Le rapport sans concession sur la corruption en Algérie

La corruption, une des plaies de la gouvernance de Bouteflika.
La corruption, une des plaies de la gouvernance de Bouteflika.

L’Algérie a accueilli, du 13 au 16 mai 2013, une délégation d’experts étrangers au titre du mécanisme d’examen par les pairs de l’application de la Convention des Nations unies contre la corruption (UNCAC), en sa qualité d’Etat-partie à cette Convention.

L’AACC a rendu public le 24 novembre son «Rapport parallèle» sur l’application de cette Convention, et ce, à l’occasion de l’ouverture à Panama-City de la 5e Conférence des Etats-parties de la Convention des Nations Unies contre la corruption, Conférence où sera présente une délégation du gouvernement algérien. Comme vous devez déjà le savoir, l’AACC ne sera pas présente à cette Conférence, puisqu’il y a eu un véto du gouvernement algérien. Quelques remarques au sujet de ces deux rapports officiels.

Le rapport des experts n’est qu’un résumé, car l’Algérie s’est officiellement opposée à ce que le rapport intégral soit publié, et malgré cela, les 2 experts étrangers, auteurs du rapport, ont été complaisants à l’égard de l’Algérie. Le document du gouvernement algérien sur la prévention n’est pas conforme à la réalité sur le terrain. Ici lecture du rapport de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC).

1. Etat des lieux

C’est l’environnement direct dans lequel évoluent l’agent public et l’agent privé qui va permettre et favoriser l’émergence de la corruption. L’organisation et la gestion des administrations publiques dans les pays en développement souffrent souvent de lourdeurs et de dysfonctionnements qui vont les rendre particulièrement vulnérables à la corruption. La multiplication des réglementations contraignantes et complexes et la faiblesse des contrôles y sont des caractéristiques fréquentes.

«L’Algérie est un pays miné par la corruption.» Le propos indigné du président Abdelaziz Bouteflika, a été lâché lors d’un meeting tenu le 30 août 1999. Le constat dressé sans complaisance ne paraît pas avoir nettement changé depuis. 

L’actualité de ces dernières années en Algérie est marquée par une explosion sans précédent de la corruption à tous les niveaux et dans tous les secteurs d’activité sans aucune exception. Cette explosion est étroitement liée aux flux ininterrompus des énormes recettes du pétrole. Elle est alimentée par les budgets faramineux dégagés par les pouvoirs publics sous couvert de programmes dits de relance économique, budgets sans cesse revus à la hausse à souhait par la seule volonté de l'Exécutif au plus haut niveau de l'Etat. Par ricochet, ces budgets ont permis aux très puissants réseaux mafieux de la grande corruption et de la criminalité transnationale organisée de faire fructifier leurs affaires, réseaux qui ont accéléré la déliquescence des institutions de l’Etat et ont totalement neutralisé – quand ils ne les ont pas contaminés -, les organes de contrôle et de répression.

L’écrasante majorité des Algériens continue de subir de plein fouet les effets dévastateurs de la corruption, de plus en plus impuissants et de plus en plus sceptiques quant aux capacités actuelles de la société à combattre ce fléau. La plupart des « révélations » de grande corruption que publient les journaux depuis quelques temps est principalement le résultat de luttes intestines au sein de ces réseaux de la grande corruption, luttes visant à faire main basse sur la manne financière publique et les marchés les plus juteux, sur fonds de règlements de comptes tous azimuts. La justice elle même est touchée par la corruption. Mais alors que faire, s’interrogent de nombreux algériens, pour contrer cette criminalité organisée à grande échelle et qui n’a plus de frontières ? La pire des réactions serait de capituler et de s’installer dans une désespérance, comme nous y poussent, et sous des formes de plus en plus menaçantes et de plus en plus violentes, les barons de la corruption et leurs nombreux hommes de main.

