Des mauvaises et des bonnes barbaries

Les bombes aux phosphores utilisées par l'armée américaine en Irak et Tsahal à Gaza ne sont-elles pas une formes de barbarie ?
Les bombes aux phosphores utilisées par l'armée américaine en Irak et Tsahal à Gaza ne sont-elles pas une formes de barbarie ?

Bien sûr qu’il n’y a pas de bonnes barbaries. Elles sont toutes odieuses, ignobles et forcément condamnables quand elles attentent à l’intégrité physique de la personne humaine, quelles que soient sa religion, ses opinions ou sa nationalité et quels que soient aussi les motifs pour lesquels on l’exécute.

Par Mohamed Abassa

Les vengeances sur des individus innocents en guise de représailles sur les politiques agressives de leur gouvernement, est insupportable et irrecevable comme argument de lutte ou motif de résistance quelles que soient les raisons ou les légitimités avancées.

L’exécution par décapitation des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff relève bien de cette barbarie que l’humanité entière se doit de condamner sans réserve. Cependant, certaines observations s’imposent à propos des condamnations ultrarapides de la barbarie islamiste quand elles se retourne contre ceux-là mêmes, l’Occident en tête, qui l’ont inspirée, créée, soutenue, armée et financée. Quand la barbarie djihadiste frappe et décapite de jeunes conscrits syriens coupables de servir leur Etat légal et leur pays, ces mêmes soutiens des égorgeurs islamistes (Paris, Washington, Londres, Doha et Riyad) applaudissent et saluent la boucherie djihadiste présentée comme exploit militaire des «printanistes arabes» A voire ! A leurs yeux, c’est de la bonne barbarie ! Comme le furent les barbaries d’exterminations totales des peuples indiens par les occupants anglais pour prendre leurs places et leurs biens, comme le furent les peuples africains transformés en bêtes de somme, comme le furent les peuples vietnamiens et algériens menacés d’extinction par les barbaries protéiformes impérialo-coloniales. Là, dans tous les cas et dans toutes les formes – décapitation par guillotine, extermination au napalm, extermination massive au gaz par enfumades etc., etc. C’était aussi, en son temps, maintenant aussi, de la bonne barbarie. Aucune repentance, aucun regret ou de pardon à ce jour. Les soldats français de Bugeaud étaient payés au nombre d’oreilles indigènes présentées, qu’elles fussent arrachées à des têtes d’enfants, de femmes ou de vieillards. C’était la mission civilisatrice de la France coloniale qui s’exprimait par les barbaries exterminatrices des hordes occupantes tuant, incendiant et décapitant tout sur leurs passages. Ce qui fit écrire à l’Emir Abdelkader (à Bugeaud) «je reconnais vos traces à mes bibliothèques et livres brûlés…) C’était déjà l’époque de la bonne barbarie soutenue, justifiée et glorifiée par les Alexis de Tocqueville, Jules Ferry et même Victor Hugo : « l’Algérie est un don du ciel à la France…»

Sur le même registre contemporain de la « bonne barbarie » quand les hordes sionistes, utilisent les mêmes méthodes barbares de leurs géniteurs historiques (Grande-Bretagne, France, USA) pour chasser tout un peuple de sa patrie et s’approprier des biens et terres palestiniens à l’exacte réplique de ce qu’ont fait les Yankee pour exterminer les indigènes indiens et parquer les survivants dans des réserves comme le sont aujourd’hui les camps de réfugiés palestiniens. On notera ici l’étrange attitude de ces grandes âmes, fort sensibles et affligés à la décapitation d’un homme et se taisent lourdement, sans remords, en soutenant par le silence la décapitation et les massacres de centaines voire de milliers par des dix et des cents d’êtres humains qui présentent le seul défaut d’être de mauvais musulmans, des mauvais servants de l’occident ; des petites gens qui ne cadrent pas avec leurs desseins coloniaux. Les barbaries qui s’abattent sur eux, quand elles servent leurs intérêts, est bonne.

