"El-Moudeber" ou retour vers le futur

après eux le déluge
après eux le déluge

Dis-moi grand-père, que s’est-il passé dans notre village ? Comment était-il de votre temps, et pourquoi les gens racontent que nos anciens sont la source de tout notre malheur ? Ils disent aussi que leur courage ne valait pas celui d’une poule.

Gedoui, le grand-père, avala le nœud qui enserrait sa gorge, il appréhendait cette question depuis bien longtemps. Il se tourna lentement vers son petit-fils, les yeux embués d’un liquide amer, amer comme l’était son cœur. Il entama son récit les yeux fermés, d’une voix assurée et lente, comme s’il remontait d’un puits un lourd fardeau.

- Tout avait commencé en l’an de disgrâce 90 ou 91, je ne sais plus, ma mémoire me fait défaut à présent, on l’appela par la suite "l’année des criquets verts"…

- Erigela était le nom de notre village, aujourd’hui je ne sais pas prononcer le nouveau nom.

L’histoire tumultueuse du village connut une petite éclaircie en ce temps-là. Les villageois commençaient à renouer avec ses prairies et ses plaines. Les richesses d’Erigela faisaient des envieux, son climat était paisible, comme ses villageois, qui étaient capables du pire comme du meilleur. Ils étaient travailleurs honnêtes et vaillants, pourvu qu’on sache les respecter. Bien sûr, il y avait bien quelques querelles, des jalousies entre familles, des différends entre l’ancienne génération et l’impatience de la nouvelle, et d’autres choses encore, rien de bien méchant pour ce que nous sommes devenus aujourd’hui.

Les champs étaient le bien de tous, et tout le monde y travaillait dans la solidarité. Le village ne laissait personne dans le besoin, c’était bien avant la malédiction. On venait juste de repousser une horde de loups impressionnante, au-dessus de nos forces, qui nous avait affamés durant des décennies et des décennies. La lutte avait vidé toute notre énergie.

Après plus d’un siècle de lutte, nous avions à peine le temps d’aspirer à un peu de repos, de détendre nos corps et nos esprits, que le destin nous accablait de nouveau. Une invasion de criquets, inconnus jusqu’alors s’abattit sur le village, dévastant tout sur son passage. Ces criquets appelés « pèlerins » avaient déjà sévis et réduit à la misère d’autres villages lointains.

Drapés dans notre insouciance, et la liberté retrouvée, nous nous pensions blindés, inaccessibles, inaccessible à toute contrainte venant de l’extérieur, nous avions payé le prix de notre l’indépendance. Nous exhibions notre bravoure comme un trophée, la vanité habita nos cœurs.

Pourtant, avant qu’ils ne s’abattent sur nous, des voyageurs avaient averti nos «sages», signalant la couvée de ces redoutables prédateurs à l’orée du village, ajoutant qu’il fallait absolument entreprendre une action préventive, les tuer dans l’œuf avant qu’ils ne se reproduisent. Nos «sages», qui nous dirigeaient à l’époque, dans leur ignorance et leur suffisance, n’en firent pas cas.

Les criquets arrivèrent pourtant, une nuit, que le village n’est pas près d’oublier. La lutte était inégale, ils étaient bien organisés, alors que nous étions toujours sous les draps de notre insouciance, ils s’abattirent sur nous telles des giboulées de feux, des nuées insaisissables se déplaçant d’un endroit à un autre, comme obéissant à un chef invisible, pour semer la désolation. Ni les sifflets, ni le vacarme des casseroles et autres ustensiles ne pouvaient les effrayer. Nos armes étaient dérisoires.

Certains disaient qu’il fallait ériger des barrages de feux, ce à quoi d’autres rétorquaient que le feu risquait de brûler les maisons et les villageois avec. Il y eut aussi ceux qui émirent l’idée de les laisser proliférer afin de les étudier, et trouver leurs points faibles afin de les éradiquer. D’autres décidèrent même d’émigrer pour d’autres contrées.

