Trente ans après la marche républicaine pour l’égalité en France

L'affiche de la rencontre
L'affiche de la rencontre

Dimanche 1er décembre 2013, une « journée événement au Palais du Luxembourg (salle Clemenceau) à l’occasion du 30e anniversaire de “la Marche pour l'égalité et contre le racisme”.

Placée sous le haut patronage du président du Sénat français, elle a été rehaussée, entre autres, par la présence de la garde des Sceaux de la République française, Mme Christiane Taubira. Bariza Khiari, vice-présidente de la chambre haute et David Assouline qui avait parrainé, il y a quelques semaines seulement, une rencontre organisée par l’Association Culture berbère (ACB) autour du thème “La Laïcité en actes”. La journée marathon projetée par le groupe de recherche Achac a été une réussite, malgré de très grosses contraintes temporelles, un chalenge relevé avec brio par Naïma Yahi, Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Yvan Gastaut… On ne sait par quel miracle ils ont réussi à imposer aux intervenants un tatillon respect du timing tout en assurant “la discussion” de l’essentiel des thèses de chacun. Il est vrai que cette initiative prend appui sur un volumineux ouvrage.

"La France arabo-orientale"

“La France arabo-orientale treize siècles de présences du Maghreb, de la Turquie, d'Égypte, du Moyen-Orient et du Proche-Orient”, un ouvrage volumineux avec 750 illustrations et plus de 45 000 documents identifiés, coécrit par quarante auteurs, historiens, sociologues, politologues, artistes, associatifs. L’entreprise a été dirigée collégialement par les historiens Pascal Blanchard, Naïma Yahi, Ivan Gastaud et Nicolas Bancel, les discutant des deux tables rondes. La préfacé de l’ouvrage est de Benjamin Stora. Dans son intervention, il dira avoir été interpelé pour son acceptation de “préfacer un livre portant un titre qui occulte l’origine amazighe des pans dominants de l’immigration nord-africaine” en France. Il reconnaitra qu’il y a là un intéressant sujet de débat (à mener) tout en soulignant l’anachronisme qu’il y a à faire porter la revendication Amazigh à des populations qui ne l’ont pas posée, en ce temps-là, dans les termes actuels. Seulement, le malaise que suscite le titre en question est profond et fera certainement débat. N’y a-t-il pas le même anachronisme à utiliser l’identification “arabe” pour qualifier les populations concernées ? La difficulté à les nommer est réelle tant elles sont diverses. Mais cela justifie-t-il le fait de reprendre le choix impérial français de promouvoir une identité “arabe” pour soulever et retourner ces populations autochtones contre la “sublime porte” ? Un choix qui de l’aveu même des auteurs a fait débat. Y aurait-il quelques penchants orientalistes cachés dans ce collectif rédactionnel ? Il faudra une lecture attentive de l’ouvrage pour en juger. 

L’"arabité" une invention coloniale

L’identité arabe promue par l’Empire français n’a pas eu le même impact en Orient et en Occident. En Orient, cette identité commune conçue essentiellement sur le critère linguistique a pu séduire. Elle a pu apparaitre comme une promesse d’intégration et d’apaisement des rapports entre les communautés. Plus tard elle sera reprise et promue pour fonder le baasisme. Mais, en Occident, où le substrat Amazigh est un liant qui transcende les entités en place (État, royaume, confédération de tribus…) cette politique impériale a jeté les fondements d’une fragilisation identitaire qui reste à l’œuvre à ce jour.

Bien qu’il ne soit pas aisé de nommer “cet autre” auquel la France est liée depuis des siècles, il est par contre aisé d’en appréhender l’aire de contact. Une aire de contact bien qu’éloignée de l’Orient (la Turquie) l’engage dans ce rapport avec la France : l’aire méditerranéenne.

Des siècles… 

La table ronde du matin a donné un rendu correct de la présence de cet autre dans l’histoire et l’imaginaire français. Arrivé jusqu'à Narbonne la présence musulmane sera brève. Deux générations à peine. Mais en Andalousie elle durera des siècles. Civilisation dominante entre le VIII et le XV siècle elle va développer des savoirs absents du Moyen-âge européen. La renaissance va se les approprier. Ce sera l’un des canaux par lesquels l’Europe naissante va faire le pont avec une partie de la connaissance gréco-romaine, celle conforme à la foi musulmane. Omeyades, Abbassides, dynasties Amazighes (El Moahed, Al Moravides, Zirides,…), ensuite les Ottomans vont se succéder dans l’aire méditerranéenne commune. Comment appeler ce monde dans le contexte de la conquête coloniale ?

