Quand la trajectoire du développement croise celle des aspirations démocratiques (I)

Les politiques publiques sont loin de répondre aux attentes citoyennes en Algérie.
Les politiques publiques sont loin de répondre aux attentes citoyennes en Algérie.

"Le terme d'économie politique désigne les tentatives d'analyser l'intersection de l'économie et de la politique au niveau des changements institutionnels et des choix politiques, que ces tentatives reflètent la nouvelle économie politique qui prend racine dans l'économie ou (qu'ils reprennent) une tradition d'analyse distincte fondée sur la sociologie". Merilee S. Grindle (in Meier et Stiglitz, 2000).

Les dernières décennies ont vu se diffuser la théorie du «public choice» dénonçant pêle-mêle l'information imparfaite des décideurs publics, les effets latéraux des politiques publiques, leurs effets pervers, la recherche de rentes, la substitution de la rationalité administrative à la rationalité économique, les pressions des lobbies, la sensibilité à la conjoncture politique et à la venue des élections, etc. Aucune intervention de politique économique extérieure ou de politique économique interne ne pouvait échapper à une critique aussi diversifiée, et l'on a vu s'imposer le "fondamentalisme libéral" dénonçant toute intervention publique.

Mondialisation libérale

Dans les années 70, la vision néolibérale et la mondialisation ont remis en cause le "libéralisme encastré" (Ruggie, 1982), né de la volonté d'éviter les déséquilibres de l'entre-deux-guerres. En effet, pour éviter le retour du protectionnisme, les accords de Bretton Woods adoptaient le principe de cheminer vers la libéralisation internationale par une coopération entre les politiques extérieures et, pour éviter le retour au chômage et aux inégalités des années 30, laissaient une marge de liberté aux politiques internes de plein-emploi et d'Etat-providence. La mondialisation libérale est venue déséquilibrer ce compromis et a conduit à prolonger la libéralisation internationale par une libéralisation interne.

Cette pénétration du libéralisme à l'intérieur des pays a été imposée, dans les pays en développement, par le consensus de Washington et les institutions financières internationales (IFI), et a été appuyée partout par la "contre-révolution libérale", qui a renforcé les effets mécaniques de la mondialisation par une critique systématique des politiques publiques. Cette critique a été nourrie par un inventaire méticuleux des possibles "défaillances de l'Etat" comme, en d'autres temps, la vogue des idéologies interventionnistes avait polarisé la réflexion théorique sur les "défaillances du marché".

A cette critique a été jointe une stratégie de réformes libérales, conçue comme un engrenage où chaque réforme a deux objectifs : d'une part, respecter une contrainte (ou saisir une opportunité) de la mondialisation, et d'autre part, créer une nouvelle contrainte réduisant la marge de manœuvre des autorités publiques. Ainsi, la réduction des tarifs douaniers était simultanément une mesure de libéralisation et une incitation à la prolonger par d'autres mesures, comme la réduction des subventions internes. De même, la libéralisation des entrées et des sorties de capitaux était à la fois un respect des règles de la libéralisation et un instrument de pression sur les politiques fiscales internes ; ou encore l'ouverture des entreprises aux actionnaires étrangers était à la fois un acte de libéralisation et un instrument d'introduction des règles et des comportements libéraux de la « corporate governance » anglo-saxonne.

En outre, puisque la mondialisation et la libéralisation ont provoqué, non une concurrence pure et parfaite, mais une concurrence oligopolistique, on a vu proposer et pratiquer des politiques de développement des avantages compétitifs (Porter), des politiques de soutien des champions nationaux, des accords interétatiques de cartel, des politiques "stratégiques" inspirées de la politique industrielle et de la nouvelle économie internationale (Krugman) et même des politiques dites de "guerre économique".