L'absence de volonté politique à lutter contre la corruption. Cette absence est manifeste et les pouvoirs publics ne font pas grand chose pour y remédier. Les nombreux scandales de corruption, en constante augmentation, en sont la preuve. Les nombreux manques à gagner dans les législations et réglementation algériennes relatives à la prévention et à la lutte contre la corruption, complètent la démonstration. La ratification par l'Algérie des Conventions internationales contre la corruption (Onusienne et africaine) n'a pas connu de prolongements qualitatifs. La piètre qualité de la transposition de ces Conventions en droit interne est particulièrement révélatrice de cette absence de volonté politique. La loi du 20 février 2006 de prévention et de lutte contre la corruption est très "pauvre" : déclaration de patrimoine vidée de sa substance ; pas de protection des dénonciateurs de la corruption ; pas d'accès à l'information ; exclusion de la société civile ; pas d'indépendance pour l'agence gouvernementale de lutte contre la corruption, etc. Même muselée par les pouvoirs publics, cette agence ( Organe de prévention et de lutte contre la corruption, ONPLCC) dont le décret de création a été publié en novembre 2006, n'a été installé qu’en 2011, 5 années plus tard, et est resté met depuis ! 

2. Conséquences de la corruption sur le droit et les institutions

La corruption ne respecte pas les frontières, ne fait pas de distinctions économiques et gangrène toutes les formes de gouvernement. À long terme, aucun pays ne peut se permettre de supporter les coûts sociaux, politiques ou économiques qu'induit la corruption. Il n'y a pas si longtemps, corrompre des agents publics dans des pays étrangers pour obtenir des marchés constituait une pratique commerciale, sinon acceptable, du moins tolérée dans de nombreux pays. Aujourd'hui, le dossier de la corruption fait partie des principales préoccupations des pouvoirs publics à l'échelle mondiale car ses répercussions dramatiques sur le développement économique et ses effets corrosifs sur la stabilité politique et les institutions démocratiques sont devenus de plus en plus évidents. Aucun pays n'est entièrement exempt de corruption. 

Mais lorsque la corruption prend des proportions telles qu'elle risque de freiner la croissance économique et de contrarier les efforts accomplis en vue d'instaurer une bonne gouvernance – comme c’est le cas en Algérie-, elle entraîne la dégénérescence générale du tissu social. Obstacle au développement durable, la corruption peut éventuellement aggraver les disparités économiques et favoriser la criminalité organisée. En fait, si la corruption se développe sans entrave, la démocratie peut difficilement s'épanouir, la liberté se répandre, la justice prévaloir. Depuis quelques années, les efforts accomplis à l'échelle internationale pour combattre la corruption, encourager la transparence et accroître la responsabilité prennent de l'ampleur, parce que l'on comprend mieux le coût politique, économique et social de la corruption.

Si les méfaits de la corruption ont longtemps été sous-estimés, voire ignorés, pour diverses raisons plus ou moins avouables – absence de mesures empiriques fiables, logique de la guerre froide faisant de la corruption un moyen des deux grands blocs pour s’allier les pays en développement, etc. – ils sont depuis les années 1990 largement reconnus : pauvreté, retard de développement, dérèglement politique et atteinte à la démocratie, généralisation de la criminalité organisée et de trafics en tous genres… Les tentacules de la corruption s’étendent dans chacune des sphères de la vie publique et privée, rendant la production des biens publics de base (santé, nourriture, démocratie…) impossible dans la plupart des pays en développement. L’Algérie n’échappe pas à ce constat, malgré les importantes recettes issues de ses ressources naturelles qu’elle engrange chaque année. L’Algérie, pays riche et peuple pauvre ?

Le coût de la corruption pour les algériens est très élevé : Etat déliquescent, terrorisme sempiternellement «résiduel», pouvoir rentier, économie en faillite, pauvreté et marginalisation de masse, taux de chômage trop élevé, administration publique gangrenée et obsolète, etc.

3. Nécessité d’une politique nationale de lutte contre la corruption

Le combat contre la corruption n’est pas l’apanage des pays industrialisés. Les pays en développement, dont l’Algérie, sont de plus en plus nombreux à exprimer leur volonté de lutter contre ce problème, faisant écho aux initiatives internationales comme la Convention des Nations Unies de 2003 contre la corruption. Les efforts déployés peuvent paraître réels mais les avancées concrètes restent encore faibles. L’analyse institutionnelle de la corruption fournit des indications sur les remèdes à apporter. Une plus grande transparence, l’obligation de rendre des comptes, l’amélioration de la gestion des ressources humaines dans l’administration publique basée sur un système méritocratique sont autant de principes d’action qui, mis en œuvre, permettent son contrôle. La simplification et la rationalisation de l’intervention de l’État dans l’activité économique vont aussi de toute évidence réduire les opportunités de corruption. 

