Ali Benflis : "Le pays devient de plus en plus ingérable"

Ali Benflis.
Ali Benflis.

Ali Benflis vient de rendre publique une déclaration incendiaire contre l'immobilisme du régime et ce qu'il fait courir comme risques de dislocation à tout le pays. Synthèse.

L’impasse. Notre pays "est, en ces heures-ci à la croisée des chemins. A cette croisée des chemins, il y a une impasse dans laquelle un régime politique finissant veut maintenir notre pays ; mais à cette même croisée des chemins, il y a aussi la voie de la réforme et du renouveau qu’offre une opposition nationale unie, clairvoyante et déterminée. L’Algérie est désormais mise face à des choix simples mais cruciaux ; le choix entre un type de régime politique obsolète et un régime politique de son temps ; le choix, aussi, entre un régime politique qui lie le devenir de toute une nation au destin d’un pouvoir personnel et un régime politique où le peuple se réapproprie la maitrise de sa propre destinée et avec elle celle du pays qui est le sien ; le choix , enfin, entre un régime politique dont la nature est associée à l’immobilise et à la régression et un régime politique porteur de perspectives d’avenir et de motifs d’espoir."

Vacance du pouvoir. "J’ai déclaré, aussi, que face à une telle situation inédite tout ce que compte notre pays comme institutions, comme administrations et comme structures de toutes sortes seront plus occupées à gérer cette vacance du pouvoir qu’à assurer une saine gestion des affaires publiques. J’ai déclaré, enfin, que cette vacance du pouvoir allait aggraver la crise de régime et qu’elle allait mettre en danger la pérennité de l’Etat national, la cohésion de la Nation ainsi que la stabilité et la quiétude de notre société. J’aurai voulu que les développements enregistrés depuis la dernière échéance présidentielle rendent mes craintes injustifiées. Malheureusement cela n’a pas été le cas. La crise de régime s’étale sous nos yeux dans toute sa plénitude et elle s’aggrave à un rythme qui était, je l’avoue, difficile de soupçonner ou de prédire."

Sans guide. "Première source de cette crise de régime, la vacance du pouvoir devient de jour en jour plus ingérable y compris pour ceux qui ont fait de sa seule gestion leur priorité absolue et leur objectif ultime. Le pays n’a plus de guide ; il n’a plus de visibilité quant à son devenir ; il n’a plus de perspectives autres que celles que lui offre un régime plus attaché à sa survie que soucieux du sort de toute une Nation ; et en ces moments où s’amoncellent les périls politiques, économiques et sociaux nul ne sait qui est aux commandes de l’Etat ni où se situe le centre de la décision nationale et qui la prend."

Tensions. "Les effets ravageurs de cette vacance du pouvoir vont delà du seul sommet de l’Etat. Ils s’étendent au gouvernement qui, ne se réunissant quasiment plus et n’étant plus dirigé et instruit, voit ses performances se situer en deçà des exigences de la simple gestion des affaires courantes.

Comment expliquer que des foyers de tensions et de crises dans de nombreuses régions de notre territoire apparaissent, persistent et dégénèrent sinon par une vacance du pouvoir qui s’accommode d’un gouvernement défaillant, désorienté et livré à lui-même ? Au total donc, la vacance du pouvoir, c’est un sommet de l’Etat absent et avec un sommet de l’Etat absent c’est un gouvernement qui ne gouverne plus. Et comme résultante inévitable de cette double donnée, notre pays, ne sait plus où il va et notre peuple ne sait plus quel est le sort qui lui est réservé.

Lorsqu’un pouvoir personnel fait primer le souci de sa durée sur toute autre considération et lorsqu’un régime politique place ses intérêts propres au-dessous de l’intérêt général, l’aboutissement d’une telle logique ne peut être qu’un Etat fragilisé, une Nation menacée dans sa cohésion et une société dévitalisée. C’est là que résident les véritables menaces et les ressorts de l’instabilité qui guettent notre pays."

Révision constitutionnelle. "Qu’y a-t-il de changé pour que l’opposition nationale reconsidère sa décision ? A mes yeux absolument rien. Permettez-moi d’être plus explicite à ce sujet.