L'expérience a montré que ces multiples objectifs ont souvent coexisté et que les Etats ont, pour les combiner, disposé de marges de manœuvre que n'ont supprimées ni l'hégémonie de la pensée libérale, ni l'efficacité des engrenages libéraux, ni les pièges de la libéralisation. Chaque Etat a pu, en fonction de ses avantages compétitifs et de ses traditions socio-politiques, construire une politique qui lui permette de s'intégrer dans un monde compétitif (Palan, Abbott et Deans, 1999). Les pays développés n'ont pas supprimé leurs politiques sociales (même si celles-ci sont plus orientées vers la compensation que vers la protection ; Rodrik, 1997). Les pays asiatiques ont pu combiner exportation et protection. Les pays en développement ‘PED’ (à l’instar de l’Algérie) ont pu, par des méthodes non orthodoxes, maintenir des économies rentières et de multiples modes de prédation et de redistribution.

Politiques pragmatiques des puissances émergentes

Lorsqu'ils essayaient de rattraper les pays économiquement en pointe, les pays actuellement développés (PAD) avaient recours à des politiques industrielles, commerciales et technologiques interventionnistes, afin de pousser leurs industries naissantes. Les formes de ces politiques et l'accent mis sur l'une plutôt que sur l'autre peuvent avoir été différents selon les pays, mais il ne fait aucun doute qu'ils en ont fait un usage actif. Et en termes relatifs (c'est-à-dire en tenant compte de l'écart de productivité avec les pays plus avancés), nombre de pays pauvres protègent leurs industries beaucoup moins lourdement que ne l'ont fait les pays aujourd'hui développés. Compte tenu de cela, on conclura qu'en recommandant de soi-disant "bonnes" politiques, les PAD sont bien en train de "tirer l'échelle" grâce à laquelle ils ont grimpé au sommet, la plaçant hors de portée des pays en développement.

Les puissances émergentes telles que la Chine, l'Inde, le Brésil ou l'Afrique du Sud ont accepté le principe de la mondialisation libérale sans pour autant renoncer à combiner des politiques publiques dites libérales et des politiques publiques naguère interdites par le consensus de Washington. Leur pragmatisme et leur pouvoir de négociation permettent à ces pays d'attirer des capitaux tout en leur imposant des contrôles, d'entrer à l'OMC avant d'en respecter toutes les normes, de ne pas masquer leurs réticences à respecter les brevets, de négocier durement avec les entreprises pharmaceutiques, d'influencer les prix mondiaux par des commandes groupées, de mener des politiques sociales, de s'appuyer mutuellement dans la défense du pouvoir de l'Etat (parfois même dans leur refus de la démocratie), de réaffirmer le droit à la diversité des modèles de développement sans contester leur ralliement au capitalisme, etc. Ce pragmatisme des pays disposant de leur autonomie de décision est loin de la vision de l'Etat minimum imposée naguère par les ajustements structurels aux petits pays sans pouvoir (qui sont désormais tentés de chercher des appuis auprès de ces puissances émergentes).

Il est opportun de souligner que cette capacité de réaction des "perdants" de la libéralisation signifie que, contrairement à l'idée d'un alignement fatal sur la globalisation de l'économie, l'action politique a encore un espace de liberté. Dans les pays industrialisés, à la différence de que l'on a voulu et pu imposer aux pays sous ajustement, l'action politique interne a encore une influence non nulle sur la répartition des gains et des coûts de la libéralisation. L'utilisation des espaces de liberté est surtout visible au niveau des nations, ce qui peut s'expliquer par le fait, rappelé par Vincent Cable (1999), que ce n'est encore qu'au niveau national qu'il existe des acteurs politiques. C'est là que se font les alternances politiques. De même, les acteurs sociaux continuent à imprimer un rythme national aux conflits et aux compromis nés de la globalisation.

Mondialisation des politiques publiques

L'addition du fondamentalisme libéral, des stratégies d'engrenage libéral et des pièges de la libéralisation progressive a pu faire croire, un temps, que l'on allait vers la quasi-élimination des politiques publiques. On a vu proposer ou imposer un Etat minimum dont seraient réduits les pouvoirs, les dépenses, les recettes, les fonctions, les administrations, les personnels, les interventions dans les entreprises, les subventions et les taxations, les interventions sur les marchés, les compétences monétaires et bancaires, etc.

