Berriane : le témoignage de Maître Ali Yahia Abdenour

Berriane : le témoignage de Maître Ali Yahia Abdenour

Le conseil National de la LADDH s'est réuni à Alger le 23 mai 2008. Ce dernier qui a considéré qu'il ne faut pas observer la réalité du balcon mais descendre sur le terrain, remettre les pieds sur terre et regarder les choses en face, a désigné une délégation pilotée par le responsable de la ligue de Ghardaïa, à l'effet de s'informer des récents événements survenus à Berriane. Une des routes indiquées pour la délégation était de rencontrer les représentants des deux Communautés. Cela supposait de la part de la délégation des connaissances des réalités, de la modestie, d'agir avec prudence, discrétion, discernement, et beaucoup de patience.

La délégation est arrivée à Berriane dimanche 25 mai 2008 dans l'après midi. L'air était pollué par la violence et l'injustice. Berriane est malade. Comment guérir une malade si on se trompe de diagnostic et de remède.

La population de la Wilaya de Ghardaïa dont Berriane est une de ses Dairas, dans son ensemble, qui garde le respect des vieilles traditions, des coutumes ancestrales, et l'observance rigoureuse de ses devoirs religieux, est attachée à sa terre qui l'a créée et nourrie, avec l'eau sources de vie, elle s'enlise depuis 1990 dans la crise, émet des signaux de détresse, et doute de la capacité du pouvoir à agir. L'esprit de Communauté est très développé, mai l'humanisme est aussi très fertile. Il ne faut pas oublier les leçons du passé. Ce n'est pas nous qui disposons du passé, pas nous qui le tenons. C'est lui qui nous tient. Le contact entre des cultures, coutumes et traditions différentes, est source de tensions. Il faut en parler ouvertement pour les surmonter. Le soubassement tribal de la société Algérienne constitue une réalité historique.

I- Le dialogue avec Berriane d'en bas

La réalité est complexe, les défis nombreux et difficiles. Lutter contre la violence, c'est d'abord comprendre ses causes et ensuite s'organiser pour la faire disparaître, car ce sont des jours qui s'ajoutent aux jours les plus sombres de notre histoire. Notre mission était de gagner les esprits et les cœurs, construire avec les forces du présent, et celle de l'avenir, de l'espérance, qui bouillonnent dans le cœur des jeunes générations qui ont la réputation d'avoir le sang chaud et la rixe facile. Cette crise non gérée pourrait comme dans le passé provoquer une cascade d'autre crises.

- La rencontre avec la population sinistrée

750 familles, 500 dans la communauté Mozabite, et 250 de l'autre communauté dont le maisons ont été incendiées végètent dans la misère et un mal vivre extrême, terrible. Loger ces 750 familles est actuellement le problème numéro un.
Il y a des attentes qu'il faut satisfaire, vite très vite.
Nous étions choqués, indignés, révoltés devant tant de misère humaine et de détresse.
Les mères de familles sinistrées avaient une notion claire de leur devoir dans toutes ses dimensions. Leur destin était de se dévouer et de servir, et leur intelligence appliquée à l'accomplissement méticuleux des tâches quotidiennes bien remplies et bien accomplies. Elles subissent et surmontent les épreuves avec une vitalité étonnante, et exposent leur calvaire avec émotion et humilité. Elles s'exprimaient dans une langue nationale pure par sa richesse de vocabulaire où s'atteste à chaque mot le contact direct et varié avec les réalités. Elle pesaient leurs mots, mesuraient la gravité de leurs gestes, exprimaient avec dignité et sagesse leur profonde douleur, mêlée de douceur et de bonté. Le proverbe perse dit: "qui parle sème, qui écoute récolte". De leurs voix lentes et grave. Chacune d'elles parlait de ses souffrances, de ses douleurs, de son désespoir. La règle du cœur exprimée n'est pas chacune pour soi, ou tout pour moi, mais tout pour d'autre. Dans l'enfer où vivent ces familles, 6à 9 familles de 5 à 10 personnes dans une salle de classe, le dialogue était entre l'instinctif et le réfléchi. Le raisonnable et le sentiment. L'humour est un moyen de défense, un défi contre l'inhumain, la forme la plus aiguë du désespoir.
Les larmes sont le langage que les cœurs émus adressent aux personnes en détresse. Elles soulagent d'une pénible tension. Nous sentions nos jambes se dérober. Nos cœurs bonder dans nos poitrines, nos mentons trembler, et des larmes couler de nos yeux.

- La rencontre avec le P/APC de Berriane.

