Les conséquences du Printemps noir ouvertes en débat

Les crimes du printemps noir demeurent impunis.
Les crimes du printemps noir demeurent impunis.

Les conséquences des événements du Printemps noir sur la vie et les structures sociales ont été, ce jeudi 26 juin 2014, à l’ordre du jour des participantes et participants au débat, axé sur une conférence de la jeune et déjà prolifique écrivaine Dihya Louiz, et consacré à ce thème par l’association HUM-ACT au niveau de la mairie d’Akbou.

Tenue au sein de la salle de délibérations de l’APC, l’organisation de cette conférence, animée par l’écrivaine qui a fait du Printemps noir le thème central de son dernier roman, par ailleurs bénéficiant d’un succès international remarquable, a été en elle-même un préliminaire discret, révélant un fait et soulignant une évolution. En effet, le traitement littéraire poignant réservé par l’écrivaine Dihya Louiz aux événements du Printemps noir dans son deuxième roman révèle que les scolarisés ayant subi de plein fouet ces événements continuent malgré toutes les apparences de les vivre en esprit ou, pour dire les choses crument, n’en sortent toujours pas ; le même traitement romanesque souligne en outre une évolution du fait que ces événements reviennent sur un autre terrain, la littérature, et désormais pris en charge par celles et ceux qui ont eu à les vivre, à les subir, directement et brutalement, avec leur fougue et leur espérance juvénile à l’époque. Le roman de Dihya Louiz n’est pas, en l’occurrence, un fait tout à fait isolé mais plutôt une primeur si l’on sait que le Printemps noir fait aussi l’objet de recherche universitaire dont la soutenance récente d’un mémoire de master sur l’état post-traumatique des victimes et parents de victimes du Printemps noir a été soutenu en toute brillance par l’étudiante en psychologie clinique, Djennadi Nawel, de l’université de Béjaïa.

En réalité, cette évolution est dictée par le fait que l’on ne dépasse pas encore les causes, l’impact et les séquelles du Printemps 2001. C’est ce que justement relève la conférencière en disant que "l’impact de ces événements s’enregistre sur plusieurs plans : politique, économique, social, culturel, psychologique, etc. ; si on ne parvient pas à en parler, et on ressent une propension à fuir la discussion à ce sujet 13 ans encore après, on n’arrivera pas à en sortir et les dépasser". Dans sa conférence, Dihya Louiz a d’abord fait le tour des dates, des événements et des documents (rapports, études, témoignages) saillants des premiers mois du Printemps noir, a ensuite brossé un croquis des événements tels qu’enregistrés par Meriem, l’héroïne et la narratrice de son roman qui, plusieurs années après 2001, a décidé de porter noir sur blanc sa biographie dont le Printemps noir a été l’articulateur majeur tant du point de vue individuel que dans la transformation de son environnement familial et social ; elle a pour laisser libre cours aux débats esquissé un bilan sommaire des conséquences de ces événements, bilan que l’assistance est invitée à élargir et à approfondir par ses interventions.

Le public, bien que d’affluence moyenne, est représentatif des diverses sensibilités présentes à Akbou. Comme on pouvait s’y attendre, l’âge moyen des présents se situe aux alentours de la trentaine. Des blessés du Printemps noir, y compris Me Ikken, président de l’association éponyme, y sont présents ainsi que différentes figures des structures d’urgence mises sur pied à partir d’avril 2001. Les interventions, parfois appréhendées à priori, ont été toutes empreintes de maturité, d’objectivité, d’informations et de témoignages attestant que le temps de vrais bilans, pouvant servir à tirer les choses au clair afin que l’essentiel de cette expérience douloureuse mais, ô combien, instructive, soit aussi consensuellement et aussi fidèlement que possible d’une part mis au bénéfice de la société afin d’en tirer le meilleur parti dans les évolutions politiques, culturelles et et socio-économiques en cours, que pour "constituer une mémoire collective comprise concernant ces événements pour mieux penser le présent et voir où l’on va", tel que formulé par la l’auteure-conférencière. La quasi-totalité des intevernants n’ont pas manqué de réitérer l’appel à faire de cette conférence une amorce d’un débat qui devra s’approfondir et s’élargir par l’organisation de journée similaires aussi vite et aussi nombreuses que possible.

