Pourquoi les Algériens ont-ils perdu confiance ?

Bouteflika a enterré encore une fois l"espoir de changement générationnel en reconduisant le statu quo.
Bouteflika a enterré encore une fois l"espoir de changement générationnel en reconduisant le statu quo.

Quiconque observe notre société, se rendra compte qu'il y a «une défiance citoyenne» qui va de pair avec un pessimisme social profond. S'il est un constat à dresser après les élections présidentielles du 17 avril dernier, c'est qu'il y a désengagement tout azimuts (élites et masses).

Une fois encore, les Algériens ont échoué à construire une courroie de confiance collective. Ce dont ils auront assurément besoin pour pouvoir se projeter dans l'avenir (un projet de société). A preuve que l’état des lieux de la scène politique est des plus lamentable : les réformes politiques sont au stade stationnaire, l'agenda de la relève intergénérationnelle promise depuis le 8 mai 2012 est reportée sine die, le débat sur l'alternance au pouvoir est définitivement enterré avec un quatrième mandat dont ni l'esprit ni la visée ne sont explicités, et en dernier ressort, la confiance citoyenne est rompue! Ce dernier élément mérite que l'on s'y attarde dessus car c'est le déclic qui permettra la mise sur rails de cette machine étatique en panne d'idées.

1- A quoi la confiance sert-elle ?

Ayant compris les visées impériales de Napoléon Bonaparte (1769-1821), l'un de ses hommes-liges, Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836) a laissé à la postérité un aphorisme lourd de sens «l'autorité vient d'en haut, la confiance vient d'en bas». En ce sens, la première variable ne va pas sans l'autre et vice versa, en termes plus terre-à-terre : un gouvernant sans confiance est un oiseau sans ailes ! En vérité, cette dialectique entre pouvoir et confiance a traversé presque toutes les société humaines. Le sage chinois Confucius (551- 479) a relié tout ordre personnel ou social (Zen) à la confiance. Celle-ci dépasse à ses yeux la puissance militaire et les moyens de subsistance. Étant lui-même magistrat et ministre de la justice dans l'Etat de Lu durant la fameuse époque «des Printemps et des Automnes» ( 771- 453 AV J.C), il a constaté la dislocation de l'empire chinois en de multiples tribus, dispersées et en litige, en raison de la précarité de leurs liens d'allégeance. D'où il tira la conclusion du besoin impérieux de la confiance pour s'assurer de l'adhésion des masses dans l'édification des Etats et des empires. Dans ce dernier cas de figure, la confiance a été conçue comme «une potentialité alternative» à une société de défiance dont la cité de Sparte en Grèce antique fut un modèle (une oligarchie qui aurait puisé sa force des castes militaires et des milieux féodaux au détriment des sujets). Rappelons que celle-ci (Sparte s'entend) avait formé des arsenaux militaires dans l'unique objectif de décimer sa rivale Athènes (une démocratie authentique dont le pouvoir émane de citoyens jouissant de leurs droits, qui plus est, un empire maritime) qu'elle ne parvint jamais à égaler ni en modernité ni en philosophie, encore moins en prospérité économique. Hélas, la fameuse bataille du Péloponnèse entre la ligue de Délos (Athènes) et la ligue de Péloponnèse (Sparte) ( 431-404 Av J.C) due à une carence de confiance mutuelle entre les deux ligues a dégénéré en une faiblesse de tout l'espace grec et sa reconquête par les Macédoniens, puis ensuite par les Romains. La leçon de l'histoire est claire : quand la confiance fait défaut, les civilisations tombent en châteaux de cartes! Dans l'histoire du Maghreb, on relève aussi que la dynastie des Rostémides (776-908) n'a pu vraiment se maintenir pendant presque deux siècles que par les rapports commerciaux qu'elle a su entretenir avec ses voisins! Ironie du sort, cette dynastie n'a jamais disposé d'armée! Le puritanisme, la foi, la confiance et la rigueur ont servi de catalyseurs à ce royaume kharidjite. Si le commerce comme on dit en géopolitique fait la paix, il engendre aussi de la confiance, ce qui justifie d'ailleurs en partie l'arrivée de l'Islam au Sahel et en Asie..etc . Ce petit détour historique nous autorise à dire qu'un lien tissé par la confiance rend la perception qu'on de l'autre positive. La confiance selon le sociologue Pierre Rosanvallon (Voir son ouvrage le peuple introuvable : histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, coll, bibliothèques des histoires, 1998) ne renvoie ni à un rapport de connaissance (expertise) ni à un lien économique (l’intérêt) ni à une relation instituée (déférence): elle institue une sorte de pur lien moral, d'ordre presque métasocial. Ce dernier terme renvoie à ce qui est au-delà du social, c'est-à-dire le mythique, l'historique, le moral, le politique. Autant de bases à partir desquelles le lien de confiance peut être retissé et renforcé. En quelque sorte, la confiance est la veine jugulaire de toute civilisation.