Tous les jours que Dieu fait, un régime islamique, l’Arabie Saoudite et wahhabite pour ne pas la citer, solidement et durablement implanté grâce aux soutiens militaires et politiques des puissances occidentales, décapite, mutile et lapide publiquement des êtres humains sans la moindre affliction des dirigeants européens ou américains qui n’y trouvent rien à redire. Ce régime qui a érigé la torture et la barbarie en mode de gouvernance ordinaire, légitime et légal est, au contraire, soutenu et défendu par toutes les capitales occidentales qui y trouvent leurs gros intérêts. Souvenons-nous quand le 20 novembre 1979, des insurgés arabes ont occupé la mosquée Masdjed El-Haram de la Mecque pour exiger des réformes démocratiques du royaume saoudien. Ce sont des commandos français du GIGN de Christian Prouteau qui se sont portés au secours du pouvoir féodal et rétrograde en gazant et massacrant la majorité des insurgés ; plus de 800, l’horreur. Les survivants, 112, seront décapités publiquement dans les principales villes saoudiennes. C’était de la bonne et belle barbarie devenue possible grâce à la connivence criminelle et barbare de la France des Jacobins. La France de Giscard d’abord et de Mitterrand ensuite en furent sérieusement et massivement récompensés par des commandes saoudiennes conséquentes sans compter les offrandes personnelles. Depuis, les choses n’ont guère évolué, guère changé.

On condamne toujours et bruyamment, les médias aidant, les barbaries solitaires et individuelles mais, sur l’essentiel, les barbaries massives sur les peuples dominés, occupés et asservis, sur les barbaries essentielles qui voient des milliers et des millions d’humains asservis, écrasés et humiliés, on se tait, on ne dit rien ; on se la ferme, comme si elles n’existaient pas. C’est l’exacte attitude actuelle de MM Obama, Cameron, Hollande et même de Mme Merkel qui se dit et se proclame comptable et débitrice des barbaries nazies. Feignant d’ignorer que les dédommagements qu’elle verse annuellement à l’Etat sioniste servent bien plus à financer les nouvelles barbaries sionistes en Palestine occupée qu’à soulager les consciences allemandes. Aucun dédommagement matériel ne saurait blanchir ou soulager la mauvaise conscience allemande. Surtout quand ces dédommagements matériels soutiennent des pratiques et des racismes sionistes bien plus graves que les horreurs nazies. On n’exonère pas des criminels nazis en finançant de nouveaux plus gros criminels sionistes

Qui aurait prédit que les descendants des sans-culottes français et les survivants de l’holocauste allaient exceller en pire dans les barbaries que leur ont faites subir leurs bourreaux successifs ? Qui est plus barbare que l’autre, le nazi Hans Frank ou Ariel Sharon, le boucher de Sabra ? Qui est plus barbare que l’autre, Herman Göring ou Benyamin Nazinyaou ? Alfred Rosenberg ou Paul Aussaresses ? La barbarie des uns, les nazis, a été reconnue, jugée et punie à Nuremberg. Les barbaries étasuniennes, françaises, britanniques, sionistes et saoudiennes attendent toujours d’être jugées et sanctionnées. C’est de la bonne barbarie disent-ils ; elle ne sera jamais jugée. Pas sûr.

Quand des bébés palestiniens de Ghaza, par centaines, sont pulvérisés en lambeaux, en miettes de chair humaine, ce n’est pas de la barbarie, c’est de la bonne barbarie quand elle émane des armées sionistes, c’est de l’autodéfense d’Israël comme le hurlent à longueur d’ondes et de colonnes F. Hollande et Emmanuel Valls. C’est, selon eux, de la bonne barbarie que d’enterrer vivants des familles entières, de brûler vifs des familles entières palestiniennes avec des bombes au phosphore et au napalm.

Quelle différence ferons-nous, nous les civilisés, entre un corps humain décapité en deux morceaux et un corps de bébé ou d’une maman décapités en mille morceaux, en cent mille morceaux éclatés en miettes disparates, en charbons calcinés, en poussières humaines ?

Est-ce humainement ou moralement acceptable quand des êtres humains sans défense, chassés de chez eux, sont confinés, assiégés, encerclés de toutes parts, emmurés, embarbelés, privés d’eau, de nourritures et de médicaments et atrocement punis quand ils crient aïe ! Ça suffit ! Est-il normal et moral qu’on mette en parité un enfant palestinien qui crie, nu, ses colères et ses faims et un F16 venu le faire taire ? Peut-on mobiliser trois armées (terre, air, mer) les mieux équipées du monde grâce aux générosités étasuniennes contre les rescapés d’un génocide, privés de tout, privés y compris des solidarités humaines. Normal, les experts de l’AIPAC et du CRIF, mieux et pire que Joseph Goebbels sont à l’œuvre. Par la puissance des médias et de l’argent qu’ils contrôlent, ils diront et feront dire que les barbaries coloniales et nazies passées sont horribles et insupportables mais les barbaries sionistes actuelles sont bonnes et nécessaires. C’est ce que dit en gros le discours médiatique occidental contrôlé, dans son essentiel, par la finance spéculative internationale. Quel grand média régional, national ou transnational n’est pas contrôlé par la haute finance internationale, c’est-à-dire par les lobbys sionistes ? Même les médias algériens n’y échappent pas ; visas et publicité obligent.

