Ali Yahia Abdennour : "Le pouvoir algérien a hérité de la cécité politique des colons"

Ali Yahia Abdennour avec Thomas J. Mulcair, chef de l’opposition au Canada
Ali Yahia Abdennour avec Thomas J. Mulcair, chef de l’opposition au Canada

Nous vous livons l'intervention de Maître Ali Yahia Abdennour à Montréal le 21 novembre 2014 suite à l’invitation de Thomas J. Mulcair, chef de l’opposition du Canada.

Un corps expéditionnaire nourri  de la "théorie de l’anéantissement total" a envahi l’Algérie en 1830 avec ses méthodes d’extermination. Le peuple algérien est passé "au fil de l’épée"avec tant de tyrannie, actes de barbarie, pillages, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Le peuple algérien qui marchait dans les ténèbres a vu se lever le 1er Novembre 1954 une grande lumière, qui allait éclairer sa route, qui le mènera vers une libération de "la nuit coloniale". Paraphraser Edgard Kipling c’est dire que : "La révolution algérienne n’a pas appartenu aux premiers qui l’ont déclenchée, mais aux derniers qui l’ont terminée, et qui l’ont tirée à eux comme un butin".

Les dirigeants issus de l’indépendance du pays ont confondu nation, Etat et peuple, socialisme et capitalisme d’Etat, socialisme national et national-socialisme, droit du peuple algérien à disposer de lui-même et droit de l’Etat à disposer du peuple. Le système politique instauré, toujours en vigueur, conforté et consolidé par la rente des hydrocarbures, a confisqué la souveraineté populaire et la citoyenneté, et dirigé le pays par les moyens de la dictature. L’Algérie indépendante est devenue une copie de l’Algérie coloniale et le pouvoir algérien a hérité de la cécité politique des colons.

Le problème de l’Algérie résulte de ses dirigeants qui veulent rester à vie ou trop longtemps au pouvoir, auquel ils ont accédé par des coups d’Etat, par les armes ou par les urnes. La longévité au pouvoir fabrique le statuquo et l’immobilisme, la fragilité économique et l’exaspération sociale. L’indépendance acquise ne peut avoir de sens que si elle instaure la souveraineté populaire, la citoyenneté, la liberté, la justice et la justice sociale, avec une répartition équitable des richesses. La seule source du pouvoir n’est pas le peuple, mais le système politique qui a engendré des pouvoirs dictatoriaux.

L’Algérie qui a connu une longue nuit coloniale, puis une longue dictature prendra-t-elle le chemin du droit, de l’Etat de droit, et d’une démocratie apaisée. C’est du peuple que vient le pouvoir, c’est dans le peuple que réside la souveraineté, la légitimité et la légalité. Pour préparer l’avenir, il faut maitriser le présent, construire une alternance, au mieux une alternative au pouvoir. La clé du futur se trouve dans la sphère politique, dans la démocratie, la justice et la liberté.

Algérie 2014 : État des lieux

Le bilan du président Abdelaziz Bouteflika est calamiteux, désastreux et catastrophique. Son pouvoir qui se personnalise et se centralise à l’excès, a démontré son inefficacité non seulement dans le domaine des libertés réduites à leur plus simple expression, mais aussi dans le domaine de l’économie et du social ou tous les indicateurs sont au rouge.

