Air Algérie : les dessous d’une affaire scabreuse

L'affaire Air Algérie/K'Air cache des passations de marché plus que douteux.
L'affaire Air Algérie/K'Air cache des passations de marché plus que douteux.

L’avion d’Air Algérie saisi à Bruxelles et le débarquement de ses passagers prennent les contours d’une nouvelle affaire d’une ampleur qui frise déjà le scandale diplomatique (*).

Les passagers du vol AH 2063 d’Air Algérie, reliant Bruxelles à Alger, ont été débarqués, vendredi dernier, manu militari par les autorités aéroportuaires. Accompagnées d’un huissier de justice, celles-ci ont mis à exécution une décision de la Cour internationale d’arbitrage obligeant la compagnie algérienne à rembourser à la société néerlandaise K’Air 2 millions de dollars. Contactées par nos soins, les deux parties en conflit, Air Algérie et K’Air, se renvoient les accusations et laissent croire que derrière ce contrat de cession de la vieille flotte d’Air Algérie, en juillet 2008, il y a anguille sous roche.

Les deux versions des faits avancées aussi bien par le PDG de K’Air, Abdelhamid Kerboua, ancien pilote algérien, que par Lemnouar Azzoug, cadre d’Air Algérie et représentant du syndicat de la maintenance, ainsi que le communiqué d’Air Algérie démontrent qu’il y a eu un cafouillage manifeste dans la gestion de ce dossier. Tout commence en juillet 2008, lorsque l’ancien patron d’Air Algérie, Ouahid Bouabdellah, signe un contrat de cession de la vieille flotte pour un montant de 13 millions de dollars. Le bénéficiaire de cette transaction, K’Air, décroche le gros lot parce que le contrat porte sur 2 Airbus A310-200, 12 Boeing 737-200, 6 Boeing 727-200, 7 Fokker 27-400 ainsi qu’un ensemble de pièces détachées, équipements, outillage spécifique et moteurs y afférents.

«Il faut dire qu’à l’époque, nous avions acheté la caverne d’Ali Baba», explique M. Kerboua, qui précise : «Le contrat prévoyait une avance de 2 millions de dollars et une fois le listing et l’historique des équipements achetés effectués, le paiement devait se faire en deux tranches. J’ai recruté 35 personnes et 5 étrangers pour organiser le listing et tenter de reconstituer l’état de toutes les pièces contenues dans les hangars de Dar El Beïda. Le travail a duré 8 mois, mais il n’a pu être achevé en raison de l’absence de l’historique. J’ai demandé à Air Algérie de m’envoyer ce document, mais en vain. La compagnie n’avait aucun document afférent à ce matériel. Les responsables nous ont montré un procès-verbal daté du 16 juin 2008, soit trois semaines avant que nous signions le contrat, faisant état d’une offre américaine de 14 millions de dollars, qui ne pouvait se concrétiser faute d’historique des équipements. Des mois après, Air Algérie a exigé le paiement des montants restants. Comment pouvions-nous acheter des équipements que nous ne pouvions même pas transférer à l’étranger ? Nous avons acquis ce matériel pour le rénover et le vendre ailleurs. De plus, dans le contrat, il est bien expliqué que la compagnie est dans l’obligation de nous remettre l’historique des pièces détachées. Nous avons refusé de payer le reste sans avoir l’historique. La compagnie nous a mis en demeure, mais nous ne pouvions payer faute de traçabilité. La compagnie a décidé de nous appliquer des pénalités de retard estimées à 2 millions de dollars. Vers la fin décembre 2009, nous avons eu écho, de manière informelle, de la résiliation unilatérale du contrat. Nous espérions que la compagnie nous rembourserait notre avance, mais en vain. Raison pour laquelle nous avons estimé légitime de saisir la Cour d’arbitrage internationale, le 17 mars 2011, afin de récupérer l’avance de 2 millions de dollars. Nous savions que le matériel avait été finalement vendu comme ferraille à un Algérien, à un prix symbolique, parce qu’il ne pouvait être exporté. J’ai exigé le remboursement des 2 millions de dinars.