Petites et grosses barbaries

Mais il nous faudra ici rappeler, tout de même, les grandes souffrances qui agitent les petites âmes occidentales qui s’épanchent et s’affligent (avec raison) sur les assassinats individuels de victimes innocentes mais se taisent outrageusement en cautionnant des assassinats par milliers d’autres victimes innocentes. Fatalement, il nous faudra rappeler l’origine et l’essentiel du mal. Le Président américain, Georges Bush, père, n’est-il pas responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en faisant et laissant mourir de faim et de maladies plus 400 000 bébés et enfants irakiens privés de nourriture et de médicaments ? Une grande barbarie que l’opération pétrole contre nourriture a aggravée mais qui a surtout profité à ses amis texans. N’est-ce pas son fils, l’autre G. Bush, fort des convictions du papa, qui a commis en Irak les pires barbaries militaires que la planète terre ait jamais connues, un million de morts et un pays ravagé pour les siècles à venir. N’a-t-il pas autorisé l’utilisation d’armes atomiques, l’uranium appauvri, en Irak dont on découvre aujourd’hui les horreurs. La journaliste de France info, Angélique Ferat, écrivait déjà (nov 2009) «Chaque famille de Felloudja a son bébé monstre…» 

Par bébé monstre recensé et décrit avec détails par les médias occidentaux (Radio France, Arte, BBC, The Guardan, Le Monde, etc.) on relèvera ceci : «bébés à trois têtes, bébés sans membres, bébés avec un troisième œil sur le front, bébés avec trois jambes, bébés avec une bouche sur la gorge, bébés avec cinq et six bras…. Ces horreurs et bien d’autres ont été constatées depuis 2004 de visu par des journalistes européens et américains. En bref, voici ce qu’en résume le journaliste de Wikipédia, Thomas Baetto

«Ces différents reportages attirent l'attention des scientifiques. Christopher Busby, directeur de l'agence de consultation environnementale Green Audit et célèbre pour sa dénonciation des armes utilisant de l'uranium appauvri, se rend sur place et réalise avec Malak Hamdan et Entesar Ariabi une enquête, menée auprès de la population sur la base d'un questionnaire. Les résultats sont publiés en juillet 2010 dans l'International Journal of Environmental Research and Public Health. Sur la période 2006-2009, le taux de mortalité à Fallouja s'élèverait à 80 ‰, quand des pays voisins comme l'Egypte et la Jordanie affichent respectivement 19,8 et 17 ‰.

En décembre 2010, une nouvelle étude réalisée par une autre équipe de chercheurs paraît dans le même périodique. Les résultats sont éloquents : à Fallouja, un nouveau-né a onze fois plus de chances de naître avec des malformations que dans le reste du monde. "Il est important de comprendre, que dans des circonstances normales, la probabilité de tels phénomènes est de zéro" explique Mozhgan Savabieasfahani, l'un des auteurs du rapport. Pour le mois de mai 2010, 15% des 547 enfants nés présentent de sérieuses déformations, tandis que 11 % sont nés prématurément (avant trente semaines de grossesse). Pour la première fois, ces conclusions mentionnent clairement la possibilité que les dommages génétiques observés soient liés à l'armement utilisé par les Etats-Unis, et notamment l'uranium appauvri. Même les servants américains de ces armes à uranium appauvri sont aujourd’hui atteints par des cancers anormalement élevés…

Ces preuves et bien d’autres attestent de la cruauté et de la responsabilité dans les massacres massifs et durables des populations civiles irakiennes par l’armée américaine. Pourquoi personne, aucune institution internationale, aucun gouvernement occidental, aucune ONG, aucune association ne dénonce ces barbaries massives? Savez-vous qu’aujourd’hui les femmes de Felloudja, selon une étude d’une publication scientifique norvégienne, refusent massivement d’enfanter, de crainte de donner naissance à des bébés monstres. Il y a pire ; les jeunes mamans de Felloudja avortent 5 fois plus que les moyennes nationales de la région. N’est-ce pas un autre crime contre l’humanité que porte encore et toujours W.G. Bush junior ? N’est-ce pas la plus grosse barbarie siècle ? Qui s’en offusque ? Qui s’en révolte ? Personne. Les Bush, père et fils, coulent des jours heureux. Décapités, égorgés qui s’en offusquerait ? Personne ; Ils sont les malheurs du monde ; de vrais cowboys qui ont massacré les indiens pour prendre leur place.