Mais le fait est qu’il n'y a pas eu, pour autant, élimination des politiques publiques. Dans le cadre d'une concurrence internationale accrue, les politiques se sont vu attribuer, outre l'objectif de retrait, au moins trois autres buts : l'insertion dans la concurrence internationale, qui exige de pratiquer des politiques de compétitivité des exportations et d'attraction des capitaux tout en respectant les normes d'une concurrence loyale (la politique se mettant, en quelque sorte, au service de la globalisation) ; la protection, provisoire ou durable, de certains secteurs et acteurs menacés par la libéralisation (la politique limitant la globalisation et permettant à chaque pays de choisir un mode d'insertion conforme à son histoire, à ses avantages compétitifs et à ses compromis politiques) ; et l'indemnisation des perdants, qui permet d'ouvrir les frontières en tentant de respecter la condition parétienne de ne pas accepter une réforme qui détériore la condition d'un seul (hausse des retenues sociales pour compenser l'accroissement des risques créés par l'ouverture à la mondialisation libérale ; Rodrik, 1997).

Or il faut savoir que dans une période de mondialisation des acteurs privés, tant que les politiques publiques agissent uniquement au niveau national, cela provoque une réduction relative des domaines et des pouvoirs des politiques publiques. C'est évidemment la première cause du déficit de gouvernance. Mais la mondialisation des politiques publiques n'est pas la seule issue possible de ce déficit. Celui-ci peut être réduit - et, jusqu'ici, a été surtout réduit - par une croissance de la gouvernance privée (pratique des transnationales et idéologie des théoriciens de marché). Et il peut ne pas être réduit du tout.

Quelle que soit l'ampleur du retour des politiques publiques, celles-ci ne peuvent ni ne veulent, pour le moment, s'opposer à la poursuite de la globalisation. Les firmes transnationales poursuivent leur expansion. Les engrenages libéraux poursuivent leur action : chaque libéralisation nouvelle est présentée comme créant le besoin d'une autre libéralisation. La mobilité des capitaux et du travail qualifié est devenu l'argument le plus utilisé par les partisans de l'allégement de la fiscalité.

Développement institutionnel

Les six institutions qui sont habituellement considérées comme des composantes essentielles d'une "bonne gouvernance" dans les pays développés sont les suivantes : la démocratie, l'administration (y compris la magistrature), les droits de propriété, les institutions du gouvernement d'entreprise, les institutions financières (y compris celles gérant les finances publiques) et les systèmes de sécurité sociale et de gestion de l'emploi. 

Afin de se conformer aux "normes mondiales", les PED sont soumis à une forte pression pour améliorer la qualité de leurs institutions bien qu’il ait fallu longtemps aux pays développés pour développer des institutions au début de leur développement. Les raisons de la lenteur de ces progrès sont variées, mais les institutions mettent habituellement des décennies, et parfois des générations, à se développer. Il n'est donc pas réaliste d'exiger, comme on le fait aujourd'hui, que les pays en développement se dotent d'institutions aux normes mondiales sans délai ou après une transition très courte, de l'ordre de cinq à dix ans.

Pour ce qui concerne le développement institutionnel, la situation est plus complexe que pour les politiques industrielles, commerciales et technologiques. On peut toutefois affirmer que la plupart des institutions aujourd'hui recommandées aux pays en développement comme faisant partie de la boîte à outils de la "bonne gouvernance" ont été le résultat, plus que les causes, du développement économique des PAD à ses débuts. Il n'est donc pas évident de déterminer quelles sont celles qui sont en fait "nécessaires" aux PAD - tellement nécessaires, aux yeux des organismes internationaux en charge du développement, qu'elles doivent être imposées à ces pays par de fortes pressions externes, aussi bien bilatérales que multilatérales.

