Bu Barnous El Djazaïri raconte : Une leçon d’histoire dans un bus

Ahmed Ben Bella en 1962 entouré des militaires qui l'ont porté au pouvoir.
Ahmed Ben Bella en 1962 entouré des militaires qui l'ont porté au pouvoir.

De retour du boulot, debout m’accrochant à une barre dans un bus plein à craquer, je ne pouvais ne pas entendre une étrange discussion, à la limite de l’altercation, entre un vieux monsieur, vêtu d’un bleu Marseille et Amama, assit à côté d’un jeune homme, vêtu de jeans, un blouson qui ressemble à du cuir, des baskets et bien sûr des écouteurs aux oreilles. De quoi parlaient-ils ? D’un sujet qui n’avait pas la même importance pour ces deux passagers, pourtant tous deux Algériens.

Mais tout d’abord, permettez-moi de me présenter. Je suis "Boubernous el Djazairi", c’est le surnom que je me suis choisi. Algérien et fier de l’être, je porte toujours un bernous, un vrai de vrai de chez nous. Pour moi c’est l’un des emblèmes de notre cher pays. Assez parlé de moi pour aujourd’hui et revenant sur le débat de nos deux protagonistes qui ne laissa pas indifférents les autres passagers qui, histoire de tuer le temps, suivaient avec intérêt ce débat controversé.

Tout a commencé lorsque le vieux monsieur sollicita le jeune homme pour baisser le volume de son mp3 : "Veux-tu baisser le volume ? Tu ne sais pas que les algériens sont en deuil ?" Mais le jeune individu n’en fit rien, il tourna sa tête vers la vitre, comme s’il n’avait rien entendu. Remarque, c’est peut être juste, moi même qui n’était pas très loin d’eux, j’arrivais à distinguer la chanson de cheb Hasni qui chantait el hadda.

Le vieux, comme tout algérien qui se respect encore, ne se laissa pas faire et réitéra sa requête mais cette fois-ci en durcissant le ton pour bien se faire comprendre : "Baisse-moi cette musique, un peu de respect pour les morts comme même".

Le jeune individu lui répondit alors : "Ouache aammou ? Qu’est-ce qu’il y a ? Et puis de quel deuil parlez-vous ?", répondit le jeune homme. Le vieil homme, exalté par cette réponse, commença alors son réquisitoire. "Le zaïm est mort, tu ne le sais donc pas ?".

Le jeune homme retira un des écouteurs pour répondre à son interlocuteur tout en continuant à écouter sa chanson avec l’autre oreille. "Moi je ne connais et ne reconnais qu’un seul zaïm, Messi, le plus grand joueur du Barça et de tous les temps". La foule commençaient alors à ricaner par cette réplique et il y en avait même un qui, du fond du bus, lui donnait raison «Yesslam dek el foum» et d’ajouter "On a perdu le championnat mais nous restons toujours les meilleurs".

Mais de quel personne morte faisait-il allusion ? Si importante pour que les algériens soient en deuil, du moins c’était ce qu’il croyait dur comme fer. Personne ne se posa la question, l’attention de la foule étant détournée par le foot espagnol qui la partagea en deux : les supporteurs du Real de Ronaldo et ceux du Barça de Messi.

Le vieil homme avec une voix au timbre triste et chagriné riposta au jeune homme : «Le rais est mort, Si H’med nous a quitté pour rejoindre les chouhadas». Soudain, le bourdonnement des passagers laissa place à un silence glacial, brisé après de courts instants par le jeune homme qui rétorqua : «Mine tohte, le président de l’Algérie c’est Bouteflika, il ne s’appelle pas Si H’med. D’ailleurs pour tout vous dire, moi je suis branché ‘Europa’ et compte bien y passer le restant de ma vie», et pour finir il se tourna vers le vieux en le regardant bien dans les yeux : "L’Algirie n’khalihalkoum".

Désolé par cette réponse, le vieil homme baissa sa tête, il constatait l’état de la jeunesse algérienne méconnaissant l’histoire de son passé et n’ayant aucune perspective pour son futur que celle de quitter le pays devenu pour eux un enfer dont il fallait fuir rapidement et à tout jamais. Mais le vieux monsieur ne comptait pas en rester là, bien que déçu par la réaction du jeune, il ne fut pas découragé pour autant et insista pour lui donner une leçon d’histoire et à tous ceux qui voulaient bien l’entendre : "Wlidi, écoute moi bien, Si H’med était un grand homme, et le restera toujours, ce qu’il a connu comme épreuves dans sa vie aucun de votre génération ne les connaîtra, pourtant il a toujours porté l’Algérie dans son cœur".

Devant l’obstination du vieux à raconter un bout d’histoire de ce grand homme, notre jeune individu se laissa tenter de connaître la suite : "Alors, c’est qui cet homme ?". "C’est le rais Ahmed Ben Bella qui est né en 1916 à Maghnia où il passa toute son enfance. Il a fait ses études secondaires à Tlemcen puis s’est déplacé en France où il a joué au foot pour l'Olympique de Marseille lors de la saison 1939-1940". Le jeune homme lui coupa aussitôt la parole : "Alors, lui aussi il aimait le foot et est parti vivre en France".

Contrarié le vieil homme continua son allocution : "A cette époque ce n’était pas pareil, les choses étaient différentes. Durant la Seconde Guerre mondiale, il combattu dans les forces armées françaises où il fut Promu adjudant, il connu bien de batailles frôlant la mort à maintes fois. Sais-tu, qu’il a été décoré en 1944 de la Médaille militaire par le général de Gaulle ?"