La réduction de la corruption permet le développement économique mais doit aussi s’appuyer sur ce développement même. Il appartient donc à l’Algérie de définir en fonction de sa trajectoire historique, sa stratégie propre qui permettra d’amorcer un cercle vertueux favorisant développement et amélioration de la gouvernance. 

L’Algérie a-t-elle une stratégie de lutte contre la corruption ? Ratifier les Conventions internationales (Nations Unies et Union Africaine) est une étape nécessaire mais non suffisante pour essayer de définir cette stratégie. L’Algérie a-t-elle réussi la transposition de ces Conventions en droit interne ?

En conclusion, nous suggérerons un certain nombre de recommandations à l’effet de potentialiser la lutte contre la corruption, notamment à travers la promotion des Conventions internationales ratifiées par l’Algérie.

4. La Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) de 2003

L’UNCAC adoptée en 2003, est entrée en vigueur en décembre 2005. A ce jour, 160 pays l'ont ratifiée, dont l’Algérie. Deux des principaux pays clients et fournisseurs de l’Algérie ne l’ont toujours pas ratifié : l’Allemagne et le Japon. La lecture de Cette convention peut être source d'espoir comme de déception. Du côté de l’espoir, peuvent être mises en avant l’étendue et la diversité des sujets traités. Tout ce qui touche de près ou de loin à la corruption semble avoir été abordé tant au niveau des mesures préventives que des incriminations, des questions relatives à la confiscation et à la saisie, à la coopération internationale, à la restitution des fonds détournés... Nettement plus décevantes sont les précautions de vocabulaire qui semblent retirer toute force contraignante à cette convention : “d’une manière compatible avec les principes fondamentaux de son système juridique”, “selon qu’il convient”, “peut adopter”, “dans toute la mesure possible dans le cadre de son système juridique interné”... Si l’on ajoute à cela les dispositions qui apparaissent dès l’article 4 sur la protection de la souveraineté, l’inquiétude gagne. Cet article rappelle avec vigueur les principes de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale et de la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats. 

Aussi serait-il facile de se laisser convaincre que cette convention n’est qu’un instrument illusoire. N’oublions pas toutefois que ce texte, sur lequel un grand nombre d’Etats se sont mis d’accord, est le signe que la corruption est enfin perçue, au plus haut niveau international, comme un mal contre lequel il faut lutter.

Mais, eu égard au nombre et à l’hétérogénéité des parties probables à cette convention, monter un tel mécanisme soulevait des problèmes délicats. La question du suivi a finalement été renvoyée à la Conférence des Etats-parties. En tout état de cause, les Etats signataires ne pourront pas ignorer totalement leurs engagements. De ce fait, les questions de corruption ne pourront pas être passées sous silence comme elles l’étaient il y a encore quelques années. Cette Convention doit donc être considérée comme un pas en avant, mais il appartiendra tant aux gouvernements qu’aux institutions internationales, entreprises et ONG, de la faire vivre.

5. Transposition de cette Convention en droit interne par l’Algérie

Législation spécifique à la lutte contre la corruption. La transposition en droit interne de la Convention des Nations Unies contre la corruption doit non seulement être de qualité mais doit aussi trouver son prolongement dans l’effectivité opérationnelle des lois et des réglementations qui découlent de cette transposition. Cette effectivité doit trouver appui sur une stratégie nationale de lutte contre la corruption, stratégie dont le gouvernement algérien ne s’est pas encore doté. La bonne gouvernance est une étape indispensable et complémentaire sur la voie de la lutte contre la corruption.

De la notion d'effectivité des lois. Face à la multiplication des affaires de corruption, de nombreux pays ont adopté des lois spécifiques destinées à la lutte contre le phénomène. L’élaboration et l’application de ces lois posent des problèmes. La question de l’effectivité des lois se pose avec acuité. Il ne suffit pas en effet d’élaborer une loi et de la faire voter, encore faut-il en assurer une application équitable et effective conformément à la philosophie qui sous-tend la notion d’Etat de droit.

