Une énième tripartite, pour quoi faire ?

Abdelmadjid Sidi Saïd qui a fait de l'UGTA un syndicat du pouvoir non des travailleurs.
Abdelmadjid Sidi Saïd qui a fait de l'UGTA un syndicat du pouvoir non des travailleurs.

La tripartite, ce sera pour ce 19 septembre et du côté du gouvernement, on parle déjà, pompeusement, de la relance économique et aussi des mesures sociales prises en faveur de la population, notamment les travailleurs.

Le discours reste, pourtant, inaudible à en juger par la grogne qui est à son paroxysme à cause de la spirale de l’envolée des prix qui n’a pas de limites à la veille de l’aïd et du pouvoir d’achat qui s’effrite.

C’est sur ce fond, clair obscur, que s’est faite l’annonce de la tenue d’une tripartite, la 16e  du nom ; peut-on, d’ores et déjà, la qualifier de «tripartite élargie», dès lors où elle serait, cette fois-ci, étendue aux syndicats autonomes ? Cela ne fera certainement pas plaisir au Secrétaire Général de l’UGTA, lui qui fait de cette rencontre, bon an mal an, son fond de commerce qu’il ne veut partager avec personne.

En effet, Sidi Saïd, n’a jamais boudé son plaisir, allant jusqu’à anticiper sur les résultats de la tripartite, en annonçant avant tout le monde les résultats, surtout quand cela concerne des augmentations de salaires et de les présenter comme un acquis, arraché de haute lutte.

En réalité, et nul ne l’ignore, depuis 1991, date de la première tripartite qui s’est déroulée dans des conditions économiques et politiques particulières, les tripartites suivantes sont organisées pour donner l’impression que chaque corporation, autant celle des patrons que celle des travailleurs, à voie au chapitre et que les acquis sont le fruit de négociations ardues.

Les décisions sont prises d’avance, en règle générale, ou sous la pression pour ce qui est de la tripartite de 1991, du Fond Monétaire International (FMI). A chaque rencontre, Sidi Saïd s’approprie le premier rôle, fait son show pour éblouir des travailleurs exsangues, mais néanmoins, sensibles au moindre dinar d’augmentation agité sous leur nez ; même si le Salaire National Minimum garanti (SNMG) a triplé depuis 12 ans, passant de 6000 dinars à 18000 dinars, il est loin de confier aux travailleurs un pouvoir d’achat conséquent, en rapport avec l’inflation à deux chiffres que connait le pays.

Des tripartites passées, il faut cependant rappeler que la seule fois où les choses ont été prises en compte, sérieusement, c’est le 28 mai 2011 où fut organisée une session spéciale consacrée «à la recherche des voies et moyens pour soutenir le développement de l’entreprise économique et améliorer le climat des affaires». Discours redondant, sinon comment expliquer que depuis des décennies que l’on parle d’entreprise et aussi de la nécessité de favoriser la production nationale et de la diversifier, on est loin, très loin même des performances des pays voisins, dont on arrive même pas à exploiter les difficultés conjoncturelles qu’ils rencontrent, comme par exemple dans le secteur touristique. 

Pourquoi n’arrive-t-on pas à mettre en place des politiques économiques viables ? Faut-il, pour autant, revenir au bon ministère de la planification, pour mettre de l’ordre dans ce «désordre» ? Si les investissements algériens ne trouvent pas intérêt à aller vers la production nationale, vers la création de l’emploi, il ne faut pas s’étonner, encore moins, s’attendre à ce que les investisseurs étrangers, qu’il y ait la règle du 51/49%, ou même l’inverse, fassent preuve de plus d’engagement !

L’entreprise, pourtant, reste au cœur de tous les discours politiques, elle est conjuguée à tous les temps, mais de mesures positives sur le terrain, point. Entre temps, les conflits à l’intérieur de l’entreprise s’intensifient et ils sont toujours perçus négativement alors qu’ils portent, en général, sur des revendications socioprofessionnelles, avérées. L’UGTA pendant ce temps là se contente d’observer les grèves, à partir du banc de touche, pendant que les syndicats, autonomes agissent et gagnent en crédibilité, même si, faut-il l’admettre l’action de certains d’entre-eux n’est pas dénuée d’arrière-pensée… politicienne. 