Le thème de la conférence, sur lequel se sont visiblement entendus la conférencière et l’association organisatrice, a été savamment balisé, d’abord par une annonce-présentation suffisemment bien diffusée par le biais des réseaux sociaux avant le jour «J» puis, dès le matin de la conférence, par une exposition dans la placette de la mairie d’Akbou qui donnait à revisiter des œuvres artistiques créées lors de l’opération «émeutes culturelles» menée par des artistes de la Soummam, en juillet 2001, des «Unes» de journaux parus en 2001, plusieurs déclarations parues tant à Akbou qu’à Béjaïa et à Tizi-Ouzou dès les premières semaines du Printemps noir ainsi que plusieurs photographies prises sur le vif des événements, replongeant ainsi le public par diverses entrées dans l’atmosphère d’alors et l’invitant à bénéficier du recul maintenant réalisé pour un porter un regard plus serein. Une précaution n’étant jamais de trop, le préambule prononcé par l’un des membres de l’association, Makdoud Yazid, a comme synthétisé toutes ces balises en les clarifiant de vive voix avant de céder la parole à la conférencière.

Dihya Louiz est une romancière et nouvelliste bilingue, écrivant en tamazight et en arabe. Auteur de deux romans en arabe, "djassadun yeskun-uni" puis "sa aqdifu nefs-i amam-ek" par lequel elle a obtenu le prix «dhad» du salon international du livre de Abu-Dhabi en mai dernier, et d’une nouvelle en tamazight comprise dans un recueil transnational publié par les éditions TIRA de Béjaïa, elle a en cours plusieurs projets d’écriture. De son vrai nom Louiza Ouzelleg, elle est en outre doctorante en économie à l’université Abderrahmane MIRA de Béjaïa. Très sollicitée depuis la parution de son second roman publié à la fois à la fois à Alger et à Beirut, elle a cette fois-ci répondu à l’invitation de l’association de wilaya Coopération et solidarité pour le développement humain, HUM-ACT, dont le siège est à Akbou.

Cette dernière, fondée depuis une année par une conjonction de jeunes volontés et d’anciens militants associatifs, en est à sa quatrième activité publique d’importance. Elle prépare une caravane de solidarité au profit de personnes âgées et de handicapés en octobre prochain.

Tahar Hamadache

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Tahar Hamadachedz

Propos de quelques intervenants lors de la conférence de Dihya Louiz sur les conséquences du Printemps noir organisée par l’association HUM-ACT d’Akbou

Karim Kherbouche : le mouvement du Printemps noir s’est élevé contre la corruption. Cependant, on constate que la corrutpion atteint des proportions telles que les valeurs telles que celles de solidarité, de nnif, de tirrugza sont en voie de disparition.

M. Hamidouche : les procédés de terreur utilisés par le pouvoir ont empêché que la notion de dilogue prenne un sens, le rendant impossible.

Salah Ait-Mehdi : l’émeute culturelle, à laquelle ont pris part les émeutiers eux-mêmes, avait parmi ses objectifs de détourner l’incendie et l’émeute pour en faire quelque chose de beau, de vrai et de sensé. Mais tout tendait à noyer ce genre d’initiatives ; les tribulations ayant précédé notre participation à l’Année de l’Algérie en France, en 2003, nous ont montré clairement que nous étions poussés au repli sur soi, à la colère aveugle, au sentiment de rejet, non seulement par les forces en oeuvre en Kabylie mais aussi dans les administrations centrales. Le succès de notre participation, au niveau de la ville de Brest, prolongé par un séjour en Grèce, a finalement illustré, par contraste, quel témoignage on avait voulu véhiculer à l’extérieur et comment le notre était nécessaire.