La loi algérienne de prévention et de lutte contre la corruption a été votée par les députés le 3 janvier 2006 puis par les sénateurs le 24 janvier 2006. Elle a été publiée au Journal officiel du 8 mars 2006 .La loi de prévention et de lutte contre la corruption contient un très grand nombre de recommandations générales liées à la prévention et très peu de prolongements réglementaires. Cet instrument législatif est composé de 73 articles répartis en cinq blocs. Le premier concerne le volet de la prévention de la corruption dans les secteurs public et privé. Le second traite de l’organe de prévention et de lutte contre la corruption. La loi aborde également le volet des incriminations qui sont au nombre de vingt. Par ailleurs, des moyens spécifiques destinés à renforcer la lutte contre la corruption sont évoqués, et enfin, le cinquième bloc concerne le volet de la coopération internationale et celui du recouvrement des avoirs et produits de la corruption. 

Cette loi est très en retrait par rapport à la CNUCC, comme nous le verrons ci-après dans quelques études de cas qui concernent notamment l’indépendance de l’organe de prévention et de lutte contre la corruption prévu par la loi, l’accès à l’information, les limites du dispositif relatif à la déclaration de patrimoine, les restrictions dans la participation de la société civile et les revers d’une nouvelle incrimination intitulée dénonciation abusive.

5.1. Les insuffisances de cette loi

Le contenu de la loi du 20 février 2006 traduit l’absence de volonté politique à lutter réellement contre la corruption. Elle contient de nombreuses insuffisances et des “omissions” par rapport à la Convention des Nations unies. Donnons quelques exemples. 

Au sujet de la notion de déclaration de patrimoine — il faut souligner la décision des députés en janvier 2006 de supprimer l’ex-article 7 qui prévoyait la déchéance du mandat ou la fin de fonction pour les agents publics qui ne déclarent pas leur patrimoine dans les délais. L’article 6 de cette loi qui énumère les fonctions et mandats sujets à déclaration ne comprend pas les chefs de l’armée, contrairement à l’ordonnance de 1997 qui le prévoyait.

Concernant la participation de la société civile, des associations et des ONG à la lutte contre la corruption, tel que le recommande abondamment la Convention des Nations unies, l’article 15 de la loi algérienne est très restrictif à ce sujet et n’évoque pas du tout les associations, article qui reflète d’ailleurs les positions négatives sur cette question de la délégation algérienne lors des négociations de la Convention des Nations unies à Vienne de 2001 à 2003.

Pour ce qui est de l’Organe de prévention et de lutte contre la corruption — le titre III de la loi lui est réservé (articles 17 à 24)—, l’affirmation de son indépendance est contredite dans le même texte, d’une part par sa mise sous tutelle du président de la République, et d’autre part par la relation de dépendance vis-à-vis du ministère de la justice : l’article 22 oblige cet “organe” à soumettre à ce ministère les dossiers de corruption éventuelle à soumettre aux tribunaux. Alors que pour rappel, dans les textes de feu l’“Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption” (ONSPC) créé par le président Zeroual en 1996, cette contrainte de passer par le ministère de la Justice pour saisir les tribunaux n’existait pas. 

La notion de protection des dénonciateurs et des victimes de la corruption est évoquée très largement par la Convention des Nations unies, la loi du 20 février 2006 lui consacre uniquement l’intitulé d’un article (45), mais l’article en question n’évoque pas du tout cette notion. Plus grave encore, l’article qui suit (46) traite très sévèrement de la notion de dénonciation calomnieuse. A croire que les auteurs de cette loi ont voulu sciemment dissuader tout dénonciateur de corruption ou donneur d’alerte. Même le rapport annuel de cet “organe” qui est remis au président de la République n’est pas rendu public : la transparence et l’information du public ne semblent pas être des préoccupations pour les auteurs de cette loi. Par ailleurs, les Algériens ne pourront pas directement s’adresser aux responsables de cet “organe”, contrairement à une disposition de la Convention des Nations unies qui encourage fortement cette relation directe des citoyens avec l’agence de lutte contre la corruption.