Soutenir que nombre des institutions habituellement recommandées par le discours sur la "bonne gouvernance" peuvent ne pas être nécessaires, ni même favorables, aux pays actuellement en développement ne veut pas dire qu'elles n'ont aucune importance ou que les pays en développement n'ont pas besoin d'améliorer leurs institutions. Au contraire. Historiquement, les améliorations de la qualité des institutions semblent bien être allées de pair avec de meilleures performances en matière de croissance. 

Attention ! Les "bonnes" institutions ne produisent de la croissance que lorsqu'elles sont combinées avec de "bonnes" politiques. Or on doit constater que, malgré des progrès continus - et qui s'accélèrent probablement - dans la qualité de leurs institutions, les PED ont vu ces vingt dernières années un ralentissement marqué de leur croissance. Cela est essentiellement dû à leur incapacité chronique à mettre réellement en œuvre de "bonnes" politiques de développement en raison de réformes incomplètes et surtout inachevées.

Nuances entre croissance et développement

Les deux termes ne sont évidemment pas équivalents. Avec "croissance économique", nous sommes dans le quantitatif, on mesure ce que les hommes ont réussi à produire au cours d'une année et on observe l'augmentation de ces quantités produites. La croissance correspond à un accroissement durable de la production globale d’une économie.

Le développement désigne l’ensemble des transformations économiques, démographiques et sociales qui généralement accompagnent la croissance. Ces mutations structurelles et qualitatives rendent la croissance irréversible. Il est donc difficile d'envisager qu'il y ait croissance à long terme sans développement. Mais produire plus (la croissance économique) ne peut pas être présenté comme l'objectif ultime d'un pays. 

Le "développement" inclut la réflexion sur ce que l'on fait de ce qui est produit et sur les transformations des structures économiques et sociales que la poursuite de la croissance entraîne et implique. En simplifiant, la croissance, c'est avoir plus ; le développement, c'est être mieux tout en rendant possible la poursuite de la croissance. 

Equité et développement économique

L’idée de développement économique suppose une création de richesse et est sous-tendue par l’idée de progrès dès lors qu’il entraîne, en principe, une progression du niveau de vie des populations concernées.

En termes d’évaluation, il convient de noter que l’indicateur habituel du développement économique, même s’il est contesté, reste le PIB qui est une somme des valeurs ajoutées sur un territoire donné. Il nous semble néanmoins que l'équité est par définition une condition intrinsèque du développement au sens large, si l'on admet que le développement n'est pas seulement un concept économique (le niveau de PIB par habitant) mais inclut le respect des droits humains, dont l'égalité des chances et l'absence de pauvreté absolue sont parties intégrantes.

Economie sociopolitique du développement

L'économie sociopolitique du développement (ESD) se donne pour objet l'étude des interactions entre des processus sociopolitiques et économiques dans la dynamique du développement. Elle se réclame des grands classiques sur l'émergence du capitalisme (Weber, Marx, Braudel...) et sur ses transformations (Schumpeter, institutionnalistes, etc.). Elle prolonge les textes fondateurs des années 1950 sur le sous-développement et sur les stratégies de développement (Hirschman, Myrdal, Rostow dans ses travaux historiques...). Et elle bénéficie - au point parfois de s'y perdre - de la masse d'informations réunies grâce à la mobilisation, notamment à partir des années 1960, de toutes les sciences sociales (histoire, anthropologie, démographie, science politique) sur les transformations observées dans les sociétés traditionnelles dominées.

Elle se méfie principalement de l'impérialisme des économistes "purs" dans les diagnostics; elle entend insister sur la complexité des sociétés et la pluralité des valeurs, au point, parfois, de refuser de formuler des projets économiques ou même de recommander le développement. Elle accorde, à l'inverse, une attention prioritaire à l'histoire des conflits, des armistices et des compromis sociaux nationaux et internationaux. Elle focalise son attention sur l'historicité et la diversité des institutions, des histoires sociales et politiques, des modes de formation et d'érosion des Etats, des nations, des mouvements sociaux, des politiques publiques et des trajectoires de développement (ou de sous- développement). Tant qu'elle est demeurée fidèle à son propos initial (la mise en évidence des interactions entre économies, politiques et sociétés), elle a su mettre au jour des interactions de plus en plus complexes et de plus en plus fines. Elle a, au contraire, connu des échecs et perdu beaucoup de temps lorsque, dans ses diagnostics ou ses recommandations, elle a voulu établir la primauté de l'économique sur le politique.

