Poseurs de bombes : les ancêtres redoublent de férocité

Yakourène.
Yakourène.

"Ils sont venus, ils sont tous là", disait Aznavour des enfants d'une mama sicilienne. Cette fois, ils sont tous là, les fondateurs du combat pour l'amazighité, pour la berbérité, pour l'identité.

Il y a quarante ans, à deux années près, on les a traînés dans la boue. On les a torturés, on les a emprisonnés. On les a appelés "les poseurs de bombes" et on les a affublés de prénoms et de noms européens.

"Complot ourdi par l'étranger", disait-on à l'époque. Il n'y avait aucun étranger dans ce groupe d'une trentaine de jeunes en colère qui n'en pouvaient plus de voir leur langue et leur culture ignorées. 

Sous Boumediene. Sous l'été noir. Sous l'oppression absolue, ils ont décidé de se sacrifier. D'offrir leurs vies à la cause identitaire.

Azrou Nesvah, au-dessus de Yakourène, un nid d'aigles. C'est ici que les anciens parias de ce pays déterminé à cracher sur les ancêtres se sont donné rendez-vous pour rendre hommage à un enfant du village. Un valeureux. Kaci Lounès. Il y a là ses anciens compagnons, Bahbouche, Cherradi, Cherefi, Metref, About, Lasekri, Achab, mesdames Haroune Noura et Kahina Kaci...

Il y a là une grosse brochette de chanteurs. Vrais, bons, engagés, convaincus : Hacène Ahrès, Oulahlou, Bouyacoub, Faroudja, Ali Idheflawène et surtout Ouazib Mohand Ameziane qui s'est donné depuis des mois pour la réussite de cet hommage à ces pionniers du combat pour le recouvrement de notre dignité. 

Sur la route de Yakourène, vers Azrou, Khaled Barkat qui m'accompagne me dit lorsque je lui parle d'une rencontre imminente avec des singes magots "mais des singes, il y en a partout ! Ce pays est un zoo !". Nous nous arrêtons en cours de route pour nous rafraîchir sous les toits d'une cahute qui rappelle le Texas mexicain. Ici, on élève des cailles et on les sert grillées sur un barbecue encaissé dans une orée de chêne. Un rêve !

Sur les bordures de la route qui mène vers Azrou, les canettes jouent aux bornes hectométriques. L'Algérie est belle, l'Algérie est sale. L'Algérie est par contre propre dans la tête. Ou plutôt, disons que la tête de ses enfants est propre. 

1996. On emprisonnait alors, les meilleurs fils du pays pour un oui pour un non. Pour un tee-shirt floqué du nom de Massinissa. Des jeunes militants de la cause identitaire, de parfaits patriotes ont tout simplement disparu. 

Houari Boumediene, le réputé vertueux, était un sacré dictateur. C'est d'ailleurs lui, le communiste assumé qui, paradoxalement, a préparé le lit de l'intégrisme. Qui a installé l'arabe comme langue et repère uniques excluant toute référence à la diversité, à l'ouverture. 

Mohand U Haroun, une des figures.

Toute cette entreprise destructrice a été menée au nom de l'éradication des strates du colonialisme, de la reconquête de l'identité nationale, de la lutte contre l'impérialisme. 

Cinquante ans plus tard, tout le monde peut se rendre compte que ce politique a produit un pays poubelle. Aucune contrée de la planète n'est aussi sale et aussi mal gérée. L'Algérie est aujourd'hui la capitale mondiale de la corruption et de la rapine. 

Dénoncer cet état de fait était peut-être le sens de ce rassemblement très convivial organisé par l'association culturelle "Azrou Nesvah" et dédié à Kaci Lounès, l'enfant du village. 

La cour de l'école des Frères Goudjil a vibré au son des chants des artistes invités et de l'histoire pas si lointaine des compagnons de Kaci, ces jeunes qu'en 1976 on a embastillés et surtout torturés sous prétexte d'intelligence avec l'étranger.

Smaïl Medjber, l'autre grand militant de la cause amazighe.

Ces enfants d'Algérie, rappelle Kahina Kaci, avaient la vingtaine. On les a affublés de noms européens. Rousseau reste le plus célèbre. Il semblerait que les étrangers présentés aux Algériens par les médias - tous publics - de l'époque étaient des mercenaires embauchés par la toute puissante sécurité militaire pour dire ce que le régime voulait bien qu'on dise. Après onze ans de tortures et de geôle, les poseurs de bombes ont été libérés. 

D'aucuns sont restés malades, handicapés, d'autres ont fini cadres supérieurs du même Etat qui les avait disgraciés quelques années auparavant. Quelques-uns, enfin, sont, à l'instar de Kaci Lounès, en train de finir leurs pauvres vies en exil. 

Arzou Nesvah. Tout le monde est là. Il manque à l'appel Mouloud Zeddek. Un animateur monté sur scène, entre deux moments d'extase, explique que la star a exigé 350 000 dinars (35 millions de centimes) pour venir rendre hommage aux poseurs de bombes. Aux aînés du combat pour l'amazighité. Dommage.

On aurait pu penser que les ancêtres du combat identitaire ont lâché la bride. Azrou Nasvah nous a apporté la preuve, au contraire, ils redoublent de férocité.

Meziane Ourad

Plus d'articles de : Algérie

Commentaires (1) | Réagir ?

avatar
nadir sinhader

Et si cela s'avère vrai, 35 millions pour qu'il nous fasse entendre son âart, comme disait Fellag, alors que des hommes et des femmes ont payé de leur vie juste pour un idéal, alors là, il serait la sommité de l'hypocrisie et de l'imposture. Malheureusement, cet ârtiste est connu pour son arrogance et son orgueil démesuré, surtout, depuis qu'il s'est acharné à abattre un grand arbre en s'armant juste d'une petite fossille (amgger u fus).

Par ailleurs, moi, à leur place, les organisateurs auraient mieux fait s'ils avaient invité des conférenciers, et même juste dans la région, ils n'en manquent pas.