L’après 17 avril : fin de la récréation ou début d’autres croyances ?

Dessin de Topyk.
Dessin de Topyk.

Interrogé le 11 avril 2014 par une délégation de l’ONU, l’ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Saïd Sadi, soutenait à l’hôtel "El-Djazaïr" (ex-"Saint-George") que l’actuel chef de l’État sortira vainqueur d’un scrutin se décidant au final selon le rapport de force prévalant à l’intérieur du système.

Pour le défenseur des droits de l’Homme Ali-Yahia Abdennour, Abdelaziz Bouteflika ne quittera pas son fauteuil par l’alternance électorale mais donc en fonction des glissements de chaises dans les coulisses d’une armée ayant toujours eu le dernier mot pour adoubé l’élu de son choix. Noyau combustible du pouvoir politico-symbolique depuis le 05 Juillet 1962, elle gère, à l’instar des décideurs égyptiens, ses intérêts militaro-industriels et orchestre abondamment les référents de la phase révolutionnaire à travers des monstrations comme par exemples Les photographes de guerre: Djounoud en noir et blanc et El Moudjahidate, nos héroïnes, deux expositions étrangement organisées au Musée public d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA). Dans le livre de Samir Toumi, Alger, le cri, le personnage principal y émet d’ailleurs cette interrogation : "Suis-je un homme sans futur (...) condamné à me nourrir du passé ?", donc de la légitimité historique d’une Armée de libération nationale (ALN) autrefois majoritairement retranchée à la frontière algéro-tunisienne. En usurpant puis capitalisant les dividendes politiques du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), ses chefs réussiront un tour de passe de passe laissant penser qu’ils avaient conquis l’indépendance sur le terrain proprement militaire. Hors, seules les troupes du Service de coordination opérationnel et de renseignement antiterroriste (SCORAT) ont su gagner une guerre en menant lors de la "Décennie tombale" une lutte implacable contre les aguerris de l’Afghanistan. Conquérantes de l’épreuve frontale, ces unités spéciales pouvaient à ce titre faire valoir leurs valeureux faits d’armes pour avoir justement extirpé le pays des griffes de l’islamisme djihadiste. Ne supportant plus l’aura envahissante des patrons du Département des renseignements et de la sécurité (DRS), le calife Bouteflika limogera ceux réputés proches de Mohamed-Lamine Mediène, placera des fidèles autour de lui pour l’isoler et "(…) éliminer ceux qui lui font de l’ombre ou ne lui prêtent pas allégeance", soulignera Ali-Yahia Abdennour dans le journal El Watan du 08 avril 2014.

À quelques heures du "dépouillement" (terme à saisir aussi au sens figuré) des bureaux de vote, les dociles flagorneurs lui concoctent probablement un pourcentage et un taux de participation à la hauteur de ses lubies royalistes, une ultime manipulation qui fait dire à l’ancien colonel du DRS Mohamed-Chafik Mesbah qu’il sera réélu au premier tour, que les dès pipés sont jetés, cela quitte à promptement agacer une population que des mercenaires de la "Famille révolutionnaire" ont interpellée en émoustillant ses instincts grégaires. Le professeur Rachid Tlemçani expliquera que la nature des éléments constitutifs de la culture traditionnelle maintien des atavismes tyranniques et unanimistes qui, ancrés dans les profondeurs archaïques germent encore dans les cerveaux d’élites technologiques. Néanmoins, nous attendons toujours des signaux tangibles venant d’une nouvelle génération d’officiers susceptibles d’accompagner la société civile dans sa quête et bataille démocratiques car «L’accélération de l’histoire, qui a frappé à la porte de l’Algérie, fait du départ du président un préalable, un impératif même.», précisera Ali-Yahia Abdennour. Cette assertion de l’avocat complétant la "feuille de route" qu’Hocine Benhadid fera paraître dans El Watan du 02 avril 2014, nous répercutions via le texte "Nature et dessous des tables de négociation" l’hypothétique décantation du général à la retraite. Elle laisse supposer que le temps du régime de la mamelle et du statu quo est en fin de cycle, qu’une plage transitoire viendra prochainement mettre un terme à cette "logique de la terre brûlée" sur laquelle pousse l’ "économie de la cueillette" voulue par une bourgeoisie comprador qui se dore la pilule sur les transats et réseautages de crédits illimités débloqués lors du 1er 2e puis 3e mandat. Elle attend donc avec avidité l’annonce officielle d’un quatrième tour de piste synonyme de stagnation anachronique. Cette conclusion, tous les observateurs honnêtes et perspicaces la décrivent comme la pire des perspectives. Nous avons par conséquent à maintes reprises sonné l’alerte pour avertir qu’il faut résolument rompre avec la barbarie corruptrice, asseoir à la place des perversions paysannes la modernité transcendantale de forces vives déterminées à transformer la société par la "(…) compétence, la somme de sincérité, d’idéalisme et de patriotisme". Porteuse de voix et voies contradictoires, elles sont en mesure de dégeler l’immobilisme auquel renvoie le vocable de stabilité asséné pendant des mois par les suppôts-viatiques des lobbies monopolistiques qui font des martyrs un fonds de commerce et autres rentes de situation.