La compagnie était incapable de produire les documents afférents au matériel vendu. Raison pour laquelle elle a été déboutée par la Cour d’arbitrage, dans sa sentence du 31 mars 2014, qui l’a sommée de rembourser la somme avancée par K’Air.» Campant sur sa décision, M. Kerboua «regrette» quand même que ses compatriotes soient débarqués d’un avion à Bruxelles. «J’ai tenu à ce que les passagers soient bien traités et l’avion mis dans un hangar que j’ai loué, afin que le pavillon algérien ne soit pas déshonoré. Lorsqu’Air Algérie me restituera mes 2 millions de dollars, je débloquerai l’appareil sans aucune hésitation. J’ai alerté le PDG de la compagnie au mois d’août, mais je ne voulais pas perturber le plan de charge en pleine saison estivale. Cependant, je ne peux plus attendre.»

Air Algérie, la saisie malgré le recours

Du côté d’Air Algérie, la version des faits est tout autre. Elle explique que la saisie de son appareil est la conséquence d’un litige l’opposant à K’Air «qui concerne un contrat de vente d’appareils réformés». Cependant, précise la compagnie dans son communiqué, «K’Air n’est pas parvenue à mettre en place le financement tel que prévu en dépit des facilités qui lui ont été accordées. Elle l’a mise en demeure pour faute d’exécution», poussant la compagnie à procéder à la résiliation du contrat de vente le 29 décembre 2009. «Par la suite, la société néerlandaise a engagé, le 17 mars 2011, une procédure d’arbitrage auprès de la Cour internationale d’arbitrage qui a rendu, le 31 mars 2014, une sentence condamnant Air Algérie. En conséquence, la compagnie aérienne nationale a engagé, le 7 mai 2014, un recours en annulation de cette sentence. En dépit de la procédure légale engagée par Air Algérie, la société K’Air a fait procéder par la justice belge à la retenue de l’appareil assurant le vol AH 2063.»

Air Algérie ajoute qu’elle a «entrepris les démarches légales auprès des juridictions belges et qu’elle veille à entreprendre toutes les actions en vue de dénouer cette situation dans les plus brefs délais». Evitant toute spéculation sur le sujet, la compagnie algérienne préfère ne pas déterrer les circonstances dans lesquelles le contrat de vente de sa vieille flottille a été signé puis résilié, avant d’être vendu à un ferrailleur constantinois au prix symbolique de 10 millions de dinars. Pourtant, l’ancien responsable du service maintenance, syndicaliste et cadre actuel de la compagnie, n’y va pas avec le dos de la cuillère pour lever une partie du voile qui entoure cette affaire.

«A l’époque, moi-même, en tant que syndicaliste, j’avais alerté les autorités sur la gestion scandaleuse de ce dossier. Le contrat de vente est inique et K’Air n’a pas respecté ses engagements. Comment peut-on céder à 13 millions de dollars de telles pièces, avions, équipements et moteurs ? La valeur des consommables, entreposés au garage principal, avait été estimée par des experts à 40 millions de dollars. Les pièces des Airbus valaient, à elles seules, près de 17 millions de dollars. Certains moteurs d’avion étaient neufs. Avec une avance de 2 millions de dollars, K’Air avait pris possession du matériel et des lieux, en faisant appel à une société étrangère spécialisée dans la récupération», déclare M. Azzoug.

«Le contrat avec K’Air était inique»

Et de préciser : «Pour dépanner les A330-200, Air Algérie implorait K’Air de lui fournir certaines pièces du magasin A310-200 ; certaines pièces se montent indifféremment sur les deux types d’avion, alors que les deux appareils libyens qui étaient en chantier au niveau de la base de maintenance n’étaient révisés que grâce au bon vouloir de K’Air.» Pour ce spécialiste de la maintenance, «à l’époque, la cession des pièces de rechange et autres outillages spécifiques aux flottes a enlevé à Air Algérie sa capacité à traiter ces types d’avion, alors qu’elle recevait des demandes importantes d’Afrique, du Moyen-Orient et même d’Europe. Comment pourrait-elle rentabiliser la base de maintenance qui a coûté 140 millions de dollars, si on brade ses moyens de production ? Les ateliers ont été confrontés à d’énormes difficultés pour réviser l’avion de nos amis soudanais, un B737-200. Les pièces entreposées au magasin central furent déstockées et emballées en vue de l’expédition. Il faut des jours, sinon des semaines de recherche pour trouver la moindre pièce ! La révision de cet avion aurait coûté les yeux de la tête aux Soudanais», dénonce notre interlocuteur.