Loi sur l’accès à l’information. L’Algérie n’a jamais légiféré en matière de droit à accès à l’information gouvernementale pour tous, une disposition consacrée dans de nombreux pays développés. La Constitution en vigueur ne le prévoit pas expressément, et donc c’est sans surprise qu’elle n’a pas été inscrite dans la loi algérienne de prévention et de lutte contre la corruption, alors qu’elle figure dans la CNUC.

5.2. Un progrès important : l’enrichissement illicite consacré par la nouvelle loi en Algérie

L’article 37 de la loi algérienne de prévention et de lutte contre la corruption introduit pour la première fois dans la législation algérienne, l’incrimination d’enrichissement illicite, avec de lourdes peines d’emprisonnement et des amendes importantes, contre «Tout agent public qui ne peut raisonnablement justifier une augmentation substantielle de son patrimoine par rapport à ses revenus légitimes». L’inversion de la charge de la preuve. Ces réformes qu’imposent les difficultés spécifiques de poursuite des actes de corruption portent notamment sur le droit de la preuve. En dehors des situations où la corruption proposée n’est pas acceptée, il s’agit essentiellement d’un pacte entre un corrupteur et un corrompu. Ces personnes veillent à garder occulte cet accord illégal. A l’opposé de la plupart des crimes, les actes de corruption ne font pas de victimes apparentes. 

Tous les protagonistes en sont les bénéficiaires et ont intérêt à préserver le secret. La preuve de l’infraction est donc difficile à rapporter, ce qui n’est pas sans influence sur l’extension de telles pratiques. Ce délit peut permettre de prononcer une condamnation sur la base de l’impossibilité pour la personne mise en cause de prouver l’origine licite de son patrimoine.

6. Obstacles pratiques à la mise en œuvre de la CNUCC en Algérie

Il n’y a aucune visibilité dans la démarche du gouvernement, à un point tel que le processus de transposition apparaît très incohérent, avec une multiplicité de chantiers législatifs et réglementaires n’obéissant à aucun calendrier, lancés en vase clos, dans la précipitation, sans aucune suite logique et excluant les parlementaires. Les lois et les réglementations issues de cette transposition sont souvent en recul par rapport à la CNUCC, ou contenant parfois des dispositions restrictives, ce qui peut expliquer le choix de ne pas les soumettre au Parlement, encore moins à un large débat de société. D’ailleurs le contournement du Parlement et l’absence de sensibilisation des parlementaires à la nécessité de la lutte contre la corruption, peuvent avoir leurs revers.

L’absence d’expertise au sein des institutions de l’Etat et les moyens insuffisants pour y pallier sont des obstacles majeurs à la promotion et à la mise en application de la CNUCC. L’assistance technique étrangère notamment, n’est pas du tout sollicitée par l’Exécutif, si ce n’est celle que proposent les organisations internationales et les pays partenaires de l’Algérie. Cette assistance technique pourrait pallier l’absence de formation des fonctionnaires et des magistrats intervenant de près ou de loin dans la prévention et la lutte contre la corruption. Cette situation est aggravée par l’insuffisance de perfectionnement, de mise à jour des connaissances, de documentation et le peu de moyens modernes dont disposent ces fonctionnaires (souvent non dotés d’équipements informatiques, encore moins d’accès à Internet).

Le dispositif légal pour combattre la corruption ne peut pas être considéré uniquement sous l’angle pénal mais doit inclure toutes les thématiques suivantes : l’accès à l’information ; les conflits d’intérêts ; les marchés publics ; la liberté d’expression ; la liberté de la presse ; la protection de ceux qui dénoncent la corruption et de ceux qui portent plainte ; les conditions permettant à la société civile de se mobiliser ; les élections démocratiques ; la lutte contre l’enrichissement illicite ; le contrôle de la légalité des décisions et des actes de l’administration par le juge ; la séparation des pouvoirs, notamment l’indépendance des juges, etc.