Lorsque la revue de l’Armée El-Djeich stipulait le 14 avril que "Par fidélité au serment et aux glorieux martyrs et par respect au dévouement de nos valeureux moudjahidine, l'ANP agira avec constance et sans relâche", Belaïd Abrika, rappelait le même jour dans le périodique Algérie News que "les parents des 126 martyrs tombés sous les balles assassines du régime sont dans l’attente qu’une justice leur soit rendue." Persuadé que "l’Algérie est assise sur une poudrière", quelques jours avant les commémorations du "Printemps noir" de 2001 et celui de 1980, le porte-parole des âarchs entrevoyait l’après-17 avril comme l’opportunité d’une convergence "(…) des forces du changement dans un cadre pacifique pour la fondation de la IIe République". Ce qui par contre nous semble néfaste à cette symbiose, c’est la position prise le 14 avril par les leaders du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) pendant les manifestations de Tizi-ouzou, Bejaïa et Bouira. S’inclinant devant le souvenir de tous les martyrs, Sadi et Mohcine Belabbas inciteront des milliers de personnes à s’unir tout en réclamant l’institutionnalisation du tamazight, langue berbère dont la promulgation viendra naturellement dans un cadre démocratique. La soumettre dans le présent contexte, c’est diviser plutôt que de chercher à rassembler une opinion mobilisée car ouvertement opposée à un simulacre électoral, à un jeu de dupes faisant d’Abdelaziz Bouteflika un otage de "(…) de groupes des affaires qui ont fait main basse sur l’économie du pays", stipulait le chercheur Rachid Tlemçani. Les "barakistes" ou "barakatistes", les étudiants de Batna, Tizi-Ouzou et de Bejaïa, les universitaires de Bouzareah, les associations de chômeurs, les gardes communaux et syndicats autonomes, tous ont voulu remémorer la promesse émise par le coopté d’Oujda lors de son discours du 08 mai 2012 à Sétif, allocution pendant laquelle il déclarera: "Je l'ai dit et je le répète, le temps de ma génération est révolu", ("Aach men aref qadrou", "Longue vie à celui qui connaît ses limites"). Son "tab djenana" (notre ère est révolue), qui laissait envisager un passage de flambeau, n’était qu’un leurre supplémentaire que nous dénoncerons en sortant souvent de notre habituelle réserve analytique, celle là même que commande la distance sociologique.