  • Premièrement, le projet de révision constitutionnelle relève d’une décision unilatérale et d’un objectif de diversion par lesquels le régime politique en place vise à éloigner les regards de la crise du régime actuelle et de la vacance du pouvoir qui en est le moteur.
  • Deuxièmement, la révision constitutionnelle n’est d’aucune façon une panacée à cette crise de régime. Le régime politique en place a si souvent enfreint, ignoré ou même violenté la constitution qu’il est difficile de croire que sa simple révision puisse introduire des changements significatifs et crédibles dans la nature du pouvoir politique, dans ses pratiques et dans ses comportements.
  • Troisièmement, ce n’est pas la Constitution qui est au cœur de l’impasse politique actuelle mais bien, d’une part, un pouvoir personnel devenu incapable d’assumer toutes les prérogatives constitutionnelles qu’il a monopolisés et un régime politique non-démocratique qui a fait son temps et auquel il faut mettre un terme pour le bien de notre peuple et dans l’intérêt de notre pays.
  • Quatrièmement, la Constitution dont la République aura à se doter, devra nécessairement intervenir dans le contexte plus large d’un règlement de la crise de régime et de l’organisation d’une transition démocratique véritable. Le pouvoir politique en place et les institutions qui parlent et agissent en son nom sont dépourvus de légitimité et de représentativité démocratiques.

Moralement, politiquement et juridiquement, ils n’ont donc ni vocation, ni capacité ni mandat à faire de la loi suprême de la République ce que bon leur semble

  • Cinquièmement, comme toujours le régime politique en place pourra opérer le passage en force dont il est coutumier et imposer la Constitution qu’il se sera taillée à la mesure de ses intérêts conjoncturels et de ses calculs à courte vue.

Mais tout compte fait, une telle Constitution ne sera pas la Constitution de la République mais seulement la Constitution d’un régime politique désorienté et perdu. La véritable Constitution de la République devra alors attendre mais son heure viendra inéluctablement."

Violations des droits de l‘homme. "En plus d’une décennie et demie ce régime politique a apporté les preuves suffisantes de son dédain pour les droits et les libertés; il a fait l’ample démonstration de son allergie à la pensée différente, aux positions critiques et aux oppositions politiques quelle qu’elles soient ; il n’est à l’aise que lorsqu’il n’est responsable devant personne et lorsqu’il n’a aucun compte à rendre.

Dès lors, il ne peut que surprendre et susciter l’incrédulité lorsqu’il prétend que son projet de révision constitutionnelle vise à consolider les libertés, à élargir les droits et à conforter le rôle de l’opposition nationale."

Parti politique. "Comment le croire alors qu’au quotidien ses comportements démentent ses intentions déclarées ? Les libertés et les droits ont-ils cessé un seul jour d’être harcelés ? Et la véritable guerre d’usure menée à l’opposition nationale a-t-elle jamais connu une trêve ?

Je suis bien placé pour répondre par la négative à toutes ces interrogations. Comme vous le savez, mes compagnons et moi-même sommes engagés dans la création d’un parti politique. Près de six mois auront été nécessaires pour le simple dépôt du dossier constitutif de ce parti. A la demande infondée de l’Administration nous avons dû pour cela changer le nom du parti- de Front des libertés à Avant- Garde des libertés. Nous avons dû aussi modifier en un ensemble d’engagements individuels l’engagement collectif de respect de la Constitution et des lois et de tenue du Congrès constitutif du Parti dans le délai d’un an à partir de la réception de l’autorisation administrative accordée à cet effet.

Dans des déclarations précédentes, j’ai informé notre opinion publique que le changement du nom de notre parti n’avait pas lieu d’être. Contrairement à ce que prétendait l’administration, nous nous étions soigneusement assuré que la dénomination retenue n’était pas déjà celle d’une formation politique existante.

(…) Quant à moi, je sais parfaitement que le dépôt du dossier constitutif de notre Parti n’est que la toute première étape d’un long parcours parsemés d’obstacles. Mes compagnons et moi-même ferons face à ces obstacles avec la détermination d’exercer un droit constitutionnel et non de réclamer un privilège ou une faveur.

La crise de régime que nous subissons a mené le pays à une impasse politique, économique et sociale. Cette impasse est réelle ; elle est incontestable ; toutes ses manifestations sont visibles à l’œil nu. Quelles sont ses manifestations les plus criantes et les plus graves ? J’en perçois clairement quatre qui me semblent essentielles et lourdes de péril pour la stabilité et l’intégrité de l’Etat national qui est notre bien commun le plus précieux.

  • Premièrement, il y a le fait que notre pays n’est plus dirigé et n’est plus gouverné. Il n’est plus incarné ni à l’intérieur ni à l’extérieur. A l’intérieur, les manifestations, les émeutes et les foyers de crises et de tensions qui se multiplient dans des régions entières sont livrés au pourrissement et sont loin de faire l’objet d’un traitement et d’une prise en charge conformes aux exigences d’une gouvernance présente, clairvoyante, confiante et sûre d’elle-même.