La seizième tripartite sera-t-elle exceptionnelle par son contenu, tel qu’annoncé à savoir la relance de l’investissement et de l’industrie pour se substituer à cette économie qui ne repose que sur les hydrocarbures. Pour le Premier Ministre la solution consisterait en «la création d’unités productives pour que l’Algérie récupère sa base industrielle» comme dans les années 1970 (déclaration faite à Médéa le 23 septembre 2013).

Cette 16e tripartite, sera axée, semble-t-il, sur les questions économiques et les dossiers ne manquent pas comme ces mesures prises par le gouvernement pour calmer le front social qui risquent d’être problématiques. Ce sont tous ces crédits sans intérêts, proposés aux jeunes chômeurs de l’Ansej et de la Cnac, qui ont suscité la crainte des banquiers, en l’absence d’ancrage réglementaire les justifiant ; différer les textes juridiques les concernant et l’impact financier en découlant, c’est embarrasser davantage les responsables de banques qui sont, pour le moins, gênés aux entournures dans ces histoires de crédits sans intérêts, distribués à la volée.

Si on ajoutait le souci de l’organisation patronale la plus importante, le FCE «qui déplore le retard pris dans la concrétisation sur le terrain, de la réforme du système financier et bancaire et l’absence de prospectives pour les secteurs maritimes et portuaires, on se pose légitimement la question : la tripartite, pour quoi faire ?

Oui pour quoi faire, sachant que l’investissement productif en Algérie, ne représente que 2% du PIB hors hydrocarbures et hors dépenses publiques, selon le FCE.

Pourtant les choses risquent d’empirer au regard du baril de pétrole qui, semble-t-il, continue sa chute inexorable depuis le mois de juin dernier, passant sous la barre des 100 dollars. L’économie nationale va, certainement, en pâtir puisque les chutes des recettes culminent à quelques 13% de manque à gagner et Youcef Yousfi n’a pas caché sa préoccupation.

L’Algérie tire 98% de ses recettes des hydrocarbures, ce qui avait alerté même le FMI, qui avait dès 2012 prédit l’orientation budgétaire expansionniste de ces dernières années a rendu le pays vulnérable aux fluctuations du prix du pétrole. De plus, comment va-t-on aborder cette question de relance de l’investissement, alors que perdurent, encore, selon le FCE, le blocage de l’information économique, le recours obligatoire au Credoc et l’absence d’efficacité des chambres de commerce, qui sont autant d’obstacles empêchant la relance de l’investissement.

Comment aussi va s’y prendre le SG de l’UGTA pour défendre devant ses partenaires de la tripartite, cette idée «d’offre abondante pour se substituer à l’importation» ? Par quel artifice compte-t-il réduire la facture alimentaire qui s’élève à 6 milliards de dollars qui à l’entendre parler, est de la faute de la population qui n’arrive pas à gérer son estomac alors que, nul ne l’ignore, le problème est à rechercher dans les facilités obtenues par tous ces profiteurs de «l’import-import» qui accèdent au matelas des devises sans problèmes ?

Quant à l’article 87 bis relatif aux relations de travail qui va concerner l’essentiel des discussions gouvernement-patronat-syndicat(s), il laisse sceptique beaucoup d’analystes qui prédisent des conséquences macroéconomiques en chaîne, aussi bien sur le budget de fonctionnement de l’Etat, sur les entreprises du secteur économique et même sur les équilibres extérieurs du pays devenus trop fragiles.

Le coup de l’abrogation de cette mesure annoncé pour 2015, fluctue entre «9 et 11 milliards » selon Abderrahmane Mebtoul, et un risque de relèvement de «10 à 20%, voire plus de 30% de la masse salariale», selon Abdelhak Lamiri ; un secrétaire national de l’UGTA, n’hésitait pas, il y a quelques semaines, d’avancer le chiffre faramineux de «2400 milliards DA», soit plus de 24 milliards d’euros !

Ces évaluations, disparates, illustrent on ne peut mieux, la faiblesse des outils économétriques du pays, mais aussi des incertitudes qui portent sur le cadre réglementaire relatif à l’application «pratique» de l’abrogation de l’article 87 bis, qui est loin d’être cernée !

Les conséquences ne s’arrêteront pas là, puisqu’en matière de réactions en chaîne, on annonce une aggravation de la facture des importations, ce qui aurait pour effet de plonger la balance des paiements, tout juste équilibrée en 2013, dans un déficit estimé entre « 4 à 8 milliards de dollars » dû à l’accélération de la chute du baril de pétrole.       