Qui punira les voyous G. W. Bush pour leurs barbaries monstrueuses ? Barak Obama ? Il se dit fier de n’être pas descendant d’esclave ! Oui, c’est vrai son papa n’a pas été esclave. Mais il est pire que cela. Il est devenu un vrai esclave des puissants qui gouvernent et dirigent le monde ; en se mettant aux ordres souverains de l’AIPEC, les nouveaux maîtres du monde. Que répondra-t-il à cela ? Rien. Il restera toujours servant et esclave des barons des lobbys militaro-industriels sionistes. Il ne dénoncera et n’agira jamais contre les grosses barbaries. Il se contentera des petites. Un joli masque de blanc (Franz Fanon) pour paraître libre. Que répondra-t-il à ses filles et petits-enfants dans vingt ans ? Il ne savait pas. Les vrais esclaves sont ceux qui brisent leurs chaînes, pas ceux qui les cachent. Prions qu’un jour Obama le comprendra.

A.M.

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Commentaires (5) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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arezki arezki

Monsieur Mohamed Abassa

L'homme est né prédateur cette barbarie est une forme d'instinct de survie L'homme est ainsi fait Le salut de l'humanité viendra de l'intelligence et de la raison

Ci joint une définition de la barbarie de Claude de Lévi Strauss

Claude Lévi-Strauss, Qui est barbare ? (Y a-t-il des civilisations "supérieures" ?)

Message par Robin le Ven 10 Aoû 2012 - 11:01

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L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. "Habitudes de sauvages cela n'est pas de chez nous ", " on ne devrait pas permettre cela ", etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l'Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens.

Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire " de la forêt ", évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit. [... ] Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique.

Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l'Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d'enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s'employaient à immerger des blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si leur cadavre était ou non, sujet à la putréfaction.

Cette anecdote à la fois baroque et tragique illustre bien le paradoxe du relativisme culturel (que nous retrouverons ailleurs sous d'autres formes) : c'est dans la mesure même où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier. En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus "sauvages" ou " barbares " de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie.

Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire (1961)

I/ compréhension

1°) Quelle est l'origine du mot "barbare" ? Que nous apprend cette étymologie ?

"barbare" : "il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposés à la valeur signifiante du langage humain. "

barbare (du grec barbaros) : qui ne parle pas un langage humain

Les Grecs avaient tendance à considérer que ceux qui ne parlaient pas grec n'étaient pas vraiment des hommes. Mais cette tendance n'est pas propre aux Grecs ; selon Claude Lévi-Strauss, elle est universelle, "elle tend à réapparaître en chacun de nous. " (on parle "d'ethnocentrisme"). Nous avons du mal à nous "décentrer", à accepter les cultures différentes de la nôtre.

Note : Eschyle, Platon, Thucydide, Hérodote ne doutaient point que les Égyptiens ou les Perses fussent des hommes et qu'ils eussent développé un haut degré de civilisation ; il n'affirmaient pas la supériorité de la civilisation ou même de la langue grecque, mais de ses institutions et des ses Lois.

2°) Le mot "sauvage" provient du latin selva, qui désigne la forêt. En quoi les mots sauvages et barbare sont-ils proches ?

Barbare — et le concept de barbarie qui lui est attaché — n'ont pas eu, de tout temps, une connotation péjorative. Le terme « barbare » est appliqué par les Grecs à tout peuple qui ne parle pas leur langue. Il a été ensuite utilisé par les Romains pour nommer tous les peuples qui se trouvent à l'extérieur du limes, dans le Barbaricum, la « terre des Barbares ». Il faudra attendre les invasions de l'empire romain pour que le terme devienne péjoratif.

Aujourd'hui, ce terme peut traduire à la fois le mépris pour l’autre, l’étranger, ainsi que la crainte qu’il inspire. Cependant, pour Thucydide, il possède aussi un sens technique : celui des valeurs locales opposées aux valeurs supposées universelles du civilisé, par exemple l'intérêt du clan avant la justice générale.