Economie de marché

De fait, "économie de marché" constitue une manière détournée de dire "capitalisme". Il est facile de comprendre le succès de cette formule euphémique désormais consacrée, car parler de "capitalisme" suggère directement l'existence de "capitalistes", c'est-à-dire d'une classe sociale dominant un système hiérarchisé, alors qu'"économie de marché" renvoie à une société d'égaux.

Comme le résumait Maurice Allais en 1954, "toute situation d'équilibre d'une économie de marché est une situation d'efficacité maximale, et réciproquement toute situation d'efficacité maximale est une situation d'équilibre d'une économie de marché ". Fermez le ban, la messe est dite !

La question peut paraître a priori saugrenue. Donner plus de place au marché entraîne forcément les économies vers plus de libéralisme, c'est une évidence. Les économistes peuvent se battre, et ils ne s'en privent pas, pour savoir dans quelle mesure le marché est un mode d'organisation efficace économiquement et socialement optimal. Mais cela ne change rien au fond de l'affaire : ce sont bien les libéraux qui réclament plus de marché, de concurrence et de liberté pour l'initiative individuelle. Le marché est libéral.

Mais dans l'économie de marché, la concurrence est rarement libre et quasiment jamais "non faussée". Au même titre que d'autres instances de régulation, l'Etat y est toujours présent, réclamé par les acteurs privés eux-mêmes ; et les compromis politiques sont à la base des règles qui permettent aux marchés de fonctionner. Qui a dit que le marché était libéral ?

Le marché nécessite donc des institutions politiques stables pour assurer une régulation économique optimale par les prix. Le marché, par l’instauration de la concurrence, génère des gains de productivité qui sont un préalable nécessaire au processus de développement. La régulation marchande et celle de l’État ne s’opposent pas, elles sont complémentaires. Il s’agit donc de développer les synergies entre secteur public et secteur privé, comme l’ont très bien réalisé la plupart des nouveaux pays industrialisés (NPI).

Rôle décisif de l’Etat dans le développement

Il se perçoit en s'éloignant de la thèse de l'Etat minimal, sans abandonner pour autant la méfiance envers les Etats interventionnistes et développeurs. Il n'y a pas de changement d'attitude à l'égard du marché, et il s'agit moins d'une critique du libéralisme que d'un approfondissement théorique et philosophique de sa forme anglo-saxonne (Campbell, 2001). Ce que l'on demande à l'Etat et aux institutions, c'est essentiellement de faire respecter le droit, la propriété, le respect des contrats, l'impartialité des décisions de justice et leur effectivité. Il est reconnu que le marché n'est pas la condition suffisante du développement et qu'il faut des politiques publiques pour le faire apparaître et respecter ; mais il n'est encore guère question de rectifier le marché par des politiques publiques.

Progressivement, les (IFI), après avoir recommandé la réhabilitation de l'Etat, la rigueur macroéconomique, l'amélioration des projets et la défiance à l'égard des gouvernements rentiers et prédateurs, ont réuni l'ensemble de ces prescriptions sous le vocable de "bonnes politiques" nécessaires et suffisantes pour réussir un développement. Le vocabulaire s'éloigne alors nettement des anciennes critiques de toute action des Etats. On met au premier plan les institutions et même parfois les Etats forts. Depuis lors, il n'est plus d'ouvrage orthodoxe qui n'insiste sur la nécessité de ces bonnes politiques publiques et ne renchérit, en outre, sur la nature proprement politique des décisions de développement. Même les conseils des bailleurs de fonds, naguère supposés être apolitiques et scientifiques, se présentent désormais comme politiques. Cette réhabilitation ne va cependant que rarement jusqu'à faire l'inventaire des défaillances du marché qui pourraient justifier les politiques publiques. Au reste, les attributions du label de "bonnes" politiques ne sont pas toujours très précises. Lorsqu'il est attribué ex post, c'est parfois au vu, non des méthodes, mais du succès d'un pays, ce qui frôle la tautologie

