énergétiques ?

Les alternatives énergétiques existent. Elles peuvent être abordées et expliquées dans le cadre du débat national sur la politique énergétique. Le principe est de laisser chaque compétence parler des expériences et de proposer ce qu’il y mieux à faire. Il faut libérer la parole. C’est un principe démocratique non négociable. L’énergie solaire, éolienne, marine, sont des alternatives à long terme. Je pense qu’il faut juste encourager la recherche nationale dans ce sens. Ce ne sont pas les compétences qui manquent dans le pays. Si le pétrole et le gaz continueront pour longtemps à alimenter l’énergie locale, ce n’est pas une raison pour occulter les possibilités de se lancer dans les énergies renouvelables. Mais aujourd’hui il est nécessaire de limiter le gaspillage et de revoir les subventions des prix du gasoil et de l’essence. Ce sera un gage de bonne volonté.

Pour finir, les multinationales doivent comprendre que le temps des expérimentations en Algérie est fini.

C.P.

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Commentaires (3) | Réagir ?

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departement education

merci

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fateh yagoubi

oui

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