L'expérience de la vie sociale nous a enseigné que la paix passe par le dialogue qui contribue à supprimer les tensions. Un dialogue entre les deux communautés engendre une meilleure compréhension des problèmes qui se posent et par suite les meilleurs chance de trouver des solutions. La politique divise c'est sa nature et son rôle. Le maire jeune universitaire à la hauteur de ses responsabilités, nous a précisé que " toutes les voix différentes doivent se faire entendre. Il nous appartient de nous éclairer les uns et les autres, de rechercher ensemble les voies de sortie de la crise. Le mot essentiel est que c'est ensemble que nous pouvons trouver une solution, que nous devons rénover et revitaliser notre solidarité, dans la confiance et le respect mutuel".
L'élément essentiel est que le consensus. Il est difficile car il n'y 'a rien de plus obstiné que deux communautés qui ont chacune une volonté et des convictions. Ceux que vous attendez et nous attendent aussi pour régler les problèmes sont près de vous, avons-nous dit au Maire, que nous avons quitté minuit passé pour rentrer à Ghardaïa ou nous étions hébergés par les militants de notre ligue. En cours de route le maire nous a informé que le rendez vous avec l'autre Communauté était fixé pour le lendemain à 8 heures du matin.
Nous avons discuté, parlé tard dans la nuit avec nos hôtes très nombreux, parce que nous avions tant de choses à dire, et plain de choses à attendre. L'aube à Ghardaïa est la plus belle heure de la journée.

- Rencontre avec l'autre Communauté composée de cinq arroûchs

Nous avons rencontré des hommes intègres, dont l'autorité morale relevait d'une conscience remarquable et d'une vie privée exemplaire, en mesure de redresser la situation, de tout mettre en œuvre pour garder des relations de bon voisinage, et agir ensemble pour mettre fin à l'hostilité entre les deux communautés. Vivre ensemble, c'est lutter ensemble pour comprendre le réel et aller vers le meilleur. Dans une société de défiance, il faut d'abord ramener la confiance, afin de ne pas s'enfermer dans la rancoeur et la faine.

Le passé a fait irruption dans le quotidien de la population jusqu'à le bouleverser, ce qui inquiète et attriste. Chaque communauté dénonçait les erreurs et les fautes de l'autre, les soupçons et les griefs réciproques, cette crise a réveillé les fantômes non apaisés du passé. Ainsi l'homme se dépasse toujours bien qu'il le nie, car il voudra toujours croire que sa vérité est l'unique vérité.
Dans le débat chacun a dit ce qu'il est, ce qu'il croit, ce qu'il fait, ce qu'il sait, et ce qu'il pense. Les hommes mettent dans ce qu'ils voient, entendent et sentent, le climat intérieur de leur âme, et les tonalités de leur esprit.
Nous avons établi sur une nouvelle base, une hiérarchie des problèmes à examiner sans ménagement, dont chacun pouvait être isolé, ou articulé avec d'autres. Il nous appartenait de dire, qu'elles sont les revendications qui doivent être satisfaites dans l'immédiat, et énumérer les points sur les quels il ne faut pas transiger.
Le dialogue mené dans la sagesse sans tabous a prévalu sur toute autre considération. La conviction qu'il faut collaborer de manière responsable pour sortir de la crise a mûri dans la conscience des deux communautés.

II- Berriane d'en haut

La crise doit être prise à bras le corps pendant qu'il est encore temps, car elle conduit à la détérioration puis a la dégradation et à la distraction des liens entre les deux communautés. les deux phénomènes de déficit de considération et de frustration, trouvent leur force initiale dans un déséquilibre profond des conditions de vie d'une grande majorité de la population, particulièrement les jeunes. Le creusement des inégalités est la cause du sentiment croissant d'indifférence des uns envers les autres.
Il n' y a que deux sortes de solidarité, le partage de la pauvreté ou celui de la prospérité.
Les belles paroles prononcées par le Wali de Ghardaïa, devant les médias, à savoir: " qu'il n'y a pas des mosabites d'un côté et les arabes de l'autre, mais seulement des Algériens", sont en décalage complet avec la réalité sur le terrain. Les mots ne coûtent pas cher, la réalité est autre chose. Notre action ne vise pas à ajouter de l'huile sur le feu, mais à obtenir l'apaisement. Le pouvoir local doit respecter les droits humains fondamentaux, faire face à la violence non seulement pour protéger les édifices publics, mais surtout pour protéger la population, mettre fin aux pillages, à la torture, aux arrestations injustifiées et aux persécutions. Si la population ne s'occupe pas de la politique, la politique s'occupera d'elle.