Quelques-uns des anciens, qui avaient gardé un peu de la mémoire séculaire de leurs aînés, déclarèrent, comme une prophétie, que ce fléau était le prélude à une grande malédiction. Cette prophétie n’était pas un vain mot, elle se réalisa, enchaînant malheurs sur malheurs. Qui n’a jamais connu une invasion de criquets ne peut comprendre les propos de mon récit.

Après avoir essayé toutes sortes de moyens pour nous défendre, les «sages» du village se concertèrent et décidèrent, en désespoir de cause de faire appel à un certain « El-moudeber ». Dans les mémoires égarées, personne ne se souvient d’ailleurs qui avait émis cette suggestion, c'est de l'histoire ancienne à présent.

Ce "El-Moudeber", était un expert en tout genre, capable d’après la légende qui l’entourait, de régler tous les problèmes. Son charisme, disaient les rumeurs avait dépassé notre contrée, mais personne ne pouvait s’aventurer à dire dans quelle discipline il excellait. Nos «sages», eux, savaient certainement, plus que nous.

C’était une sorte de "medium", capable de résoudre les situations les plus inextricables. Au début, Il se fit désirer, nos "sages" insistèrent. Il mit de longs jours avant de daigner nous répondre.

Puis, un jour on nous annonça sa venue, comme le Mahdi, pour nous sortir de cette malédiction. Les villageois étaient partagés, mais nos "sages" avaient décidé. Il n’est pas bon de contrarier nos "sages" nous savions depuis longtemps que leurs décisions, tenus en secret dans la maison du «majlis», étaient des décrets irrévocables. La démocratie pour eux était une notion néfaste pour le village. Ils se méfiaient, comme de la peste, des produits importés.

Nos "sages" n’étaient ni élus ni désignés, ils avaient instauré un système de cooptation opaque et fermé. A leurs yeux, nous étions encore des adolescents auxquels il faut épargner les tracas de la chose politique. Notre sauveur arriva enfin. Au début, il nous fît bonne impression, il présentait bien, il parlait bien, même mieux que nos "sages", qui eux, s’exprimaient rarement ou avec parcimonie, mais aussi avec dédain, quand il s’agissait de s’adresser aux sans grade, c'est-à-dire la majorité du village, qu’ils considéraient comme des sauvages et des fainéants.

Dès le début il a exigé qu’on le traite en hôte de marque, comme le sauveur au "mille miracles", sinon il repartait aussitôt, prodiguer ses talents ailleurs. Il nous fit bien sentir, avec une certaine arrogance, que nous étions des ignares et des incapables. Au fort de nous-mêmes, nous admîmes qu’il avait raison, par rébellion sans doute contres nos «sages», c’était notre petite vengeance de faibles.

Le jour de son arrivée, il n’était pas venu tout seul, une horde de conseillers, de mages et d’assistants en tout genre l’accompagnait, ainsi que tous les membres de sa famille. Certains, les plus mesquins, pensèrent tout bas à l’addition qui risquait d’être lourde, car il fallait bien nourrir et loger tout ce beau monde.

Mais nos villageois sont disciplinés, ils se dirent, si les «sages» avaient décidé ainsi, c’est que la situation était peut-être plus grave qu’on ne le subodorait dans les chaumières. Même ceux qui se sont hasardés à émettre des doutes sur le choix des «sages», et à dire que c’était peut-être un charlatan ou un imposteur, se sont vus rabrouer sans ménagement.

Nos "sages" n’en avaient cure, ils avancèrent même, que son cerveau était supérieur aux cerveaux de tous nos villageois réunis. On l’installa avec sa suite dans les meilleures maisons d’hôtes du village. Nous avions pensé alors, que son séjour chez nous était temporaire, le temps de nous aider à endiguer le fléau des sauterelles.