2- La confiance : une denrée vitale

Il est vrai que sans confiance, la société sera travaillée par la lassitude et le désenchantement. L'inconfort de l'incertitude est un frein à son épanouissement puisqu'il érode inexorablement sa capacité de récupération. A noter bien que ordre politique ne signifie en aucun cas stabilité sociale dans la mesure où on peut être en ordre sans être en paix avec soi-même «entre redistribution des miettes et maintien de l'ordre, les algériens sont emprisonnés dans la politique de tout sécuritaire, c'est là la seule option stratégique de ceux qui nous gouvernent en clan, en meute ou en tribu» (voir l'article de Ghania Mouffok, Algérie cherche président à la hauteur, Maghreb émergent du 28 février 2014). En ce sens, l'ordre est à envisager sous le prisme de la contrainte et la stabilité sous l'angle de l'apaisement. Certes, au sortir d'une guerre civile ravageuse, l'Algérie a garanti géostratégiquement l'ordre par le biais de cette fameuse stratégie de «normalisation autoritaire» fortement encouragée par les occidentaux, la France en tête mais n'en reste pas moins sujette aux crispations et frustrations socio-politiques. Les symptômes anxiogènes que réfléchit son ossature en donnent tout une autre image, peu reluisante du reste : une société sous pression permanente, presque hystérique, en perte de confiance et ravagée par des séquelles polymorphes (la colonisation, l'islamisme, les dictatures). Ce qui l'anesthésie dès lors qu'elle se met à ouvrir une autre page de son histoire. Or, «la confiance, c'est cet état fragile et en constant équilibre grâce auquel tout semble réalisable et de fait réalisé[...] La confiance s'accorde dans l'instant mais elle s’éprouve dans la durée, elle est faite d'allers-retours relationnels et temporels» (voir scènes de confiance, témoignages recueillis par Régis Meyran et Elvire Emptaz, éditions textuel, paris, 2011). En d'autres termes, il est presque impossible de s'attendre à une éclaircie quelconque dans notre pays sans l'avènement d'une ère de confiance. Exigence citoyenne parfaitement légitime et pour les responsables et pour le petit peuple.