A l’extérieur, et en particulier dans notre voisinage immédiat les périls s’alourdissent et les menaces s’amoncèlent alors que le premier responsable de la sécurité nationale est dans l’incapacité d’être à son poste et aux commandes du pays.

  • Deuxièmement, alors que l’impasse politique, économique et sociale est manifeste, nos gouvernants apparaissent impuissants face à elle et dans l’incapacité de produire des initiatives et des mesures convaincantes et crédibles pour en sortir notre pays. Les politiques de nos gouvernants, si elles existent, ont perdu en visibilité et en lisibilité. Le régime politique en place bloque les horizons et ferme les perspectives ; il se complait dans l’immobilisme et se contente de la gestion du statu quo. C’est en cela qu’il est lui-même l’artisan de l’impasse actuelle qui met en danger la stabilité du pays.
  • Troisièmement, le régime politique en place n’a pas de crédibilité aux yeux des citoyens tout-comme il n’a pas leur confiance. Le dialogue social est ainsi rompu et toutes les médiations sociales ont disparu avec lui. Le régime politique en place croit pouvoir décider et agir unilatéralement et autoritairement et s’en remet uniquement aux médiations clientélistes qu’il a substituées aux véritables médiations sociales pour lui servir de relais auprès des citoyens."

Contestations. "C’est dans la citoyenneté ignorée, dans le dialogue et la concertation sociale abandonnés et dans l’échec des relais clientélistes que le régime politique s’est choisis que résident les véritables sources de ces foyers de tension et de crise que sont devenues Ghardaïa, Touggourt, Ain Salah et Tamanrasset pour ne citer que les plus actuels.

  • Quatrièmement, le régime politique en place et les institutions qui le représentent de la base au sommet n’ont pas la légitimité requise pour pouvoir faire face à l’impasse globale actuelle avec la certitude qu’ils bénéficient de l’adhésion et du soutien de l’ensemble de nos concitoyens. C’est précisément cette absence de légitimité qui explique leur incapacité et leur impuissance face aux graves défis actuels que notre pays aura à relever tôt au tard."

Les attentes. "Attachons nous ici à l’essentiel c'est-à-dire au minimum que nous sommes en droit d’attendre du Gouvernement. Nous attendons de lui qu’il cesse de vouloir anesthésier nos concitoyens en prétendant que la crise énergétique actuelle n’aura pas des répercussions d’une exceptionnelle gravité sur notre pays. A un moment où nos recettes pétrolières s’effondrent de moitié, une telle affirmation amène, à tout le moins, à s’interroger sur le sérieux et la sincérité de ses auteurs.

Le pays ayant perdu la moitié de ses rentrées pétrolières, nous attendons aussi du Gouvernement qu’il nous dise avec franchise et rigueur quel est l’objectif global d’économie que le pays devra viser pour compenser cette perte considérable de recettes.

Les économies à faire étant chiffrées, nous attendons du Gouvernement qu’il nous informe en toute transparence et en toute honnêteté sur les domaines, les secteurs et les activités qu’il aura identifiés comme source de ces économies à réaliser."

Diagnostic. "Permettez-moi de partager quelques constats avec vous à ce sujet.

  • Mon premier constat est que les cours pétroliers ont entamé leur chute à la mi-juin dernier. Pourtant, il aura fallu attendre le 30 décembre dernier- et l’obligation de signer la loi de finances- pour qu’un conseil des ministres en bonne et due forme se saisisse de cette crise. Sur cette longue période de six mois et demi, les autres pays producteurs de pétrole ont consacré des dizaines de conseils des Ministres ordinaires et extraordinaires à l’adoption de plans d’urgence les mettant en position de faire face à cette crise.
  • Mon second constat est qu’un conseil ministériel restreint informel - car il n’a pas d’existence dans notre schéma de fonctionnement institutionnel officiel- s’est tenu le 21 décembre dernier. Il n’aura servi qu’à ajouter de la confusion à la confusion ambiante puisque les rares mesures improvisées sous la pression qu’il a annoncées ont été vite démenties par le Conseil des Ministres du 30 décembre dernier.
  • Mon troisième constat est que durant le second semestre de l’année écoulée et alors même que les cours pétroliers s’affaissaient de manière vertigineuse notre loi de finances était en préparation. Pourtant, cette loi a été élaborée, discutée puis adoptée comme si la crise énergétique n’avait jamais existée. Rien n’a été ajouté ou retranché pour adapter les comptes da notre pays à la nouvelle réalité induite par la crise énergétique.
  • Mon quatrième constat est que tous les pays producteurs de pétrole affectés ont établi un diagnostic global et cohérent de la crise, évalué avec rigueur son impact sur leur économie et adopté des plans d’urgence pour y faire face. Sauf notre pays dont nous ne connaissons pas, à ce jour, le diagnostic de cette crise, qui ne nous a pas informés de son impact précis sur notre pays et dont nous ignorons tout de sa stratégie de riposte, si tant est que celle-ci existe.
  • Mon cinquième constat est que notre peuple est le premier concerné par cette crise car, tôt ou tard c’est de lui que seront sollicités les efforts et les sacrifices et c’est à lui qu’il sera demandé de s’acquitter de la facture de cette crise. Pourtant nos gouvernants se comportent envers lui comme s’il était non concerné par cette crise, comme s’ils n’avaient pas le devoir de l’informer honnêtement et sincèrement à propos de cette crise et comme s’ils pouvaient se passer de sa sensibilisation et de sa mobilisation pour y faire face dans les conditions les moins pénalisantes possibles."