De surcroît, ce qui nous subjugua à l’époque, c’est qu’il ne réclama aucune rétribution ni compensation. Même les plus sceptiques finirent par admettre que cet homme était un saint envoyé des dieux, tu sais mon fils, le culte des saints chez nous, est une culture atavique.

Dès lors, beaucoup de légendes circulaient à son sujet, certains des «sages» qui l’avaient approché, confiaient que son étreinte ressemblait à celle de la mante religieuse enveloppant sa proie. D’autres disaient que ses mains transmettaient un fluide qui vous collait à la peau et au cerveau qui vous transformait. D’autres encore s’extasiaient de sa façon de vous tenir la main pendant qu’il vous pénétrait de son regard intense, ce qui vous rendait grand ou tout petit, selon sa volonté, disaient-ils. On lui avait prêté toutes sortes de vertus surnaturelles, même les plus naïves.

Au début, il reçut tous les «sages» ensemble, il leur tint un discours terrible, culpabilisant, fit montre de toute sa science pour noircir la situation, parfois cajoleur, parfois colérique, il impressionna l’assistance à tel point que la panique se lisait dans les yeux de nos «sages» à leur sortie de la maison du majliss.

Par la suite il insista de les recevoir tous séparément en tête à tête. Et pour une fois nos «sages» dérogèrent à la règle de la concertation. Personnes ne le comprit, ni ne le devina à en ce moment-là, mais ce fut le prélude à la division et la corruption des hommes. Il lui fut accordé les pleins pouvoirs pour nous sortir de cette malédiction.

Par la suite, le village médusé, assistait à un ballet de visiteurs jamais vus jusque-là. Sa maison grouillait de personnages venus de toutes les contrées du monde et de l’univers. Il y avait des mages, des sorciers, des druides, des envoûteurs, des magiciens, des équilibristes… C’était la première fois, de mémoire de villageois, que l’on voyait autant de costumes bigarrés, et parlant tant de langues.

On aurait dit la cour des miracles. Il y avait aussi des experts en tous genres, en criquets bien sûr, mais aussi en pyrotechnique, en géologie, en défense, en attaque, et même en comptabilité et en communication. Quelques érudits du village ont dit que les experts en comptabilité serviraient à compter les sauterelles, contrant ainsi les sceptiques qui s’avançaient dans des thèses plus farfelues.

Par contre les débats sur la présence des spécialistes en communication furent plus animés. L’explication la plus plausible vint, d’un cousin par alliance d’un des «sages», qui avait eu accès à l’information accidentellement. Selon sa thèse, il fallait bien établir une communication avec les criquets pour sonder leurs intentions, et peut être leur suggérer d’aller ailleurs, ou le cas échéant leur donner une compensation pour épargner nos champs.

Personne n’y avait pensé, même pas nos "sages", mais à leur décharge, qui aurait pu deviner au village qu’il pouvait exister des êtres humains capables de comprendre et de parler aux sauterelles ?

Ce cousin avait certainement raison, car quelques mois plus tard «El-modeber» nous fit un grand discours sur la place du village, pour nous annoncer que la négociation avec les criquets était bien avancée, et que ces derniers acceptaient de ne pas envahir toutes les terres du village contre la concession des champs en friche.

Stupéfaction au village, comme beaucoup de champs étaient en friche chez nous, les débats au sein de la communauté furent terribles. Comme toujours les pour et les sceptiques s’affrontèrent, et puis les divisions se multiplièrent dans tous les sens. Nos "sages" décrétèrent que si c’était le prix à payer, personne ne devait s’y opposer. Tout le monde devinait que leur décision était motivée par la crainte de le voir repartir, et de se retrouver seuls à affronter le village, et ainsi mettre à nu leur impuissance et leur ignorance. Par la suite, à contre cœur, de vastes territoires furent concédés aux sauterelles.

A ce moment du récit, Gedoui s’arrêta pour prendre une longue bouffée d’air pour avaler la boule qui maintenant descendait doucement, pour être digérée. A présent, ses larmes ont séché laissant place à un regard dur.