Michel de Montaigne, qui vécut l’époque « barbare » des guerres de religion de la fin du XVIème siècle, exprime bien le premier sentiment lorsqu'il écrit dans ses Essais : "Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage".

Sauvage : Comme « barbare », l'adjectif sauvage constitue un antonyme de civilisé. Le sauvage est étymologiquement celui qui habite la forêt (silva en latin). Il est censé marquer la frontière entre l'humanité et l'animalité. On se demandait encore au XVIIIème siècle si certains grands singes n'étaient pas des humains à l'état sauvage. L'orang outan est étymologiquement "l'homme de la forêt" en malais.

Les mots "sauvages", de selva, forêt, qui vit dans la forêt et "barbare" (barbaros), qui ne parle pas la même langue, qui a des coutumes différentes, se rattachent à la même idée, au même préjugé : le sauvage et le barbare ne sont pas vraiment des êtres humains, ils ne relèvent pas pleinement de la culture.

3°) "Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie". Pourquoi un tel paradoxe détruit-il l'idée même de "barbarie" ?

L'idée de barbarie n'est pas un concept fondé en raison, mais une opinion subjective, un préjugé, une affaire de croyance et non le fruit d'une réflexion. Claude Lévi-Strauss donne l'exemple tragi-comique des indigènes qui s'employaient à immerger les cadavres des européens pour vérifier si leur corps était sujet à la putréfaction.

Ils doutaient que les Européens fussent des hommes comme eux, ils se demandaient s'ils n'étaient pas des dieux. Lorsque les Européens envoyèrent des commission d'enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ils se conduisirent exactement de la même manière que les indigènes, c'est-à-dire comme ceux qu'ils considéraient comme des "barbares". Si le barbare est celui qui croit à la barbarie, la barbarie est le fait de ceux qui jugent et non ce ceux qui sont l'objet de ce jugement.

Un autre point de vue : Raymond Aron dans A propos de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss. Le paradoxe du Même et de l'Autre, critique le "relativisme culturel" de Lévi-Strauss. Pour Raymond Aron, toutes les cultures ne se valent pas. Raymond Aron affirme qu'il y a des valeurs universelles, ainsi que des hiérarchies. Par exemple une société libre est "supérieure" à une société totalitaire et un concerto de Mozart au dernier tube de Sexion d'Assaut.

Le paradoxe dont parle Raymond Aron à propos de Lévi-Strauss réside dans le fait que l'affirmation de l'universalité de la relativité des cultures suppose l'universalité de la culture au sein de laquelle on pose cette affirmation. Il s'agit donc, pour lui, d'une contradiction, voire d'un sophisme (raisonnement spécieux).

"Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie. " : si l'anthropologue admet la supériorité de ceux qui affirment comme lui-même l'humanité de toutes les cultures sur ceux qui la refusent, alors il se pose comme le civilisé par excellence, les autres étant rejetés dans la sauvagerie ou la barbarie ou disons simplement dans l'idiotisme culturel (Jean-François Mattéi, La barbarie intérieure, Essai sur l'immonde moderne, Presses universitaires de France, p. 241)

Si le barbare est celui qui croit à la barbarie, il est impossible de poser un jugement éthique, toutes les conduites se valent, toutes les cultures, dans toutes leurs manifestations ont la même dignité et la même valeur - on doit admettre par exemple le cannibalisme, les sacrifices humains, l'esclavage, l'excision, le voile intégral, et tout ce que, au sein de notre propre culture, nous considérons comme "barbare" ou 'inhumain" ou dont on nous fait remarquer l'inhumanité.

L'affirmation de Lévi-Strauss ne saurait donc s'appliquer sans discernement, sauf à ruiner toute possibilité de fonder une éthique et un droit universel. "Le barbare est celui qui croit à la barbarie. " ne pourrait-on dire, a contrario, que l'homme est celui qui croit à l'humanité ?

4°) Précisez le sens du mot "culture" dans ce texte.

Le mot "culture" signifie ici le mode de vie, les croyances, le langage, les formes esthétiques, l'organisation sociale, les structures de parenté, les coutumes, différentes d'une société à l'autre... Tout ce qui relève de l'ordre du symbolique.

Réflexion :

5°) peut-on dire qu'il existe des peuples civilisés et d'autres pas ? Précisez les sens possibles du mot "civilisation".