L’Etat contre la République

La courte expérience révolutionnaire française avait posé de nouveaux principes à vocation universelle. Liberté, égalité, fraternité. La restauration de l’ordre monarchique leur fera mauvais sorts. Les rêves impériaux et monarchiques vont s’imposer. Dès lors que doit être l’autre, quelle image de lui-même lui renvoyer ? Laquelle choisir ? Celle du mahométan, du musulman, de l’arabo-berbère, du Barbaresque, du Sarrazin, du Maure ou de l’Arabe ? Soumis par le fer et le feu, son nom doit arranger les rêves de puissance et de domination. “Arabe”, fait bien l’affaire. Dans cette arabité l’Orient gagnera quelques décennies d’unité et l’Afrique perdra son Nord, pour combien de temps encore ?

Le pire dans l’(h – H )istoire, est que même lors des moments où la devise républicaine reviendra aux frontons des édifices publics français, les compromissions, les faits établis et surtout les intérêts assis vont prendre le dessus sur les principes. L’État avec sa logique régalienne s’impose à la république et la pervertit. L’entreprise coloniale va s’habiller de prétentions civilisatrices tutélaires. Excluant une partie de l’humanité de toute citoyenneté, à l'image du choix d’exclure les colonies du champ d’application de la loi de de 1905. La république ne s’est que trop dispensée de toute introspection, de toute interrogation de ses actes à l’aune de ses principes fondateurs. Elle y laisse son âme, et gagne en fragilité face à ses multiples détracteurs.

La marche républicaine pour l'Égalité

Il y a trente ans la république a raté une occasion de se réconcilier avec elle-même. Toujours cette prééminence régalienne de l’État, instrument de puissance, de contrôle et de pouvoir. Le formidable potentiel républicain de “la Marche pour l'égalité et contre le racisme” sera sacrifié sur l’autel des calculs politiciens. Moins d’une décennie plus tard, la France va se compromettre dans un autre calcul : jouer l’identité musulmane contre les identités nationales nées des processus de décolonisation. Convaincue ou intéressée par une possible victoire islamiste en Algérie, la France va jeter des ponts avec les milieux théocratiques. Les islamistes vont s’engouffrer dans cette ouverture. Reçus dans le cadre du refuge politique, ils se laisseront volontairement guider vers la naturalisation. L’islamisme ne reconnait qu’un seul lien entre “les croyants”, le lien fondateur de la Oumma : la croyance commune ; la fraternité en l’Islam. Les “nationalités” ne sont pour eux que des chevaux de Troie. Le bilan de cette nouvelle politique impériale de la France est lisible dans les banlieues. 

L'islam (isme ?), une identité de substitution

L’urgence d’un bilan

Trente années après la marche initiée par quelques jeunes des “Minguettes” (Marseille) un bilan s’impose. Son urgence semble perçue par beaucoup. En 1983, le jeune président de l'association SOS Avenir Minguettes, Toumi Djaïdja, pourtant grièvement blessé par un policier alors qu’il tentait de s’interposer pour défendre un jeune passé à tabac se lance dans une action inspirée des enseignements de Gandhi et du pasteur Martin Luther King. Il réussira ce pari fou. Son initiative, à laquelle il a gagné quatorze compagnons va se terminer, le 3 décembre 1983, en apothéose à Paris. Une délégation est reçue à l’Élysée. Toumi va serrer la main du président de la République. François Mitterrand lui glisse ces quelques mots à l’oreille : “Pour votre carte de dix ans, il n’y a pas de problèmes”. “Je suis français, monsieur le président”. Ce dialogue en dit tellement sur l’autisme de la république. Elle feint d’ignorer ses fossoyeurs et tourne le dos à ses partisans. Une situation kafkaïenne où l’extrême droite se découvre des engagements républicains, et des formules comme “nos mal-aimés” sont énoncés comme si elles devaient sonner à nos oreilles comme des “j’accuse”. Peu ou prou ces belles formules de 2013 contribuent à enkyster plus profondément le projet théocratique en France. Le sursaut républicain tarde à s’amorcer.

La république a tout intérêt à faire aboutir le processus de décolonisation en se délestant de ses errements historiques. La loi Toubira est un petit pas dans cette direction. Bien sûr elle est critiquée pour être une loi mémorielle, mais n’est-elle pas plus, malgré ses limites, une loi par laquelle la république réaffirmer ses principes fondateurs. La république doit se sortir des entreprises qui d’aucune manière n’auraient dû être les siennes : traite des humains et colonisation. Une loi de l’importance de celle de 1905 devrait voir le jour pour renouer avec une conception universaliste des fondements républicains.

Mohand Bakir

Plus d'articles de : Algérie-France

Commentaires (1) | Réagir ?