Le petit garçon profita de cette pause pour le questionner : "C’est quoi la différence entre les criquets et les sauterelles ?"

– Aucune mon fils, les criquets broutent les prairies, alors que les sauterelles sont en plus omnivores, tu sais, nos anciens disaient que le criquet est le frère de la sauterelle donc c’est la même espèce avec une couleur et une carapace différente» réalisant que lui-même ne s’était jamais posé cette question,

Il se racle la gorge et continue :

- Le village connut une brève trêve, d’autant que ces année-là, la nature fut généreuse et les récoltes aussi. Beaucoup d’entre nous virent un signe céleste à cette abondance, qu’ils attribuèrent bien sûr à notre saint sauveur.

Cette trêve ne dura pas longtemps car des nuées de sauterelles surgissaient parfois dans les champs non concédés. Alors, les villageois qui n’avaient jamais été au fait des accords conclus, manifestaient leur colère, et leur impatience. Les quelques sceptiques du début, disaient même que ce n’était qu’un petit "Boutedbira" ce qui était réducteur en rapport aux multiples dons qu’on lui prêtait.

Cependant "El-Moudeber" qui avait plus d’un tour dans son sac, nous soumis alors un autre plan. Celui-ci consistait à ériger d’immenses filets au-dessus de toutes les terres du village, soutenus par des piliers plus hauts qu’un immeuble de dix étages, avec des systèmes de détection très sophistiqués. Il proposa aussi que l’on ramenât de l’étranger une armée de gardiens spécialisés dans la chasse aux sauterelles, des choses que nous ne connaissions pas.

La solution était titanesque, au-dessus des moyens du village, même les ingénieurs importés dans les bagages de la faune bigarrée, qui gravitait autour de la maison du "El-Moudeber", émirent des réserves sur la réalisation de la tâche. Mais nos «sages» eux, lui étaient acquis à présent, les gens disaient qu’ils lui mangeaient tous dans la main. Et décidèrent même de le nommer chef des «sages». Et en effet, Ils acquiescèrent tous au projet, d’un hochement de tête, le dos courbé.

Et c’est "El-Moudeber" lui-même qui chargea ses conseillers et ses proches de sillonner le monde, et ramener les meilleurs filets, les meilleurs piliers et la meilleure technologie pour ériger cette défense, et d’importer une armée de gardiens spécialisés dans ce genre de lutte.

Le village s’endetta. Il s’endetta au-delà de ce qu’il pouvait imaginer. Une fois, un vénérable villageois, respecté pour sa clairvoyance, avaient émis, en public, des doutes sur toutes ces solutions à tiroirs qui nous ruinaient, et finiraient peut-être par coûter plus cher que les dégâts des sauterelles. Il raconta même une histoire sous une forme allégorique, celle d’un pauvre paysan qui trouva sa vache dans une mare de boue, embourbée jusqu’aux flans. Catastrophé,ce dernier fit appel aux villageois pour l’aider à l’en extraire, peine perdue, la tâche était impossible. On lui conseilla de faire appel à un certain «Hadj Mamba», réputé pour être mage, marabout, voyant, soigneur, médium et d’autres dons encore, pour sauver la vache. Ce dernier arriva avec sa smala. Pour les honorer le paysans égorgea les quelques poules qu’il avait pour leur offrir un déjeuner en signe de bienvenue.

Le reste de la journée se passa en visite à la vache embourbée, et en conciliabules interminables. Le soir venu, le paysan s’organisa tant bien que mal pour héberger et nourrir ses hôtes. Il sacrifia une de ses chèvres. La soirée se prolongea tard dans les incantations, les prières et les chants religieux.

Le lendemain fut la photocopie de la veille, ainsi que le surlendemain. Visite à la vache, incantations, lecture religieuses, déjeuner, dîner, conciliabules, prières. Le paysan égorgea sa dernière chèvre ainsi que la dernière poule. A présent il ne lui restait que sa vache qui était à bout, dans la boue. Enfin le quatrième jour Hadj Mamba déclama sa sentence : « cette vache est condamnée, que Dieu le miséricordieux lui accorde le paradis des animaux".