Tout dépend de la définition que l'on donne au mot "culture" et au mot "civilisation". Si, comme on le fait habituellement, on donne à ces deux mots le même sens (cf. ci-dessus), alors la réponse à cette question est non.

Claude Lévi-Strauss établit cependant une distinction entre culture et civilisation : il y a, selon lui, deux sortes de sociétés, les sociétés "froides", dont le fonctionnement ressemble à celle des horloges et les sociétés "chaudes" qui s'apparentent plutôt à des machines à vapeur. Les sociétés froides (les sociétés primitives ou premières) ont une culture, mais n'ont pas vraiment d'Histoire (ce qui ne veut pas dire qu'elles n'ont pas de passé).

Tout se passe comme si elles cherchaient à se reproduire à l'identique, de génération en génération, à éviter tout changement dans les techniques, les modes de vie, les échanges matrimoniaux, la répartition du pouvoir (les décisions doivent être prises à l'unanimité et le "chef" ne joue qu'un rôle symbolique)

Les "sociétés froides" ont tendance à disparaître, à être absorbées ou détruites par les "sociétés chaudes". Lévi-Strauss déplorait ce phénomène, lié à l'uniformisation du monde.

L'idée de civilisation implique l'idée d'un haut degré de développement scientifique, technique, économique, l'existence d'organisations complexes, de classes sociales différenciées, de larges groupes humains organisés en nations et en États.

La civilisation, explique Claude Lévi-Strauss tend vers "l'entropie", du grec "entropia", retour en arrière. Lévi-Strauss emprunte ce mot à la deuxième Loi de la thermodynamique ou "principe de Carnot" concernant l’irréversibilité des phénomènes physiques : l'entropie est une fonction définissant l'état de désordre d'un système, croissante lorsque celui-ci évolue vers un autre état de désordre accru : la surpopulation, les conflits socio-économiques, les conflits armés, la course aux armements, l'exploitation, la surconsommation, le gaspillage, la destruction des équilibres naturels...

Claude Lévi-Strauss attribue à la culture un rôle de régulation de l'entropie croissante engendrée par le développement de la civilisation. Il entend par culture la spiritualité, l’éthique, la philosophie, l'art et la politique au sens que ce mot avait pour les Grecs : l'organisation de la Cité en vue du bien commun. (voir les Entretiens sur France-Culture avec Georges Charbonnier, 1963 et le Cours inaugural au Collège de France)

6°) Dans l'Histoire récente, des hommes ont considéré que certains peuples n'étaient pas civilisés. Quelles en furent les conséquences ?

On peut penser aux peuples d'Amérique centrale, placés sous la domination portugaise et espagnole (massacres, conversions forcées, exploitation), aux tribus Indiennes d'Amérique du nord, parquées dans des réserves et, plus récemment, au colonialisme en Afrique, en l'Indochine, en Inde.

L'idéologie colonialiste, l'idée que l'on a le droit d'envahir un peuple, parce qu'on lui "apporte la civilisation", servit à justifier la domination de ces peuples et l'exploitation de leurs richesses. On peut penser aussi au racisme, à la ségrégation raciale, à l'apartheid en Afrique du Sud, à l'esclavage, au fait d'imposer nos modes de vie à des cultures différentes des nôtres, au risque de détruire ces cultures. (les Inuits par exemple).

Parmi les exemple les plus tragiques, on pense à la persécution des Juifs et des Tziganes et aux exécutions sommaires de soldats français d'Afrique noire au début de la deuxième guerre mondiale. L'idéologie de la supériorité d'une culture sur une autre ou l'idée que l'autre ne serait pas civilisé, qu'il ne serait pas un être humain, mais un "sous-homme", peut conduire au génocide.

Ces critiques justifiées exigent cependant quelques nuances et si le colonialisme est condamnable, les échanges entre l'occident et les autres civilisations n'ont pas toujours et partout été radicalement destructrices et négatives, comme en témoigne Lévi-Strauss lui-même dont le travail d'ethnologue a permis de mieux comprendre et de mieux respecter les cultures "premières".

Ce dernier admet que certaines "valeurs" occidentales ont une valeur universelle : les droits de l'homme, la démocratie, le respect de la dignité de la femme, l'instruction, la médecine, l'éradication des maladies endémiques telles que la tuberculose, le paludisme ou le SIDA.

Claude Lévi-Strauss admet aussi que les "occidentaux" ont le droit d'avoir un mode de vie, une culture, une "vision du monde", des valeurs qui leur sont propres.

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