Faut-il Bouteflika ou "Bouter-flica" ? (suite et fin)

Bouteflika et son précarré proche.
Bouteflika et son précarré proche.

De l’avis de l’avocat Ali Yahia Abdenour, généralement les tribunaux ne prêtent pas d’attentions particulières aux aveux soustraits sous la torture, d’autant moins d’ailleurs que celle-ci ne laisse pas forcément de traces lorsque les poumons du supplicié sont, à partir d’un chiffon mouillé mis dans la bouche, remplis d’eau, une épreuve physique qui n’a rien à envier aux vieilles méthodes du parachutiste et général de brigade Aussaresses.

Elles laminaient en son temps la ténacité des plus récalcitrants et l’écheveau répressif du moment a comparativement déstabilisé et mis à bas les garde-fous favorables à l’application des conventions internationales ratifiées et à la construction d’un État de droit. Corrompu, la colonne vertébrale de la magistrature est gangrenée jusqu’à la moelle, à tel point que ses bâtonniers se dérobaient lorsqu’il leur appartenait de dire que l’accident vasculaire du Président aurait dû amener le ministre de l’İntérieur Tayeb Belaïz à appliquer «(…) l’article 88 qui prévoit l’empêchement par suite de maladie grave et durable (…), implique la saisine (…) du conseil constitutionnel (…), dans un délai de 45 jours (…)" 34. Au-delà, la vacance étant estimée irrévocable par les deux chambres du Parlement, celui "(…), qui n’est que l’ombre de lui-même, (devait) se retirer de la vie politique." 35. Seulement, le maintenir debout, moins organiquement que symboliquement, demeure la priorité de l’heure puisqu’après lui il n’y donc plus d’emblèmes sur lesquels accrocher les slogans laudateurs de ce fonds de commerce qu’est la légitimité historique et ses hagiographies. Tayeb Belaïz objectera à fortiori le jeudi 28 novembre une fin de non recevoir à la requête d'une vingtaine de partis désirant que le scrutin d’avril 2014 se déroule sous couvert de commissions indépendantes. Toute décision restant asservie à l’arbitraire de l’administration, Ali Brahimi, le porte-parole du Mouvement citoyen pour les libertés et le développement, soulignait que « L’activité associative et la liberté de manifester sont criminalisées (…). Le pouvoir est squatté par des octogénaires, les institutions (…), délégitimées par la fraude et la prédation qui imposent le statu quo (…). »36. Promise en avril 2011, l’ouverture audiovisuelle n’aura pas davantage abouti37 car limitée à l’apport de chaînes thématiques (donc non généralistes) prévues par le cahier des charges, une manière déguisée de circonscrire un monopole sous couvert de l'article 17, de mettre sous tutelle des opérateurs contraints de borner leur audience et durée d’antenne. Une dizaine de chaînes privées diffusent néanmoins depuis l'étranger tout en disposant de studios et d'équipes en Algérie. C’est justement l’une d’entre elles qui falsifiera le lundi 16 décembre 2013 la séquence exhibant un Président soudainement apte à tenir une discussion avec le Premier ministre français. Révélé deux jours plus tard par "Le Petit journal" de Canal Plus, le subterfuge provoqua les polémiques d’internautes accusant les responsables d’avoir concocté un bricolage ridicule et reprochant à Jean-Marc Ayrault de collaborer à une travestissement dissimulant la santé chancelante d’un tuteur souhaitant prolonger son magistère et réviser la Constitution38. Pathétique, le ratage télévisuel a au contraire conforté les détracteurs convaincus de sa léthargie, la version d’un pitre grabataire fardé pour les impératifs et croyances de la cause, le scénario du « Roi Ubu, indigène transformant l’Algérie en un vaste théâtre de l’absurde." 39. 