Le paysan affolé osa respectueusement : que faut-il faire cheikhouna ? Hadj Mamba déclara que la bête soit égorgée, sur place, selon le rite, et dépecée par morceaux pour sauver sa viande, et que le propriétaire offre un repas à tous ceux qui l’ont aidé dans cette épreuve. L’allusion était trop forte, le pauvre vieux fut banni à jamais du village.

Les décisions de nos "sages" sont sacrées, gare aux illuminées qui osent les contredire. Le village dès lors, ressemblait à une ruche ou d’incessants convois de toutes sortes affluaient de partout. Des va-et-vient ininterrompus de bateaux, de camions, de trains, remplis de toutes sortes de marchandises, ne cessaient de déverser sur nous des cadeaux empoisonnés.

C’est à partir de cette époque que le village a commencé à vaciller dans ses fondements. Les villageois étaient partagés sur tous les avis, les assemblées et les débats, étaient devenus des champs de batailles qui se concluaient à coups de poings et en invectives.

Ils y avaient ceux qui réclamaient le départ du "Moudeber", ceux qui s’opposaient à ses opposants, puis, ceux qui s’opposaient aux opposants des opposants à "El Moudeber", ensuite vinrent les révoltés contre les "sages" accusés d’être la source du malheur. La bataille fit rage, aussi entre les pour, et les contre les "sages".

Les "sages" entre eux, en firent de même, ils finirent par se séparer en clans opposés. Tout le monde s’opposait à tout le monde, nos cerveaux même sont devenus un champ de bataille, ou l’hémisphère droit ne reconnaissait plus l’hémisphère gauche. Nous avions perdu le nord et le sud. Les valeurs du village partaient en lambeaux. Les anciens ont appelé cette période, l’ère de la fitna. Puis une frénésie s’empara du village, elle avait pour nom le commerce.

Les premiers à s’engouffrer dans ce fléau, furent nos "sages" et leurs familles, puis tout le monde s’y était mis. On s’est mis à acheter chez les autres des filets, des clous, des fils de fer, des piliers, de l’outillage en tout genre, des gamelles, des assiettes, des chaussures, du papier toilette, par la suite des carottes, des pommes de terre, des crevettes, des vaches, des fruits, des chaussures, des chapeaux, toutes sortes de choses que nous pouvions fabriquer chez nous.

Le village est devenu un immense bazar de bric et de broc. Cette boulimie n’épargna aucun villageois, à tel point que personne ne s’était rendu compte, que l’on s’était aveuglé à protéger les champs, et qu’on avait oublié de travailler la terre. Cette terre généreuse, qui avait nourrie tant de génération, et attisa aussi tant de jalousies.

C’est alors que nous étions devenus des tubes digestifs alimentés par des bateaux, venus de villages lointains. On s’est mis alors à acheter nos légumes et notre nourriture, chez les autres. On emprunta, et emprunta encore, "El-Moudeber", notre sauveur, était là pour nous protéger. Ses conseillers s’arrangeaient pour nous trouver les meilleurs prêteurs et les meilleurs garants. On voulait assouvir nos manques et nos phantasmes. Nous nous sommes peu à peu éloigné de nous-même. La corruption, le vol, la prévarication, le mensonge, la trahison, et d’autres maux encore qui nous étaient étrangers jusqu’alors, devinrent une seconde nature chez nous.

Un jour pourtant la réalité nous rattrapa, et nous rappela à l’ordre. C’était un ordre de rembourser, qu’un huissier en tenue d’apparat, nous signifia de la part de nos créanciers, en des termes qui nous étaient étrangers et incompréhensibles. Les villageois, affolés par les dictats de la missive, se précipitèrent chez les "sages". A notre grand effarement, nous découvrîmes qu’ils avaient quitté le village sans même dire au revoir à leurs proches. La maison du "El-Moudeber" aussi, était désespérément vide, les portes et les fenêtres ouvertes aux quatre vents. La nuit s’empara de nous. Elle nous enveloppa de son de son grand drap de malheur.