7. De la qualité du système judiciaire

Intégrité dans le secteur de la justice. Il est illusoire d’espérer d’une justice elle-même gangrenée par la corruption qu’elle puisse sévir avec efficacité contre ce phénomène. Il existe un large consensus sur la priorité à donner à la prévention. En effet, une politique exclusivement répressive est insuffisante. En outre, le recours systématique à la répression traduirait en partie l’échec de la prévention. Les poursuites judiciaires sont néanmoins incontournables et participent également à la prévention, l’effet dissuasif. Les réformes législatives doivent donc tout autant s’attacher à la prévention qu’à la répression des actes de corruption. 

Dans tous les pays, la corruption constitue un délit, et à ce titre, elle est passible de sanctions pénales. Cependant, force est de constater que la législation pénale traditionnelle en matière de corruption s’est révélée peu efficace du fait des limites qu’imposent certains principes généraux de droit. Ces limites sont d’autant plus contraignantes que la corruption a la particularité de constituer un délit particulier impliquant des protagonistes qui ont objectivement intérêt à protéger le secret de leur transaction d’autant plus que le corrupteur et le corrompu sont passibles de sanctions pénales. Le principe de la présomption d’innocence et l’obligation faite au parquet d’apporter les preuves de la culpabilité sont les principes généraux majeurs susceptibles de constituer des facteurs limitants. Il convient d’ajouter que le juge d’instruction doit instruire à charge et à décharge. En d’autres termes, son information doit tendre aussi bien à asseoir l’accusation qu’à établir, le cas échéant, l’innocence de l’inculpé. 

Il apparaît que les mécanismes juridiques traditionnels destinés à la lutte contre la corruption souffrent d’obsolescence manifeste. Le prérequis fondamental est lié à la qualité du système judiciaire tant il est évident que quelle que soit la qualité des réformes de la législation celle-ci ne serait d’aucune utilité si la justice chargée de son application n’est pas indépendante de toutes les forces de pression ou si un nombre significatif de magistrats sont incompétents, craintifs, irresponsables ou corrompus. Aussi est-il indispensable de procéder préalablement aux réformes, à une évaluation objective et rigoureuse du système judiciaire afin d’être en mesure d’apporter les correctifs appropriés et, partant, créer un contexte favorable de réformes. Ces réformes qu’imposent les difficultés spécifiques de poursuite des actes de corruption portent notamment sur le droit de la preuve. 

L’article 7 de la loi du 20 février 2006 contre la corruption traite de la mise en place de codes de conduite des agents publics. Le bilan de l’application de cet article est quasi nul. Par contre des mesures dans ce sens concernant le corps des magistrats ont été prises conformément à l’article 12 de la même loi : c’est ainsi qu’une charte de déontologie des magistrats a été adoptée le 23 décembre 2006 par le Conseil supérieure de la magistrature et publiée au Journal officiel n° 17 du 14 mars 2007. Quatre Cours spéciales régionales ont été créées. Localisées à Alger, Oran, Constantine et dans le Sud du pays, ces cours sont destinées à traiter exclusivement les affaires liées à la corruption, à la grande criminalité, au blanchiment d’argent et autres délits similaires. 

8. Absence de volonté politique

Face à l’étendue de la corruption, les Algériens sont perplexes et s’interrogent sur l’existence d’une volonté politique réelle pour lutter contre la corruption. En effet, des campagnes menées contre la corruption dans le passé avaient rarement débouché sur des actions concrètes. Ce qui avait donné à croire qu’il ne s’agissait que des luttes d’influence au sein de la hiérarchie supérieure du gouvernement. Il appartient donc aux autorités de prouver que les efforts qu’elles déploient ces derniers temps ne constituent pas des exercices supplémentaires vides de sens, sinon cette ratification de la CNUCC, pourrait faire croire à l’opinion publique, qu’elle n’a en fait qu’un objectif, essayer de convaincre, tant au plan interne, que vis-à-vis des Institutions financières internationales et des partenaires étrangers, que le gouvernement est décidé à lutter contre la corruption : mais en fait cette démarche qui pourrait être trompeuse un temps, ne leurrerait personne. 