Pendant ce temps là, on continuera, dans notre pays, à se rejeter la balle longtemps : ce n’est pas moi c’est l’autre, ou l’éternelle chicanerie du rôle de l’Etat régulateur, de la responsabilité des producteurs, de la non maîtrise des prix des matières premières qu’on ne produit pas, de l’anarchie de la consommation, de la faiblesse de l’agriculture, de l’industrie et de cette satanée facture alimentaire qui grimpe etc. On retrouvera aussi la même agitation du côté des travailleurs pour cause de pouvoir d’achat en berne, d’inflation galopante et des prix qui s’envolent, qu’on réglera à coup de subventions qui en définitive «ne profiteront qu’aux profiteurs», ce qui ajouterait encore au désordre social et partant contribuerait à augmenter l’inflation.

A moins de reformuler l’ordre du jour de cette prochaine tripartite, de l’élargir à un grand nombre d’intervenants et de décider de débattre de la thématique qui consisterait à plancher sur «le passage d’une économie de rente à une économie de production, seule manière de réhabiliter la notion de productivité et de relier les revenus à la production».

En conclusion, peut-on dire que la tripartite n’intéresse personne ? Non bien sûr, puisque les patrons, même dispersés, trouveront toujours leurs comptes et pourront même demander davantage de facilitations et de mesures attractives, notamment, concernant le foncier.

Le gouvernement pour sa part, assure et rassure tant les citoyens, les partenaires sociaux que les opérateurs, sur le bien fondé des mesures qu’il engage à leur profit et sur la nécessité de la stabilité du pays à préserver à tout prix. Quant au SG de l’UGTA et compte tenu du principe  "gagnant-gagnant", il s’assurerait, à coup sûr, un autre mandat, lui qui n’a de cesse de répéter qu’il a été à l’origine de l’abrogation de l’article 87 bis.

Il restera les déçus, c’est tous ceux qui sont de l’autre côté du miroir et qui se réveilleront avec la gueule de bois, conséquemment aux titres affichés par leurs quotidiens nationaux : "La tripartite a encore une fois, accouché d’une souris", ce qui nous fait dire, à tort ou à raison peut-être, "la tripartite, pour quoi faire ?".

Cherif Ali

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Commentaires (3) | Réagir ?

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Atala Atlale

(Nota bene)

Ma contribution précédente est en rapport avec un article de Tsa qui concerne le coût des bateaux en rade aux ports de Jijel et Mostaganem au trésor algérien. Ces bateaux attendent de débarquer les véhicules importés.

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Atala Atlale

"Comment l’Algérie enrichit les armateurs étrangers

L’Algérie est généreuse avec les armateurs étrangers. En imposant aux concessionnaires automobiles de décharger leurs véhicules uniquement dans les ports de Jijel et de Mostaganem depuis 2009, le gouvernement offre un cadeau en or aux compagnies de transport maritimes de marchandises. « Aujourd’hui les bateaux de transport de véhicules passent au minimum 21 jours en rade dans les ports de Jijel et Mostaganem. Les affréteurs paient des surestaries (indemnités de retard dans le chargement ou déchargement de marchandises, ndlr) d’au moins 25 000 dollars par jour aux armateurs. C’est une perte sèche pour l’économie nationale », déplore un concessionnaire automobile.

La décision de limiter le déchargement des véhicules importés dans deux ports, Jijel et Mostaganem, qui se retrouvent congestionnés, fait donc le bonheur des armateurs comme CMA CGM, MSC, Arkas et Maersk.

En 2013, l’Algérie avait importé 554 269 véhicules pour 7, 33 milliards de dollars contre 600 000 unités en 2012"

Baisse du prix du pétrole ou pas, la prédation et la mauvaise gestion continuent.

Amis internautes, économistes, étudiants, simples gens qui ont gardé le bon sens du paysan, donnez vos avis. Deux bateaux en rade durant 20 jours reviennent à l'économie algérienne 500 000 dollars, combien de fois ces opérations se font dans l'année ? Et qu'aurait-on pu acquérir avec cet argent, des écoles, des hopitaux, des logements ? Que se passent-ils avons nous des cancres à ces postes de responsabilités ou est-ce délibéré ?

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