La conscience qu’une dynamique conflictuelle était en train de ponctuer le champ politique, donc par prolongement le paysage culturel et artistique, nous aura convaincu de la nécessité de combattre les tenants du tribalisme, de la hogra, du marché informel, de la provocation grossière, des manipulations de bas étages consistant, au détriment de la logique économique, d’injecter plus de 20 milliards de dollars dans des augmentations substantielles de salaires, cela uniquement pour acheter la paix sociale avec la complicité de Sidi Saïd, le premier secrétaire de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Aussi, né le 09 avril 2014, un Comité national de réappropriation et de sauvegarde (CNRS) encourage à reprendre en mains une Centrale qui, sous la férule du Front de libération nationale (FLN), fut dès décembre 1962 neutralisée et assujettie à des désidératas endiguant les contestations ouvrières et sapant l’Autogestion. Devenue une caisse de résonnance puis une coquille totalement vide après l’exécution d’Abdelhak Benhamouda, assassiné pour avoir refusé en son temps la fermeture d’entreprises publiques bradées aux bénéfices des oligarques financiers (en vérité de vulgaires maffieux), l’organisation de masse est désormais un grand corps malade que nous avions pourtant connu en meilleur santé lorsque le Collège syndical et politique de Bologhine dispensait encore des séminaires sur la Gestion socialiste des entreprises (GSE). Hébergés pendant près de trois années à ce même endroit, nous y croisions alors des militants pro-fanoniens et post-cheguevariens. Préalablement formés au combat partisan par des éléments de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et autres trotskistes en affinité avec les indépendantistes basques, nous renverserons au printemps 1981 le Comité des étudiants de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger avec les derniers baroudeurs du moment, avant donc que la Sécurité militaire (SM) puis le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) ne s’immiscent dans tous les processus réfractaires et sapes les élans progressistes. Les grévistes du parc Zyriab coalisaient à l’époque diverses tendances, celles-ci allant des libertaires aux fondamentalistes, l’un d’eux ayant d’ailleurs dès 1992 rejoint les rangs du Mouvement islamiste armé (MİA), transformé ultérieurement en Groupes islamistes armés (GİA). Toujours est-il que, fédérateur d’énergies positives, le rassemblement conduira à la formulation de revendications qui débouchèrent quatre années plus tard à la mutation de l’École nationale des Beaux-Arts d’Alger en institution supérieure.

Ceux qui pensent que l’Algérie se trouve à un carrefour de son histoire perçoivent dans l’après-17 avril 2014 une opportunité pour amorcer le changement des lendemains qui chantent, un remodelage salutaire auquel croient nombre d’individus désirant prendre le chemin des sentiers non battus d’une deuxième République. Elle garantirait cette fois une pleine souveraineté, c’est-à-dire une modernité corrélative à une suite d’inventions dans un pays exportant "Plus de 70% des produits de première nécessité (…), plus de 50% de nos besoins en médicaments", notifiera Mohand Tahar Yala. De là un nettoyage à mener dans tous les secteurs, et fortiori au niveau des commissariats et enseignements artistiques où doivent apparaître de nouvelles figures. L’ensemble des adhérents de l’organisation des anciens militaires de l’Armée nationale populaire (l’ONR/ANP) souhaite pareillement voir un autre visage à la tête du pays. De nombreux syndicats se préparent de leur côté pour les grandes manœuvres postélectorales car constatant que des travailleurs jusque là apolitiques réclament désormais des comptes aux responsables locaux, régionaux ou nationaux. La tétanisation va changer de camp. C’est du reste ce qui transparaissait des pitoyables prestations de Laichoubi Mohammed et du ministre de l’Industrie Amara Benyounès, respectivement visibles le 16 avril au soir sur la chaîne France 3 et le 14 sur "BFMTV". Comme le relevait Rachid Tlemçani, ils savent parfaitement que si les différentes protestations font jonction, la mayonnaise prendra forme et un essor, que beaucoup disaient improbable, marquera les esprits à travers le territoire des ex-citoyens de beauté. Dès lors, tous les cadenas précédemment plombés par la "peur sécuritaire" s’ouvriront malgré les répressions policières qui ont reprises le 16 avril 2014 au centre d’Alger.

Des milliers d’yeux sont tournés vers la rive sud de Méditerranée et regardent l’Algérie avec la conviction que malgré les coups de bâtons des mercenaires de l’ordre hiérarchique, les choses vont bouger. Après quelques rodages, la machine révolutionnaire va se mettre en marche.

Saadi-Leray, sociologue de l'art

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Commentaires (5) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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gtu gtu

merci pour les informations

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