En inscrivant à sa "Une" "Que cesse la mascarade !", le périodique El Watan du 02 janvier 2014 dénonçait une tartufferie que l’éditorialiste Mohamed Benchicou synthétisera en comparant le Pouvoir au « Disney Land de la Méditerranée. »40. Jugeant qu’il a "(…) démontré son inefficacité non seulement dans le domaine des libertés, mais aussi dans le domaine de l’économie et du social, où tous les indicateurs sont au rouge. »41, que sa stratégie consiste à continuellement différer les décantations émancipatrices, Ali Yahia Abdenour concluait en novembre 2013 que « L’Algérie n’est sortie ni plus grandie ni plus prospère des trois mandats (…). » d’un régent qui "(…) fait ce qu’il veut et pour qui il veut, se montre généreux avec lui-même, sa famille, sa tribu, ses clans, ses protégés, ses courtisans (…), remerciés, gratifiés, honorés (…)." 42. 

Le militant des Droits de l’Homme ajoutait que « Le peuple algérien doit exercer son droit d’inventaire sur (son) bilan (…), car non seulement rien ne s’est amélioré, mais tout s’est détérioré (…). Tout se dégrade, se délite, mis à mal par un pouvoir dépensier, qui adopte des remèdes qui ne sont pas adaptés. »43. Les solutions sont si mal ficelées que les rejetons des Citoyens de Beauté fuient leur calvaire par la Méditerranée, unique échappatoire à la privation de visas et que le sociologue Lahouari Addi comparera à un "cimetière marin". Les adolescents qui se jettent à la mer et partent à l’aventure sur des radeaux de fortune sont les déracinés de la harga44, d’une déréalisation relatée par nombre de plasticiens ou artistes algériens et algéro-européens pour exprimer les vagues à l’âme et détresses de la jeunesse algérienne. Camouflant l’échec du modèle de développement, Abdelmalek Sellal arguera à Mostaganem que la harga "(…) était une mode qui est maintenant passée" 45, et fera l’impasse sur une criminalité urbaine affectant plusieurs bourgades ainsi que les quartiers d’une capitale où des bandes rivales de paumés s'affrontent à couteaux tirés et en batailles rangées. Le samedi 07 décembre 2013, il assurait à la communauté algérienne installée à Paris, que « Grâce au président Bouteflika, le pays traverse une période de stabilité politique et économique.", affirmait fondamental d'acquérir les autres langues et rassurait les binationaux en leur avouant qu’ils ont un rôle à prétendre dans une Algérie qui souffre "(…) d’une insuffisance en management et doit s’ouvrir à la modernité, aux nouvelles technologies, aux savoir-faire de pointe." 46.

Le "Global innovation index"47 la classant quelques semaines plus tôt à la queue des nations innovatrices, il y avait incontestablement lieu de déconstruire la culture rentière au profit de qualifications et réquisits plus inclusifs. Migrants des années 1990-2000, car attirés par les technopoles où les conditions d’exercice des aptitudes sont multiples et appréciables, des chercheurs algériens y ont émergé comme incubateurs d’ingénieries. Distinguant en eux les futurs moteurs d’universités trop autocentrées, Sellal les conviait à couronner la boucle de leur héliotropisme, à revenir donc au bercail 48, là où l’intégrisme pollue les entendements, nomenclatures et aperceptions utiles à l’essor de la Personne artiste et des individus, là où des salafistes candides intègrent l’Assemblé des députés en contrepartie d’une expansion exotique de la chari’a, là où l’islam informel du "trabendisme bazarisé" se substitue à l’islam spirituel, au soufisme, à un ibadisme pacifique et rationnel, là où les accréditeurs aspirent "(…) à construire une République algérienne démocratique et sociale avec des valeurs puisées des profondeurs de notre religion, l'İslam. Cela comme l'a stipulé l'appel du 1er Novembre 1954." 49. 

Le "renouveau dans ou par l’authenticité" ("tajaddud wal açala") révolutionnaire et religieuse ne paraissait pas le paradigme adéquat à la fixation d’intellectuels, particulièrement pour une certaine élite plus encline à prononcer une double sécularisation à laquelle ne sont mentalement et majoritairement pas préparés des Algériens assignés à résidence et à assumer leur devoir social depuis qu’Abdelaziz Bouteflika a paraphé le décret50 portant convocation du corps électoral51. C’est donc « (…) devant Allah et le peuple algérien. »52, qu’Ali Benflis53 déclarait sa candidature et que Soufiane Djilali, le président du parti Jil-Jadid prévenait, le 28 décembre 2013 à Annaba, d’un coup d’État « (…) si Bouteflika change le jeu. »54. 