Quelles conclusions ? "La première conclusion est que la grave crise énergétique actuelle est venue dévoiler les ravages d’une décennie de gouvernance fondée sur l’imprévoyance, le laxisme, le gaspillage et la prédation de nos précieuses ressources.

La seconde conclusion est que nos gouvernants n’ont en tout et pour tout qu’un seul plan B et qu’un seul plan d’urgence : il consiste à vider les caisses des réserves de change et du Fonds de Régulation des Recettes. C’est cela qu’ils appellent les amortisseurs des chocs de la crise.

La troisième conclusion est que le régime politique en place s’emploie à maintenir notre peuple dans l’ignorance des multiples retombées de cette crise de crainte que des comptes lui soient demandés.

La crainte que lui soient adressées les questions suivantes : ou sont donc passées les sommes colossales générées par une décennie d’opulence financière comme l’Algérie n’en a jamais connue ? A quoi donc ont pu servir toutes ces ressources financières puisque les vulnérabilités internes et externes de notre économie se sont aggravées et que sa dépendance à l’égard de l’étranger est devenue quasi-totale ?

Ma quatrième conclusion est que le régime politique en place est aujourd’hui dos au mur. Il avait déjà sur les bras une impasse politique à traiter ; il était déjà confronté à de dangereuses contestations sociales qui le dépassent ; et voilà que vient s’ajouter à toutes ces crises déjà bien lourdes, une autre crise née de l’effondrement de cours pétroliers qui le prive des moyens de continuer à acheter sa stabilité et sa survie.

Ma cinquième est dernière conclusion est que ce régime politique n’est désormais ni en position ni en capacité de faire face à toutes ces crises. Il lui manque pour ce faire la légitimité qui seule autorise la prise de décisions courageuses ; il lui manque aussi la crédibilité qu’il a perdu en se montrant plus attentif aux intérêts catégoriels plutôt qu’à intérêt général; il lui manque la confiance qui lui fait défaut auprès de nos concitoyens et qui lui aurait permis de les sensibiliser, de les mobiliser et de les rallier à sa démarche.

De ce triple fait, le régime politique en place n’a plus de projet pour le pays ; il n’offre plus de perspectives ni de raison d’espérer ; il s’est mis lui-même dans l’incapacité d’offrir des solutions à la grave crise globale actuelle dont il est devenu lui-même, également, un facteur d’exacerbation."

Synthèse de la déclaration d'Ali Benflis

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Commentaires (9) | Réagir ?

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karim haddad

je ne croirais qu'a la personne qui excluera de la constitution l'ideologie araboislamiste incarnée parles articles 2 et 3 de la constitution... qui obligera l'islam a sortir de la sphere publique pour se caser a la mosquee.. qui fera rentrer les militaires a la caserne.. qui fera boucler le fln et lugta au musee!!!sinon rien ne changera a vie!

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karim haddad

une question me taraude l'esprit:COMMENT A T ON DONNE DEJA DES AGREMENTS UNIQUEMENT A DEUX "OPPOSANTS"??? BENFLIS (MALGRE LA DESCENTE EN FLAMMES DU SYSTEME!) ET KARIM TABOU (QUI NE CRACHE PAS SUR LA SOUPE EN SE TAPANT 40 BRIQUES MENSUELLES A L'APNCROUPION SANS BOUGER LE PETIT DOIGT°,),, POURQUOI ACCORD EST DONNE A CES DEUX LA (BIENPREPARE A MON AVIS PAR QUI VOUS SAVEZ POUR FAIRE CROIRE QUE BEnFLIS ET TABOU SONT REELLEMENT CONTRE LE SYSTEME°) ET PAS A ghozalli et taleb el ibrahimi (QUE JE NE PEUX PAS PIFFER AU PASSAGE°,),,, ?

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