La filière pour accéder au pouvoir passe par l’armée, et qui la commande, commande le pays. Le pouvoir s’est emparé de l’Etat qui dispose du peuple. Il faut poser sur le président et la fonction présidentielle qui est complexe, multiple, exigeante, le regard froid et impartial de l’objectivité. Le président Bouteflika a concentré entre ses mains, la quasi-totalité du pouvoir qui s’est transformé au cours des années en dictature. Il est l’homme d’une ambition sans fin et sans freins, qui règne sans partage sur le pays avec le sens de la durée.  Son pouvoir est grand et son appétit insatiable. Tout émane de lui, tout dépend de lui et de lui seul. Il dirige tout, régente tout, contrôle tout, tient d’une main de fer les commandes du pays. Il règne et gouverne à la fois, accumule titres et fonctions, a fait du gouvernement à sa dévotion un pouvoir exécutant, du parlement l’annexe de la présidence, et de la justice qui a abdiqué ses pouvoirs constitutionnels une simple autorité à son service. Il a révisé la constitution en 2008, qui ne prévoyait que deux mandats pour se présenter à un 3ème mandat. Quand le parlement fonctionne à vide, n’est qu’une caisse de résonnance et sans prise sur les réalités du pays, et que la justice est intégrée au pouvoir, il n’y a pas séparation mais confusion des pouvoirs, c’est-à-dire dictature. Le président n’a pas résisté à la tentation si fréquente dans l’histoire d’assujettir la justice, alors que le cadre du juge et la loi, son devoir est l’impartialité. L’indépendance de la justice ne sera une réalité qu’avec l’avènement de l’Etat de droit. Il faut redonner à la justice sa dignité et son honneur.

A chaque élection le pouvoir ne cesse de dire et de répéter que le vote sera régulier dans la forme avec plusieurs candidats, et régulier dans le fond avec un scrutin transparent et honnête. Quel système politique qui ne cherche qu’à se reproduire, ferait des élections libres et s’engagerait à céder le pouvoir au cas où le suffrage universel ne lui serait pas favorable ? La fraude électorale, vieille tradition coloniale, amplifiée depuis l’indépendance du pays, bien intégrée dans les mœurs politiques du pays, est au rendez-vous de toutes les élections. Les Algériens ont en mémoire les fraudes massives et généralisées, constatées lors de toutes les élections pour détourner la volonté populaire et normaliser la société. Tout pouvoir issu d’élections truquées est illégitime et anticonstitutionnel. Les fraudes électorales décrédibilisent les élections et démobilisent les électeurs.

Le pouvoir ne peut avoir de quitus pour le passé, de blanc-seing, et de chèque en blanc pour l’avenir. L’Algérie n’est pas un pays émergent, encore moins un pays développé. L’agriculture et l’industrie ne sont pas au cœur de la stratégie économique pour assurer le décollage. L’Algérie a perdu sa souveraineté alimentaire, et dépend de plus en plus de l’étranger pour l’approvisionnement des ressources alimentaires.

La corruption inséparable de l’exercice du pouvoir, est à tous les niveaux et dans tous les domaines.  Le pouvoir absolu corrompe absolument. La corruption est devenue un mode de vie, va du vol simple au contrat bidon, aux surfacturations et  aux grands brigandages financiers. L’impunité est le privilège des privilégiés.

Il y a deux Algérie, celle des riches toujours plus riches, celle des pauvres toujours plus nombreux, celle qui souffre de la faim, celle qui souffre de l’indigestion et va soigner ses maux d’estomac dans les hôpitaux français avec prise en charge par l’Algérie. L’aisance financière ne s’est pas reflétée sur la vie de tous les algériens, la pauvreté fait tache d’huile et s’étend à tout le pays. L’exigence sociale est portée par les syndicats autonomes qui luttent sur trois fronts : la protection sociale, l’emploi et le pouvoir d’achat.

La réconciliation nationale telle que définie par la charte du 1er aout 2003, assure le pardon contre la justice. L’amnistie avant la vérité et la justice est de l’impunité. Paix et droits de l’homme sont les deux aspects de la vie sociale. Quand on favorise l’un au dépens de l’autre, la paix au dépens des droits de l’homme qui sont la vérité et la justice, il y’a échec des deux.

Le corps social ne peut être entier et fonctionner de manière harmonieuse que si les femmes occupent la place qui leur revient de droit dans la société, toute leur place, leur juste place, c’est-à-dire l’égalité avec les hommes dans tous les domaines. La liberté d’expression est un droit élémentaire de la vie politique, sociale et culturelle, de la création scientifique et artistique.

