La Méditerranée en deuil

Sensible et toujours à l'écoute, l'immense Claude Lasnel s'en est allé.
Sensible et toujours à l'écoute, l'immense Claude Lasnel s'en est allé.

Un jour de colère comme seule notre "mare nostrum" est capable d'enfanter, Zeus avait décidé de convoquer tous les éléments naturels : cyclones, tempêtes, tremblements de terre, déluges en tout genre, et les prophètes se sentaient bien impuissants devant cette injonction des cieux! comme pour mieux faire la nique à cette journée décrétée "fête nationale", le destin décide alors de figer l'espace et de suspendre le temps : c'est le quatorze juillet deux mille quatorze que Claude Lasnel, passeur devant l'éternel, décide de tirer sa révérence. Discrètement, sans faire de bruit, avec l'humilité qui lui servait de deuxième peau.

Ayant décidé de la fraternité son credo, il s'engage très tôt au côté du peuple algérien qui venait d'accéder à son indépendance. Claude a rejoint l'Algérie pour la reconstruire. 1962, tournant historique plein d'espérance pour des générations entières. Claude Lasnel voulait donner au mot révolution toute sa saveur.

A l'instar de Jean-Louis Hurst, autre "pied-rouge" qui nous a quitté récemment et qui a choisi de se faire enterrer dans son pays, l'Algérie, Claude est désormais inscrit au panthéon des amoureux du système franco-algérien, franco-maghrébin, de la Méditerranée du coeur.

Qui est donc cette tête brûlée qui donne un sacré coup de vieux à l'union pour la Méditerranée imaginée par Nicolas Sarkozy, et qui imagine avant l'heure cette "Méditerranée de projets" si chère à François Hollande.

Qui est ce créateur des stages "collèges-quartiers" fondés dans les quartiers nord de Marseille, qui est cet initiateur de l'école informelle du Haut Atlas marocain ? A l'image de Adb Al Malek Sayad, professeur émérite, auteur notamment de l'ouvrage "Enfants illégitimes", Claude a placé l'échange, le dialogue, la formation au coeur de la vie.

Très tôt, Lasnel a dit "l'immigration a une fonction miroir révélatrice d'un certain nombre de dysfonctionnements de notre société."

Un père admirateur de Jaurès et une mère, institutrice, ouvrent les yeux d'un jeune homme qui fraternise très tôt avec ses copains de faculté, d'un adolescent qui embrasse dès le premier abord, dès les premières cartouches, la lutte pour l'indépendance de l'Algérie.

Révolté par les exactions du colonialisme, il s'engage très tôt dans ce mouvement devenu légendaire : celui des "pieds rouges" où se sont engouffrés des milliers de jeunes français pour participer à la construction de l'Algérie nouvelle.

Du lycée technique d'Alger (El Anasser ex-Ruisseau) où il officie treize ans à l'école de la deuxième chance de Belcourt en compagnie de l'Abbé Scotto et du moudjahid Ramdane, il n'a de cesse de lutter contre les "préjugés sociaux et culturels", de dénoncer la xénophobie et de plaider et militer pour la "reconstitution du lien social" sans lequel la citoyenneté est un vain mot.

Toute sa vie, ce Monsieur a voulu croire et réinventer une chose simple : la nature humaine. Pour lui, chaque être humain quelque soient ses origines, sa condition, sa religion, sa nationalité, son statut, recel cette part d'humanité chères à Jaures et qui tendent à donner du sens au mot : "formidable!

Fort de ses expériences, animé par une volonté hors du commun, Claude Lasnel se voit confier la première mission d'échanges franco-méditerranéennes aux côtés de Stéphane Hessel, alors, ambassadeur intérimaire de France en Algérie. Ils sont restés amis à jamais.

Ainsi d'Alger à Rabat, de l'université expérimentale de Vincennes aux quartiers nord de Marseille, du maghreb au "Clos Maria" transformé en mecque pour d'innombrable artistes, écrivains, intellectuels des deux rives, Claude Lasnel a donné du sens à la vie.

D'Aït Menguellet à Leïla Chahid, de Daniel Beaume à Tahar Djaout en passant par Kateb Yacine ou Rachid Mimouni, en prenant tous ces chemins, en allant vers Babel, on se retrouve finalement, au coeur de la planète. Aix. En pleine âme du maquis provençal, dans cette maison dessinée et meublée, à l'identique des cahutes Amazighs de Kabylie du M'zab ou du Hoggar, voici la chanson "Vava inouva" reprise en coeur par une foule monumentale venue dire au revoir à Claude Lasnel.

Bien entendu, ils sont venus de partout : d'Algérie, de Suisse, du Maroc, des Etats-Unis, du Canada, d'Allemagne et de toutes les villes de France. Les enfants du Haut Atlas n'ont pas oublié l'engagement qu'il a assumé pour aider les enfants des villages marocains perdus, pauvres, pour les sortir de la nasse. Claude a été jusqu'au bout de son "entreprise", de ses paroles.

Claude Lasnel a permis à des enfants paumés, qui n'avaient aucun avenir dans leur pays d'origine d'apprendre un métier, d'être adoptés par un pays. Nous pourrions aligner, ici, les prénoms d'un certain nombre de cadres tirés de l'anonymat par Claude. Inutile...

A côté de la famille et des amis il y a là, aujourd'hui un ribambelle de cadres, d'entrepreneurs, d'enseignants, de dirigeants d'entreprises qui oeuvrent pour perpétuer le message de dialogue, de tolérance d'échange que portait Claude.

Il y a là Louisa, une fille des quartiers nord qui a bénéficié de l'aide Claude Lasnel, qui aurait pu finir voyou et qui est aujourd'hui proviseur d'un lycée. Quelle femme! quel homme! Claude Lasnel adorait Louisa, une belle amie, une vraie amie. Allons vers l'autre, Daniel Beaume, professeur de musique, agrégé de philosophie et surtout grand compagnons de route de Claude Lasnel sur les quartiers nord de Marseille.

Au moment où tous les amis de Claude se recueillent sur son corps en partance, au milieu du silence, la sirène d'un T.E.R se fait entendre et un bouquet d'oiseaux s'élève dans un ciel bleu débarrassé de ses nuages.

Claude Lasnel nous a quitté subrepticement, discrètement. Gentiment. Était-ce un au revoir ?

Nacer Kettane, Meziane Ourad

Aix-en-Provence, le 20 juillet 2014

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Commentaires (3) | Réagir ?

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algerie

merci

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algerie

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