Selon M. Azzoug, K’Air n’a pas pu payer la totalité du montant prévu par le contrat, parce qu’elle n’en avait pas les capacités, en raison du retrait des banques fortement secouées par la crise mondiale à cette période et parce que les langues commençaient à se délier. Le PDG a résilié de manière unilatérale le contrat, aux torts exclusifs de K’Air, sans préjudice des pénalités de retard (courrier DG/n°1303/2009 du
9 décembre 2009).

Ouahid Bouabdellah et la valse des montants

Comment se fait-il que K’Air n’ait opposé aucune résistance et a très gentiment quitté les lieux, alors qu’elle avait subi des pertes qui s’élèvent au bas mot à 3,5 millions de dollars, décomptés comme suit : l’avance de 2 millions de dollars, les frais de la société étrangère spécialisée, la facture de plusieurs mois de conditionnement du matériel des magasins cédés, la facture de la révision générale du B737-200 (7T-VJB) effectuée par des techniciens retraités d’Air Algérie mais payés par K’Air. Mieux, M. Azzoug est convaincu que K’Air a fait son beurre «en exportant des pièces de A310 qui se montent sur le A330». Il pointe un doigt accusateur sur l’ancien PDG d’Air Algérie, Ouahid Bouabdellah, qui avait à l’époque déclaré, sur les ondes de la Chaîne III, avoir cédé «la vieille flotte de la compagnie à petit prix, en avançant le montant de 15 millions de dollars» (sic !).

Hier, sur le journal électronique TSA, l’ancien responsable a évoqué ce dossier qu’il dit «connaître assez bien», en parlant d’un contrat de 10 millions de dollars. Il a souligné néanmoins que «la société néerlandaise n’a pas respecté ses engagements». Selon lui, K’Air devait découper une dizaine d’avions, mais après avoir commencé le travail, «elle n’a pas réussi à mettre en place les financements nécessaires pour l’exécution du contrat. Les dirigeants de K’Air ont alors proposé de vendre une partie des pièces récupérées sur les appareils découpés pour pouvoir se financer. Nous avons refusé».

Ouahid Bouabdellah évite de reconnaître que c’est lui qui a signé la résiliation du contrat, en disant que la procédure a débuté avant que l’actuel PDG ne soit installé, en 2011. Une résiliation qui a poussé K’Air à exiger, dit-il, la restitution d’une caution de 2 millions de dollars, qu’Air Algérie a refusée. Mieux, M. Bouabdellah a déclaré «ignorer comment le dossier a été géré après son départ. Il sait seulement que la commission chargée du suivi du dossier a été dissoute par son successeur. Pourtant, c’est à son époque que tous les membres de la commission des marchés ont été limogés», révèle M. Azzoug. Force est de constater que la saisie de l’avion d’Air Algérie par les autorités belges vient de soulever un véritable lièvre, qui dégage une forte odeur de énième affaire scabreuse.

Salima Tlemçani

(*) A lire dans El Watan du 15 décembre 2014

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Commentaires (4) | Réagir ?

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khelaf hellal

Bouabdellah, Bouchouareb, deux anciens liquidateurs du Holding Cosider sous Bouteflika. Des liquidateurs au sens propre, là où les Bouabdils passent, l'herbe ne pousse pas.

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sarah sadim

Allez Bouabdellah parlez un peu des retrocommissions sur cette affaire illégale et parlez des comptes de transfert du luxembourg et le dépistage paar des banques turques avant d'attérir chez le diable

Vous aussi marocain d'importation de la région de Berkane par le MALG maudit (votre pére a mis à la disposition du Malg une ferme comme centre d'instruction), vous avis commis la plus grande partie destructrice du pavillon national "Air Algérie" tout comme Chakib Khelil avec Sonatrach et Yazid Zerhouni avec la sécurité nationale, enfin attendons le procés d'assassinat de Ali Tounsi (pourtant aussi du Malg marocain).

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