Le jeune individu commença à s’intéressé à cette histoire mais ne pouvait s’empêcher de l’interrompre encore une fois pour lancer avec drôlerie : "C’est d’un héros français dont vous me raconter l’histoire ! Zid hkili, moi j’aime tout ce qui est héros."

"Non, c’est bel et bien d’un héro algérien dont je parle. C’est en 1945, et précisément le 08 mai que si H’med décida de lutter contre la colonisation française après les massacres de Sétif et Guelma. Il adhéra au Parti du Peuple Algérien (PPA) et au Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), de Messali Hadj. Il devint ensuite membre de l'O.S. dirigée par Hocine Aït Ahmed et Rabah Bitat, il a même participé au célèbre braquage de la poste d'Oran de 1949 afin de financer le parti".

Le vieux monsieur pris un temps d’arrêt, non pas pour reprendre son souffle mais pour reprendre ses esprits car trop de souvenirs lui remontaient à la surface. Et il poursuivi : "En mai 1950, il fût arrêté et condamné à la prison mais dieu merci il s'évada en 1952 en fuyant vers le Caire auprès de Hocine Aït Ahmed et de Mohamed Khider avec qui il a formé la délégation extérieure du FLN. Malheureusement, il fut arrêté une deuxième fois en 1956 en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf lors du fameux détournement par les forces armées françaises de l’avion civil marocain qui les conduisait du Maroc à la Tunisie. Il sera emprisonné en France jusqu’en 1962, le 27 septembre 1962, il a était désigné président du Conseil et fut en septembre 1963 le premier président élu d'une République algérienne libre".

Comme à son accoutumée, le jeune homme qui avait ôté ses deux écouteurs et éteint son MP3 arrêta son voisin assit à côté de lui pour lui poser une question aussi idiote que sa coiffure : "Vous ne pouvez pas faire vite ? C’est bientôt mon arrêt".

Ce n’était pas seulement le vieux qui était contrarié mais aussi l’assistance qui s’intéressait de plus en plus à l’histoire, le vieil homme hocha sa tête et continua : "Sa présidence ne durera que quelques années où il entreprit divers chantiers qu’il n’a pu mené à terme puisqu’il fût renversé par Boumediene le 19 juin 1965 et emprisonné jusqu'en 1980. Gracié par Chadli, il s'exila en Suisse à partir de 1981 et créa alors le Mouvement pour la démocratie en Algérie. Après son retour au pays en 1990, il se retira de la vie politique et se consacra à des dossiers internationaux tels que la Palestine et l'Irak et rejoint les altermondialistes pour lutter contre la mondialisation capitaliste. En 2007, il est nommé président du groupe des Sages de l'Union africaine. Par la suite, il devint membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009".

Le vieux Monsieur s’arrêta quelques instants comme pour annoncer une tragique nouvelle puis poursuivit ses propos : "a suite de l’histoire vous la connaissez tous, le zaim, l’enfant prodige de l‘Algerie meurt à Alger le 11 avril 2012, une date que je n’oublierais jamais ni ses funérailles dignes des plus grands présidents". C’était un bout d’histoire de l’Algérie raconté par un vieil algérien qui porte toujours l’Algérie dans son cœur. Une leçon d’histoire à méditer par les nouvelles générations qui ne pensent qu’à "el hadda".

En attendant d’autres histoires, je vous dis "Doumtoum"...

Mohamed Benotman

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (8) | Réagir ?

avatar
Massinissa Umerri

Ou plus appetisant - le ben bella est l'enfant prodige des eulemas - les vrais liberateurs, tra lala...

Bon appetit:

La guerre de libération de l’Algérie de 1954-1962 n’a pas encore livrée tous ses secrets à cause de la confiscation de la vérité historique par le clan d’Oujda qui a pris le relais.

Hormis les Kabyles qui se sont engagés corps et âme dans cette guerre, toute l’Algérie avait tourné le dos à l’appel du Djurdjura du 1er novembre 1954. Pis encore, les organisations de masse des populations arabes ont même pris position pour soutenir l’armée coloniale.

C’était le cas de la fameuse organisation dite des Oulémas, dont sont originaires toutes les mouvances islamistes de nos jours. Tamurt. info s’est procuré un document officiel de cette organisation et un numéro de son journal, « Essouna », datant de novembre 1954 et qui attestent clairement du soutien de cette organisation islamiste aux autorités coloniales.

C’est une vérité historique que personne ne peut réfuter car des documents authentiques l’attestent et ne s’agit nullement de thèses ou de témoignages quelconques. « Nous ne sommes pas des ennemis de la France et nous n’activerons jamais contre ses intérêts. Au contraire, nous tâcherons à lui faciliter la mission de civiliser le peuple Algérien et islamiser toute la nation », lit-on à la une du journal « Essouna », au lendemain du déclenchement de la guerre de libération par les Kabyles en novembre 1954.

Il fallait l’intervention du leader de l’époque, Abane Ramdane, pour que cette organisation cesse son soutien à la France en ….. 1957 ! Abane avait même procédé à quelques liquidations physiques pour voir Larbi Tbessi, l’un des chefs de cette organisation Islamiste pro-française, de se repentir et soutenir la révolution juste politiquement mais sans aucun engagement politique au moment où les Kabyles tombaient comme des mouches pour libérer l’Algérie.

D’autres exemples attestent que durant cette guerre contre la France, il n’y avait que les Kabyles qui se sont sacrifiés. La véritable histoire sur cette période n’est pas encore rédigée.

avatar
ali belkacemi

il y a des hommes qui, même morts ne méritent aucun respect. c'est le cas de ben bella entre autres.

visualisation: 2 / 7