3- Le syndrome du politique déficitaire

L'impression qui se donne à lire à première vue est que le citoyen algérien se sent renfermé à l'intérieur d'une relation étouffante avec ses gouvernants. C'est une sorte d'asphyxie due à «un unilatéralisme gestionnaire» qu'il a subi au fil des décennies. Or, l'acte politique, basé sur l'autonomie et l’interdépendance des deux parties engagées par «un pacte de confiance» (élites-masses) requiert une totale implication. Autant dire, il faut laisser au citoyen le droit de respirer afin qu'il comprenne ou plutôt qu'il verbalise en mots ce dont il a besoin. Réprimer le verbe et l'expression démocratique est le propre des régimes autoritaires, prompts à tergiverser, manipuler, semer la confusion et détourner les revendications de la plèbe. En plus, le clavier verrouillé par un quotidien difficile, le jeune algérien est noyé jusqu'à la tête par ce spectacle de l'argent sale qui coule à flots devant lui sans qu'il puisse en tirer profit. Les conséquences, par trop, désastreuses sont là : un désintérêt grandissant pour la chose politique que ce dernier reconvertit inconsciemment en débrouillardise soit dans cette grande arnaque de l'A.N.S.E.J, soit dans la vente à la sauvette ou tout simplement dans les circuits des magouilles dont regorge l'économie informelle. Point de relève intergénérationnelle ni de relais dans la société civile, la gérontocratie gère une société jeune et dynamique sans qu'elle prenne la moindre peine de penser aux lendemains dans un monde en éternel changement, phénomène de la mondialisation oblige. En conséquence de quoi, on pourrait conclure hinc et nunc, au risque d'être taxés de fatalistes qu'on s'achemine directement droit dans le mur, un scénario de vaudeville sans doute : une gouvernance par procuration non seulement du côté de l'élite dirigeante actuelle mais aussi de la part des grandes puissances qui, sous divers aspects, feront de l'ingérence un automatisme de gestion Nord-Sud, «la recolonisation psychologique» est une des voies d'occuper un espace creux culturellement d'abord, puis en industrie et agriculture et au final en économie. Car, l'Algérie actuelle souffre d'une carence managériale et d'une hémorragie de cadres qu'elle aurait de la peine à convaincre dans les années à venir de retourner au bercail dans un climat de corruption généralisée, d'où l'urgence, à mon sens, de tirer au plus vite la sonnette d'alarme avant qu'il soit tard.

4- L'impératif de deuxième République

En 1962, peu avant l’accaparement de l'armée des frontières des leviers du pouvoir, beaucoup de voix se sont élevées pour exiger la mise sur pied d'une constituante, tremplin idéal pour l'exercice du pouvoir dans un équilibre entre la chambre législative et l'exécutif. Les bouleversements antérieurs ont enterré à jamais ce rêve «la personnalisation du pouvoir par la concentration des fonctions gouvernementales et la préférence pour le présidentialisme sont la tendance générale observée dans les pays du Tiers Monde» écrit Ammar Koroghli ( l'armée aux manœuvres et aux commandes in le Quotidien d'Oran 10 mars 2014). Comme en Egypte, l’état-major général tire les ficelles derrière un exécutif factice et une assemblée devenue chambre de résonance des slogans du parti unique F.L.N. Ainsi le diptyque (F.L.N-A.L.N) (guide-exécutant) issu de la révolution de 1954 s'est-il inversé en (A.N.P-F.L.N) durant la période d'indépendance nationale. C'est le triomphe du credo du militaire sur le politique et l'échec de l'autorité auto-organisatrice et tutrice du G.P.R.A (gouvernement provisoire de la république algérienne). Depuis, le malheur de l'Algérie n'a cessé d'inquiéter. Néanmoins, les soubresauts erratiques du coup de force de janvier 1992 ont remis au goût du jour cette lancinante problématique entre le militaire et le civil. Hélas, la mort de l'esprit démocratique du régime et l'alignement d'une grande frange de notre intelligentsia sur une approche à contre-courant de ce qu'ont exigé les circonstances de l'époque ont donné le deuxième coup de grâce à la démocratie en Algérie. L'arrivée du président Bouteflika aux affaires en avril 1999, censée apporter un nouveau souffle «civil» à la gestion étatique n'a pas eu les résultats escomptés. Le tribalisme et le régionalisme ont tué les graines de la confiance chez les masses, d'où l'exigence aujourd'hui d'un retour aux sources de la légitimité populaire, à savoir, la consécration d'une deuxième république calquée sur le modèle d'une constituante. Car, la confiance est une affaire sensible pour qu'on la laisse en jachère.

Kamal Guerroua

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Commentaires (8) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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Aksil ilunisen

Le probleme algerien reside dans la famille algerienne. Y a qu'a regarder autour de soit!

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