La liberté religieuse est inséparable de la liberté d’expression. Le pouvoir politique a le droit de s’exprimer à la télévision pour défendre son programme et la manière dont est géré le pays. Il n’a pas le droit de s’accaparer d’un service public, de le monopoliser pour éviter tout débat contradictoire, qui est l’hygiène et l’oxygène de la vie publique, passage obligé d’une démocratie formelle à une démocratie réelle.

Le devoir, l’honneur des militaires est de servir la nation

L’armée a joué un rôle de premier plan dans la vie politique du pays. Elle est le centre de décision, le haut lieu ou s’élabore la politique. Elle fait et défait les présidents de la république. Le problème sérieux et grave, c’est que à partir du moment où l’armée est partie prenante  dans le jeu politique, sans que ses membres puissent contourner la règle de toute armée et qui font sa force, à savoir la discipline et l’obéissance au chef, elle se trouve soumise à de graves crises de conscience. Il faut préserver la force et la cohésion de l’armée. Le triptyque de l’ancien président grec Papondreou est valable pour l’Algérie : Le pouvoir au peuple, l’armée à la nation, l’Algérie à toutes les algériennes et les algériens. Des cadres militaires politisés, reflet des divers courants politiques qui traversent la société, souhaitent l’émergence d’un état respectueux du droit, de l’état du droit, et de la démocratie.   

Le départ du président de la république est un préalable absolu, un impératif même. Il faut répéter avec force ce que nous disons depuis un certain temps dans le calme et la pondération, parce que la rigueur est nécessaire quand on exprime une position politique; le président doit partir, doit passer la main, parce que sa maladie grave et durable exige son retrait de la vie politique.

L’article 88 de la constitution prévoit son empêchement pour maladie grave et durable. L’empêchement provisoire  implique la saisine de plein droit du conseil constitutionnel, qui demande au parlement de déclarer la vacance provisoire. Si le président ne reprend pas ses activités dans un délai de 45 jours, il est frappé d’empêchement définitif, et la vacance officielle est déclarée de plein droit par les deux chambres réunies du parlement. Le président a été hospitalisé 80 jours dans les hôpitaux parisiens. Un président soucieux de l’histoire, de la nation et des intérêts du peuple algérien doit démissionner. Incapable d’exercer ses fonctions, il ne peut faire mais fait faire, délègue ses pouvoirs qu’il garde sans être en mesure de les exercer. Il n’est pas au service de l’Algérie, c’est l’Algérie qui est à son service.

La Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD)

La CNLTD est devenue la principale force du pays, l’épine dorsale de la nation. Elle a créé une alliance avec Ali Benflis et les partis qui le suivent. La volonté d’agir pour un changement du système politique est claire et déterminé, relève de la vision et de la stratégie de l’opposition, courant politique rassembleur, unitaire, novateur, constructeur, qui a réalisé un accord sur quelques priorités, autour desquels le peuple se rassemble; la défense du caractère démocratique et pluriel de la société passe en premier. Cette opposition incarne la résistance à la dictature, donne un sens et de la cohérence à l’action, de la constance aux principes, défend le droit, l’état de droit, la liberté et la justice. Le pouvoir ne reconnait pas une opposition qui se veut alternance ou alternative, parce qu’elle est l’opposition au pouvoir, mais accepte une opposition du pouvoir comme roue de secours. L’Union européenne a pris contact avec l’opposition au pouvoir. L’opposition officielle du Canada pourrait suivre cette voix, afin qu’une nation de sujets devienne une nation des citoyens au service de la démocratie.

Maitre Ali Yahia Abdennour

Ottawa, le 19 novembre 2014.

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Commentaires (13) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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oziris dzeus

Le pouvoir en place est l'héritier du colonialisme français.

La France a remis l'Algérie et les algériens entre les mains de ce clan de malheur. Ce pouvoir, étant l'œuvre de la France, il reste fidèle aux principes du colonialisme. Les gens au pouvoir depuis 1962 ont étés choisis un par un par la France et mis dans les conditions nécessaires pour prendre en otages les algériens.

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