Non seulement les résultats des discours officiels contre la corruption ne sont pas là, mais bien au contraire, les scandales de corruption ne cessent de se multiplier, proportionnellement aux énormes recettes du pétrole engrangées depuis 2000. Cette ratification, sans lendemain, aliment aussi les luttes intestines et les règlements de compte au sein du pouvoir, sur fond de guerre de succession et de main mise sur les richesses naturelles. 

9. La nécessité d’une stratégie opérationnelle de lutte contre la corruption

Dans la lutte contre la corruption, identifier les directions d’action à suivre n’est qu’une petite partie du chemin à parcourir. La difficulté principale reste la mise en œuvre de ces principes d’action, car elle passe par la définition d’une stratégie réellement opérationnelle. On se heurte généralement à deux types d’obstacles. Le premier est d’ordre économique. Si la condition de sous-développement ne fait pas de la corruption un phénomène inéluctable, les moyens dont disposent ces pays ne sont pas les mêmes que ceux des pays plus avancés. La baisse de la corruption doit s’appuyer sur le processus de développement même et les actions anti-corruption doivent s’inscrire dans un cadre plus large de politiques visant à améliorer l’efficacité du secteur public, la gestion des ressources budgétaires et de l’aide. 

Le deuxième obstacle est d’ordre politique, puisque toute réforme va en effet se heurter aux intérêts des bénéficiaires de la corruption. Les dirigeants politiques mêmes ont pu avoir à «jouer le jeu» pour accéder à leurs positions ; ils peuvent également craindre qu’une lutte contre la corruption fragilise l’équilibre politique.

9.1. Rôle de la société civile, du secteur privé et des médias

En ce sens, les associations issues de la société civile et les médias peuvent contribuer à l’émergence d’une volonté politique en dénonçant la corruption, en faisant pression sur le gouvernement et en contrôlant ses actions. Mais les véritables obstacles à la lutte contre la corruption sont autant les intérêts de la pyramide politico-administrative que le fatalisme et l’ignorance des victimes, souvent maintenus par une culture de la peur. Or, l’information permet l’action. Le secteur privé peut également constituer un allié important. Il est en effet, dans l’intérêt d’une partie au moins du secteur privé d’opérer dans un environnement structuré où l’État à travers des institutions fortes réglemente et arbitre le jeu de la concurrence. Les organisations internationales et régionales ont aussi un rôle politique important à jouer dans la mesure où elles peuvent servir de relais aux demandes exprimées par les sociétés civiles et permettre aux hommes politiques d’insérer des programmes de réformes difficiles dans un cadre de contraintes extérieures. 

En Algérie, comment amener les pouvoirs publics à développer une position plus positive vis-à-vis de la société civile et des associations ? C’est un des défis à relever : les progrès seront difficiles, il faudra avancer à petits pas.

9.2. Effectivité des lois

A la lumière des réalités algériennes, il faut s’interroger comment la lutte contre la corruption peut contribuer à faire avancer le processus démocratique et rendre plus effective la séparation des pouvoirs (consacrée par la Constitution), les pluralismes politiques, syndicaux et associatifs, faire progresser les libertés et faire reculer la pauvreté ; et inversement, comment les luttes pour ces valeurs universelles peuvent contribuer à catalyser la lutte contre la corruption. Pour lutter contre la corruption, un pays doit disposer de lois qui s’inscrivent dans le respect des droits humains. Ces lois doivent régulièrement être adaptées aux besoins de la lutte contre la corruption et s’inspirer des expériences internationales. Il ne suffit pas que ces lois existent, elles doivent être respectées et appliquées. 

Selon le contexte démocratique, ces lois gagneraient à s’appuyer sur d’autres dispositifs réglementaires consacrés par la Constitution : séparation des pouvoirs et indépendance de la justice, liberté d’expression, droit à l’information et liberté de la presse, élections démocratiques et alternance politique, etc. Si dans un pays donné, la lutte contre la corruption est l’affaire de tous, elle ne peut enregistrer de succès durables que si elle s’inscrit dans une coopération internationale entre l’ensemble des acteurs qui en ont fait leur combat, comme elle doit aussi prendre connaissance et s’inspirer des mécanismes internationaux mis en place à travers de multiples initiatives de par le monde.