Une politique ne vit que par ses actes, que si elle apporte une réponse aux problèmes du moment. La relation directe entre le pouvoir et les Algériens écrase tout ce qui est entre les deux: parlement minoré, corps intermédiaires, partis politiques, syndicats autonomes, associations, qui servent de relais. Le résultat est que l'histoire récente de notre pays est chargée d'émeutes.

Le pouvoir local demeure fermé et restera tant que le statut des Assemblées locales, reculé d'année en année depuis bientôt dix ans, ne sera pas réformé.
La décentralisation ne menace pas l'unité nationale, mais la renforce. Il faut redistribuer les compétences entre l'Etat, les Wilayas et les communes. La vraie libération des collectivités locales est dans le transfert des moyens financiers, matériels et humains, pour répondre à leurs besoins. L'attitude du Wali qui est devenu le véhicule de la tyrannie bureaucratique, centralisatrice, doit pousser les maires à se libérer de sa pesante tutelle, et à prendre en main l'avenir des communes; le maire est un élu et non un fonctionnaire.

La wilaya de Ghardaïa qui est en état de choc, a besoin d'un fédérateur à la hauteur de sa tâche. L'esprit de synthèse, de rigueur, de cohérence et de concorde, qui a prévalu dans les débats, nous autorise à dire que des résultats ont été obtenus, il faut un délai de réflexion et une concertation plus large pour aller de l'avant. Dans l'exercice du pouvoir la vision est indispensable, pour donner du sens et de la cohérence à l'action.

La wilaya de Ghardaïa a besoin de dirigeants engagés sur le terrain, à l'écoute de la population, et de gestionnaires compétents, capables d'agir vite, très vite pour régler des problèmes posés.

Comment loger heureux dans un sept pièces, quand des voisins vivent à sept dans une pièce, et que d'autre sont regroupés dans des salles de classe ou vivent à la belle étoile?

Nous condamnons les violations graves, systématiques et généralisées des droits de l'Homme. L'opinion publique qui constitue la forme directe et moderne de l'expression des citoyens, demeure la meilleure conductrice de la volonté générale. Elle doit prendre une position claire dans les événements de Berriane.

Alger le 28 mai 2008

LADDH:
5 Rue Pierre Viala (Frères Alleg)
hauteur 101 Didouche Mourad-Alger
tel/fax: 00213 21 23 80 86

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Commentaires (10) | Réagir ?

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el adle

Essalamou alykoum à tous,

Il est connu et nous sommes tous témoin, que la communauté mozabite est une société de paix, de tolérance et hautement éduquée. Elle est honnête, sérieuse, généreuse et très conservatrice de ses traditions et coutumes.

Il est fort à parier que les agresseurs sont à chercher hors cette société modèle et exemplaire, rare en Algérie. Les manipulations ou provocations, soit par des groupes d’individus haineux, obscures et jaloux, soit par des partis politiques sont à dénoncer.

De même, il est urgent de dénoncer toute tentative de division et de conflit communautaire fondée sur des considérations sociales et religieuses. Ne jouons pas avec le feu !! Nous savons tous les aboutissements des conflits communautaires basés sur de tels critères…

Que les sages des deux communautés, les politiques et intellectuels et les bonnes volontés mettent la main dans la main pour apaiser la région pour toujours pour vivre solidaire et en harmonie

Que les politiques au niveau central et des deux bords commencent à mettre en place un véritable plan éducatif juste fondée sur la tolérance, la liberté et corriger les fausses idées et les préjugés, avant qu’il soit trop tard..

Les ibadites comme les malikites sont des sunnites comme les autres, même s’il y a des différences pratiques mineures, comme dans toutes autre religion. Les Oulamas disent justement du bien sur les différences (misécorde) … Il convient de sanctionner les imams au nord du pays qui prêchent contre les ibadites, pour la division, la haine et contre-vérités…

Mes frères, regardons l’avenir et construisons une société de progrès, tolérante et sérieuse.. et apprenons la liberté, alimentée par la concurrence pour améliorer les sorts de sociétés et non pas manipulations, jalousie, sabotage et diffusion de contre vérités…

Que la justice fasse son stricte travail en toute indépendance avec compétence et honnêteté.. pour ne plus tomber dans ces pièges..

Que Dieu nous amène au bon chemin, de solidarité, sagesse, paix et progrès dans notre pays.

Oua sallam à tous.

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Mokrane

Est ce que ghardia (mzab) n'a pas deja connu de pareils evenements?Dans les années 80 on a deja brulé des commerces: du passage en 1986 par ghardia les traces de fumée etaient encore là!

Les responsables sont les mêmes!

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