D’autres privilégiaient un coup d’éclat en lui remémorant le discours de mai 2012 à Sétif lorsque son "tab jnan" ("on a fait notre temps") laissait entendre son irrévocable renoncement. Ces médiateurs le conjuraient à « (…)sortir par la grande porte »55, plaidaient résolument en faveur de l’avènement d’une deuxième république, exigeaient que le flambeau revienne à la génération capable d’extraire les autochtones de la clôture patriotique et de l’archaïsme doctrinal, de faire barrage aux opportunistes de tous bords56. Noureddine Bahbouh, le secrétaire général de l’Union des forces démocratiques et sociales (UFDS) de Mostaganem, priait également le chef de l’État de ne pas ouïr "l’appel des sirènes", d’annoncer à leur encontre "son retrait de la course" car son engagement équivaudrait à « (…) l’assurance d’une totale fermeture du champ politique », serait en conséquence «(…) la preuve d’une élection jouée d’avance.»57. Décrétant qu’il «(…) jouit d'une bonne santé mentale et intellectuelle »58, Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), le suppliait quant à elle "(…) de s'adresser aux Algériens (…), d'assurer la régularité et la transparence d’un rendez-vous décisif pour la souveraineté et la stabilité du pays." 59. 

Convaincus de la non équité de la prochaine consultation, Mohcine Belabbas (RCD), Abderrezak Mokri (MSP), Mohamed Dhouibi (Ennahda), Soufiane Djilali (Jil Jadid), Tahar Benbaïbeche (El-Fadjr El-Djadid) et Ahmed Benbitour (ancien chef de gouvernement) envisageaient des actions de terrain, convenaient de «L’approfondissement du dialogue commun avec les personnalités partageant la même conviction sur la nécessité d’élections libres et honnêtes (…), de déboucher sur un changement pacifique en Algérie.»60. İssu du groupe des 1961, ce collectif risquait bien de voir ressortir du bois Sellal, même si celui-ci a accepté de diriger la commission chargée du futur scrutin62. İl peut en effet à sa guise et à tout instant se désister (avant le 02 mars) et se présenter devant les électeurs63. Cette probabilité reste d’actualité, sinon comment expliquer que Constantine, sa ville d’origine, ait été nommée le 29 décembre 201264 capitale de la culture arabe en 2015, cela quatre mois après son investiture comme Premier ministre65 ? Était-ce vraiment là une coïncidence ?

Sûrement pas pour Amar Saâdani qui à l’occasion de la réunion des secrétaires généraux des mouhafadas (ou mouhafedhs) du FLN se précipitera le mardi 21 janvier 2014 pour annoncer le "scoop" de la candidature de Bouteflika, manière sans doute de tarauder les dès pipés d’un jeu prohibant le hasard mallarméen, d’un monde réglé où, tout demeurant «(…) couplé sous le croissant, tout à l'exception d'Allah° »66, il faudra choisir entre Bouteflika et "bouter-flica", entre les deux côtés réversibles d’une même pièce de monnaie, entre pile, il rempile et face, il s’efface et, tient voilà que se dévoile l’effigie du Dernier Recours : Sellal ! FIN

Saadi-Leray, sociologue de l’art

Perpignan, le 25 janvier 2014.

Lire 1re partie : Faut-il Bouteflika ou "Bouter-flica" ? (1)

Renvois

34. Ali Yahia Abdenour, in El Watan, op. cit.

35. İbid.

36. Ali Brahimi, in El Watan, 14 déc. 2013.

37. İl existe actuellement en Algérie cinq chaînes de télévision, sept radios nationales et 48 radios locales, toutes publiques.

38. Celle de 1996 ne lui plaisant pas, il l’avait déjà fait changer certaines de ses ordonnances.

39. İn Le Matin . dz, 22 déc. 2013.

40. Mohamed Benchichou, in Le Matin . dz, 31 déc. 2013.

41. Ali Yahia Abdenour, in El Watan, op., cit.

42. İbid.