Nous nous sommes réveillés un matin, la tête sans le cerveau et la main chez le notaire. Nous avons signé, signé, saigné, signé, saigné, jusqu’à la moindre parcelle.

Les jours suivants nous assistâmes à des spectacles étranges, les gardiens importés, spécialistes des criquets, réglaient la circulation, nous demandaient nos papiers, et rédigeaient des procès-verbaux, alors que la police du village avait disparue. L’administration avait changé de personnel.

Nos champs devenaient progressivement la propriété de nos créanciers, il y eut bien quelques résistances, qui ne furent que des coups d’épées dans l’eau. Et, nos "sages" et "El-Moudeber" n’étaient plus là pour nous protéger et nous guider. Nous nous sommes retrouvés tels les rejetons d’une marâtre. Nous avions perdu notre terre, et notre père nous avait trahis.

Nous sommes devenus sous tutelle comme des enfants abandonnés. La misère vint planter sa grande tente noire au village.

La misère nous était familière déjà depuis bien longtemps, nous nous pensions immunisés par les résistances ataviques que nous avions développées, mais la misère que dame nature nous infligeait est salvatrice, elle nous rend plus forts et humbles, pas celle venant des hommes.

A la décharge de "El-Moudeber" et de nos "sages" qui avaient profité de notre crédulité, et abusé de notre confiance, bien sûr ils sont partis comme des voleurs de bas étages, mais nous sommes les seuls responsables de notre catastrophe, par nos faiblesses et nos lâchetés.

Aujourd’hui mon fils, nous sommes devenus étrangers à notre village, nous n’avons pour seules ressources que notre force de travail, à la merci de nos nouveaux maîtres et propriétaires. Nos maisons ne nous appartiennent plus. Erigela a changé de nom, aujourd’hui je ne sais pas prononcer le nouveau nom qu’on lui a donné.

Voilà l’histoire de notre village mon fils, ceux qui disent à présent que les anciens ont manqué de courage, ont raison, mais il faut nous accorder votre clémence, car il est plus facile de se protéger d’un voleur, qui lui, prend des risques pour commettre son larcin, mais pas de l’escroc qui rentre chez toi en toute confiance, le Dieu qui nous a créé nous a doté de tant de moyens de défense (rendons lui grâce), il a oublié de nous prémunir contre la malice des hommes».

Le garçon regarda lentement son grand-père et osa la question qui le rongeait depuis un moment : "Et les criquets grand-père que sont-ils devenus par la suite?"

- Ils sont devenus pèlerins comme ils l’ont toujours étés, ils continuent leurs prédation sur des champs verdoyants ou en friches, mais mon fils, ce n’est plus notre souci, désormais nous n’avons plus de terre.

S. Ouidir

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Commentaires (3) | Réagir ?

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moh arwal

A y penser de plus prés, la conclusion me fait un peu froid dans le dos, J e me demande si on peu encore parler de patrie a nos enfants??

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sarah sadim

Belles métaphores sur ce Fakhamatouhou, son clan des marocains d'algérie et son Grégarisme tribal sectariste, comme ces Criquets, et oui, ce Moudabar est un leurre, les sages type Larbi Belkheir ou Toufik sont des résudus des démons, et le reste va suivre son cours:Personne n'échappera, qu'ils restent en algérie ou s'enfuit comme à leur habitude ailleurs.

Ca sera la meilleure solution ailleurs, alors ce seront des cibles improtégeables, hummm le monde est vaste et il restera à l'algérie toujours quelques dollars pour émettre son "Wanted mort ou vif", et pourtant ce sont les amis yankees de l'autre marocain né à Oujda chakib Khelil, qui nous ont appris cela.

Alors bete et méchant contre malin et fuyard.

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