10. La lutte contre la corruption, l'affaire de tous

Parmi les instruments dont doit se doter un État pour prévenir et punir la corruption, figurent les institutions de contrôle. Ces institutions sont multiples et différentes quant à leur mission et à leurs moyens d’action, mais complémentaires dans leurs objectifs. Très souvent, elles sont prévues par la Constitution et sont liées aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Leur existence ne signifie pas pour autant qu’elles sont indépendantes, même quand la loi consacre cette indépendance. L'exemple de la Cour des comptes en Algérie illustre cette situation : son rapport annuel n'est pas rendu public, contrairement à la législation en vigueur, et elle subit depuis des années une léthargie qui hypothèque même son avenir. 

La lutte contre la corruption nécessite une politique commune à l’échelle globale. Voici un des rares domaines dans lequel une réelle ébauche de coopération internationale semble avoir germé. Réunissant autour d’une même table FMI, Banque Mondiale et gouvernements des pays riches et en voie de développement, ONU et ONG, cette coopération serait-elle exemplaire ? Elle reste à construire. Seule la coopération est à même de résoudre un problème dont l’échelle dépasse de toute évidence, par son ampleur et sa portée, les capacités des Etats. 

Si le but est commun, chacun peut vouloir défendre des intérêts différents et pour des raisons particulières. Il est légitime de se demander qui, derrière les discours unanimes, détermine vraiment la stratégie internationale de lutte contre la corruption. 

Le défi pour l’Algérie dans la lutte contre la corruption

Le défi pour l’Algérie est de mettre en application la CNUCC dont la transposition en droit interne et la mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption vont dépasser le seul cadre de la lutte contre la corruption. Dans le cas de l’Algérie, les lois issues de la transposition interne gagneraient à s’appuyer sur d’autres dispositions législatives consacrées par la Constitution : séparation des pouvoirs et indépendance de la justice, liberté d’expression, accès à l’information et liberté de la presse, élections démocratiques et alternance politique, etc. La lutte contre la corruption ne peut enregistrer de succès durables que si elle s’inscrit dans une coopération internationale.

Trois questions essentielles se posent, tenant compte des contraintes de toutes sortes liées au contexte de l’Algérie : Comment faire avancer la CNUC dans un contexte politique et économique restrictif (Etat d’urgence déguisé, processus démocratique limité, libertés d’expression et de la presse très limitées, chômage et pauvreté) ? Comment la mise en application de la CNUCC peut faire avancer la transparence dans la vie publique et le processus démocratique ? Et comment amener les pouvoirs publics à accepter l’implication de la société civile dans ce processus de promotion de la CNUCC ?

La lutte contre la corruption doit devenir l’affaire de tous : c’est un combat de longue haleine. L’Algérie doit le mener sans plus tarder. Pour ce faire, une volonté politique ferme est indispensable, appuyée par des objectifs clairs, objectifs qui doivent s’inscrire dans une stratégie nationale cohérente, le tout devant baigner dans un contexte démocratique et de libertés. Ce combat doit aussi s’intégrer dans celui de la communauté internationale. L’Algérie en est encore loin mais aucun combat n’est perdu d’avance.

Djiali Hadjadj

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Khalida targui

le FLN a commencé avec sandouk tathamoune, il va finir par nous accuser de l'avoir volé monsieur, la saleté c'est nous la corruption c'est nous, le terrorisme c'est nous, la drogue c'est nous le chomage c'est nous la maladie du rais toutes les moussibates c'est nous mais coment le petit poisson peut bouffer le gros requin, c'est du shour walah

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Massinissa Umerri

ahahaaaa..... C'est tout un pays a CONSTRUIRE ! etaler ' "enseignement" avec les activite's de la population algerienne, me sert de mesure, c. a. d. tout est abrutissement. Pourtant, les algeriens individuellement reussissent a s'en sortir partout sur la planete, et pas mal dirais-je meme. Mais des qu'on frole le sol la raffale de grele commence avec ses salams, khoya, lah ghaleb... Comme un switch qui provoke l'homme de s'effacer et la rajla d'emerger - meme le nain taille-basse, subitement il monte de 30 cms a 1 metre, reguarde des geants et les traite de nain.

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