Tahar Hamadache : on ne pouvait saisir ce qui avait fondamentalement changé dans les attitudes des jeunes de 2001 sans en considérer les prémisses apparues dès les évenements ayant suivi l’assassinat de Matoub Lounès en 1998. C’est peut-être là la genèse des positions adoptées par les militants politiques, en dacalage par rapport à la réalité. Et c’est d’avoir saisi très tôt ce fait que nous avons pu assez rapidement articulé les axes d’action, autour du devoir de mémoire, de la solidarité et de l’organisation, dans le cadre de la structure d’urgence qu’était le comité de suivi et de solidarité d’Akbou, par ailleurs dès le départ assez bien mise à l’abri des tentations fascistes.

Sofiane Adjlane : les événements du Printemps noir se sont étirés sur quatre ans pleins. Et en quatre ans de mobilisation continue, d’efforts incessants, dans un tel contexte, des erreurs ont inévitablement émaillé notre parcours. Nous sommes disposés à en discuter objectivement. Il est souhaitable que l’on discute aussi des négociations qui ont eu lieu ainsi que du rapport de Pr Issad.

Me Ikken, victime et président de l’association des victimes du Printemps noir : avec le recul, on comprend qu’il y a eu manipulation. Sur le moment, les partis avaient failli puis ensuite n’avaient pas su capitaliser le statut de victimes du parachèvement de l’identité nationale. Les négociateurs, en 2005, n’étaient pas suffisemment malins : les victimes du Printemps noir sont intégrés de facto dans le concept de “tragédie nationale”, elle-même en voie d’être absorbée par la consécratio envisagée de la “réconciliation nationale” en tant que constante nationale dans la prochaine constitution.

Lounis Sid-Ali : le bilan du Printemps noir est catastrophique, comme tout bilan de catastrophe. Les valeurs se perdent ; les lieux de débat se vident, on se retourne contre soi et on se stigmatise entre nous ; on n’est plus réellement représenté et pour preuve, on sait qui nous représente actuellement au sein de cette APC. Tout cela tend vers un même résultat : empêcher la population de s’impliquer dans ce qui la regarde. D’où l’urgence d’ouvrir ce débat et de le généraliser pour que l’avenir ne nous échappe pas totalement.

Khaled Saadi (“l’arbitre”) : tout le monde sait que, parmi nous, à Akbou, personne n’a participé au dialogue de 2005 : nous n’étions pas d’accord avec l’option du dialogue et tout le monde le sait. Ceci dit, il faut savoir une chose : le pouvoir salit ceux qui ont participé au dialogue afin de fausser les donnes et les priver de leur capacité de négociation. Ni Belaid Abrika, ni les autres n’ont été corrompu : ceux qui ont participé au dialogue n’ont rien reçu, il n’y a eu ni fourgon, ni garage, ni rien, tout cela sont des rumeurs complètement infondées.

Akli Outamazirt : les “aarchs” étaient dits bons au début, méchants par la suite. Il faut reconsidérer les choses à présent. Il faut discuter et relever es erreurs commises et capitaliser les points positifs.

DJADDA : Le Printemps noir est entré dans l’histoire, c’est-à-dire dans le passé, un passé vécu. L’essentiel aujourd’hui et pour l’avenir est d’en tirer des problématiques à étudier de manière critique, ensemble, sereinement, tel que le devoir de mémoire à l’égard des victimes des événements et à l’égard des contextes pour limiter les écarts entre générations, faire le bilan de tout ce parcours et capitaliser ce qui est positif. Cette étude critique servira à apaiser les relations entre nous, objectivement, avec le souci de construire quelque chose de positif pour l’avenir. Pourquoi les sièges des partis politiques étaient brûlés et comment cela a-t-il abouti à la reprise du pouvoir ocal par les partis du pouvoir ? N’est-ce pas une régression ? Quel est notre vécu 13 ans après le Printemps noir ? Tels sont quelques thèmes sur lesquels il serait bien de discuter calmement. Car c’est le moment de lever le climat de suspicion qui s’est installé entre nous, de nous reconnaitre et de capitaliser le parcours effectué.

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haroun hamel

Le titre raccoleur n'a, franchement, rien à voir avec le contenu de l'article. De quelles consèquences, en dehors biensûre que cet événement devient objet d'étude, parlez vous?