43. Ali Yahia Abdenour, in El Watan, op., cit.

44. Référence aux harragas, donc les jeunes qui fuient leur pays sur des embarcations aléatoires.

45. Abdelmalek Sellal, in El Watan, 02 déc. 2013.

46. Abdelmalek Sellal, in El Watan, 08 déc. 2013.

47. İl se basait sur ces sept critères : cadre institutionnel, le capital humain et la recherche, les infrastructures, le niveau de modernisation du marché, l’environnement des affaires, la connaissance et les produits technologiques et la créativité et les produits innovants.

48. Des instructions auraient été données pour faciliter le retour de ceux désirant reprendre leurs anciens postes.

49. Abdelmalek Sellal, in L’Expression, 26 déc. 2013.

50. Le vendredi 17 janvier 2014. İl est publié au Journal officiel du 18 janvier 2014.

51. Puis nommé les magistrats membres de la Commission nationale de supervision des élections (CNSEL). Présidée par le magistrat Brahmi Lachemi, elle comporte une liste de 362 juges.

52. Ali Benflis, in La tribune, 20 janv. 2014.

53. Ex-Secrétaire général du FLN et ex-Premier ministre.

54. Soufiane Djilali, in Horizons, 29 déc. 2013.

55. Abdelghani Touhami, in El Watan, 05 déc. 2013.

56. Liberté, 01 décembre 2013.

57. Noureddine Bahbouh, in El Watan, 19 janv. 2014.

58. Louisa Hanoune, in El watan, 22 janv. 2014.

59. Louisa Hanoune, in El Moudjahid, 22 janv. 2014.

60. İn Liberté, 20 janv. 2014.

61. Qui en novembre 2013 exigeait que les opérations électorales soient confiées à une commission électorale indépendante et non plus au ministère de l’İntérieur.

62. Commission au sein de laquelle siègent aussi les ministres de l'İntérieur, de la communication et de la Justice.

63. La campagne électorale commencera le 23 mars 2014 et s’achèvera le 13 avril.

64. Par l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et la science (ALESCO) au moment des travaux de sa 21ème session ouverte le jour même.

65. Le 03 septembre 2012 après la démission d’Ahmed Ouahia.

66. Slimane Zeghidour, in Le voile et la bannière, Hachette, Paris, 1990.

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Atala Atlale

Le débat devrait porter sur l'aspect juridique de la situation actuelle, nous voilà face à un déni de justice en ce qui concerne l'article 88, cessez de chercher autre chose. Que les hommes de droit, juristes, avocats et autre ses prononcent et interpellent les institutions nationales ou internationales s'il le faut, sur cet enième viol des lois de la république, il s'agit d'un hold up constitutionnel. L'Algérie ne se relèverait pas si les choses en restaient en là ! Il y a danger.

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chilmoune

Le temps de l'espoir est terminé, il faut se battre et encore pour arracher ses droits dans cette jungle de khorotos. Et tant que l'esprit arabo-musulman régne dans ce pays, il n'y aura jamais de renaissance. En 1962 toutes les villes d'Algérie etaient splendides sur tous les plans (Propreté, architecture, espace, administration, environnement, etc...) et on avait les meilleurs lycées et universités qu'aucun pays africain ne possédait où on enseigne la science et le civisme et loin de toute démagogie politique. Tous les pays africains préférent envoyer leurs étudiants chez nous pour étudier. Que reste t-il aujourdh'ui aprés avoir été occupés par les khorottos que nous sommes ? Elles sont devenues tous des gourbis.

Nous sommes en 2014 et on nous chante encore des histoires à dormir debout comme quoi on a fait une grande révolution pour évacuer la france ? Non la france est sorti à cause de la pression des américains et des russes et qu'elle ne pouvait plus supporter les dépenses de guerre envers l'algérie qui lui couter un millirard d'ancien franc par jour. Si elle continuait elle va hypothequer toute la france.

Un pays qui nie son identité est voué à l'echec. On demande aux algériens d'être algérien tout court et

non pas arabe, afghan, iranien, turc ou egyptiens. Quand on voit des feuilletons qui n'ont rien à voir avec la culture algérienne passer du matin au soir à la télé, vous comprendrez que le premier responsable de cette chaine ne fait qu'appliquer une politique décidée plus haut par les gardiens du temple qui ne veulent pas que notre pays se développe.

On ne peut pas construire un etat de droit en algérie tant que l'esprit litteraire et théologique ecrase l'esprit scientifique qui est seul batisseur.

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