Burkina: l'armée s'impose face à la contestation de la rue

L'armée s'impose.
L'armée s'impose.

L'armée s'est imposée par la force dimanche au Burkina Faso, face à des manifestants qui contestaient sa prise de pouvoir trois jours après le renversement du président Blaise Compaoré.

Des soldats ont pris le contrôle de la radio-télévision nationale en début d'après-midi, tandis que d'autres occupaient la place de la Nation proche devenue un centre d'agitation au coeur de Ouagadougou, ont constaté des journalistes de l'AFP. Des troupes du régiment de sécurité présidentiel du nouvel homme fort du Burkina, le lieutenant-colonel Isaac Zida, ont tiré en l'air dans la cour d'entrée du siège de la radio-télévision burkinabé (RTB) peu après 14h00 (locales et GMT) pour disperser la foule avant de se rendre maître des lieux.

Tous les personnels de la RTB et les journalistes étrangers ont été évacués. Les manifestants étaient venus de la place de la Nation, où l'opposition et la société civile avaient peiné à mobiliser la population en début de matinée contre les militaires. La haute hiérarchie de l'armée s'était mise d'accord la veille pour que le numéro 2 de la garde présidentielle, le lieutenant-colonel Isaac Zida, 49 ans, prenne la tête du régime provisoire succédant à 27 ans de gouvernement Compaoré.

Le nouveau chef militaire avait promis un processus "démocratique" associant toutes les forces vives de ce pays pauvre du Sahel de quelque 17 millions d'habitants, mais il était resté flou sur les modalités de la transition. Dans la journée de dimanche, la foule a spontanément grossi place de la nation, lieu emblématique de l'insurrection qui a chassé vendredi le président Compaoré.

L'ancien putschiste a été renversé par des milliers de gens qui avaient incendié jeudi le parlement et d'autres bâtiments, pour protester contre un projet de révision de la constitution qui lui aurait permis de prolonger encore son pouvoir. Dimanche, c'est contre son successeur auto-proclamé que la mobilisation s'est poursuivie. Des milliers de manifestants se sont dirigés vers la radio télévision nationale, certains portant des pancartes "Non à la confiscation de notre victoire, vive le peuple !", "Zida dégage", ou encore "Zida c'est Judas". Des milliers d'autres étaient restés rassemblés sur la vaste esplanade.

Mais comme à la RTB, des soldats ont pris le contrôle de ce lieu stratégique, évacuant les présents en tirant en l'air et en lançant des grenades lacrymogènes, et barricadant l'accès pour empêcher tout nouveau regroupement. Ce coup de force sonne comme un défi à la communauté internationale, Etats-Unis en tête, qui avaient appelé, quelques heures plus tôt, à un transfert du pouvoir à des civils.

Washington, un des alliés privilégiés du Burkina dans la lutte contre les jihadistes au Sahel, a appelé "l'armée à transférer immédiatement le pouvoir aux autorités civiles" et condamné "la tentative de l'armée burkinabè d'imposer sa volonté", selon le département d'Etat. La constitution burkinabè, que les militaires ont suspendue, prévoit que le président de l'Assemblée nationale assure l'intérim en cas de vacance du pouvoir.

La médiation internationale tripartite au Burkina, conduite par l'ONU, l'Union africaine et la Cédéao, l'organisation régionale de l'Afrique de l'Ouest, a évoqué la menace de "sanctions". "Nous espérons qu'il y aura une transition conduite par un civil, conforme à l'ordre constitutionnel (...) Sinon les conséquences sont assez claires. Nous voulons éviter pour le Burkina Faso la mise en place de sanctions", a déclaré l'émissaire de l'ONU pour l'Afrique de l'Ouest, Mohamed Ibn Chambas.

L'opposition débordée par la rue

Visiblement hésitante et quelque peu dépassée par l'accélération de l'histoire en quelques jours, l'opposition n'avait pas semblé exclure dimanche en début de journée une entente avec les militaires. Son chef, Zéphirin Diabré, n'était pas venu au rassemblement des contestataires car il rencontrait des représentants de l'armée au même moment, selon son entourage.

Le chef du petit parti Convergence de l'Espoir, Jean-Hubert Bazié, s'est contenté d'une allocution de quelques minutes, appelant l'audience clairsemée à rester "vigilante pour préserver la victoire du peuple". Mais parmi les manifestants, essentiellement des jeunes, la déception se faisait sentir. "Nous ne voulons pas d'une récupération de la victoire du peuple par les militaires", a déclaré Karim Zongo, un commerçant de 28 ans.

"Notre lutte maintenant, c'est le départ pur et simple du lieutenant-colonel Zida", a renchéri Abdoulaye Traoré, un chômeur de 33 ans, resté discuter sur la "place de la Révolution", ainsi que l'a rebaptisée le peuple, comme dans les années 1980, au temps de Thomas Sankara, icône du panafricanisme encore dans les mémoires de tous les Burkinabè.

A des milliers de kilomètres de la confusion et de l'incertitude sur l'avenir de son pays, l'ex-président Compaoré jouit de la tranquillité d'un refuge doré à Yamoussoukro, en Côte d'Ivoire voisine où il est arrivé vendredi soir, dans une des résidences les plus prestigieuses du pays dirigé par son ami Alassane Ouattara.

Paris, l'ancienne puissance coloniale, ne s'était pas exprimée dimanche après-midi sur l'évolution de la situation au Burkina.

Mais les événements sont suivis de près en France, de même que dans plusieurs pays africains dont les chefs d'Etat envisageaient, comme M. Compaoré, de modifier leur constitution pour se maintenir au pouvoir.

AFP

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