Mais la Banque mondiale (BM) a fait un pas de plus dans la réhabilitation des politiques publiques, depuis qu'elle a mis au centre de sa stratégie la lutte contre la pauvreté. Il est désormais admis qu'il existe des défaillances du marché que l'Etat peut et doit corriger. Il est aussi reconnu que la répartition n'est pas spontanément optimale et qu'il peut être souhaitable de procéder à des politiques de redistribution des revenus, des patrimoines et des pouvoirs. Il est même admis que la démocratie n'est pas spontanée, qu'elle n'a peut-être pas de formes universelles et que la démocratie représentative doit se voir substituer une démocratie participative (ce qui peut être discuté). Enfin, il est à nouveau reconnu que les bailleurs de fonds doivent, comme au premier temps de la lutte contre le sous-développement, aider les politiques visant la satisfaction des "besoins essentiels". On met à nouveau l'accent sur les politiques de santé, d'éducation, de création d'emplois et de lutte contre l'exclusion. Il serait excessif de parler d'un retour, au niveau mondial, des politiques sociales naguère minées par la globalisation purement économique. Mais il y a, partout, réhabilitation de politiques sociales relevant, au moins partiellement, des autorités publiques. D'ailleurs, si la réhabilitation de ces politiques se fait parfois avec un vocabulaire nouveau (on dira qu'il faut renforcer les facteurs de "croissance endogène"), elle retrouve aussi un vocabulaire traditionnel (on traite de "services sociaux", ou même de "services publics").

La démocratie

Pour M. Duverger, la démocratie est le système où «les institutions politiques reposent sur les principes fondamentaux suivants : souveraineté populaire, élections, parlements, indépendance des juges, libertés publiques, pluralisme des partis», tout cela devant permettre d’ «empêcher que le pouvoir politique ne soit trop fort, afin de préserver les libertés des citoyens». On peut retenir de cette définition que la démocratie est l’instrument qui permet de réaliser la liberté des citoyens.

Pour J.H. Hallowell, « la démocratie repose sur le principe que nul gouvernement n’est légitime si son autorité et ses fonctions ne découlent pas du consentement des gouvernés». Dès lors, «afin de garantir qu’un gouvernement est effectivement fondé sur le consentement des gouvernés, que la politique gouvernementale est bien le reflet d’une réflexion et d’une décision populaires, il existe un certain nombre d’institutions créées à cette fin». Parmi ces institutions, il cite les «libertés civiles», un «système judiciaire impartial» et une «Assemblée législative élue par le peuple».

On peut constater que, à la différence de Duverger, Hallowell insiste sur le fondement du pouvoir pour définir la démocratie. Son apport qui s’inscrit dans la lignée de Montesquieu, apparaît nettement plus idéal, sinon idéaliste. En effet, s’il fallait vraiment vérifier les critères établis par Hallowell, on risquerait de trouver fort peu de démocratie sur la surface de la terre.

Pour J. Rawls enfin la démocratie s’établit dans ce qu’il appelle la théorie de la justice comme équité. Cette théorie énonce deux principes :

(1) Chaque personne a un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous.

(2) Les inégalités sociales et économiques sont autorisées à condition (a) qu’elles soient au plus grand avantage du plus mal loti ; et (b) qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances".

Cette dernière proposition est intéressante surtout en ce qu’elle intègre la dimension socio-économique, même s’il reste à déterminer comment résoudre le paradoxe des inégalités qui seraient au bénéfice du plus mal loti, tout en supposant que l’égalité des chances ne reste pas au stade du principe. Partant donc de tout ce qui précède, Guy Rossatanga-Rignault propose l’esquisse de définition suivante : « La démocratie est le règne de la plus grande liberté qu’une société peut réaliser à un moment donné en garantissant la plus grande égalité entre ses membres sur le fondement d’un pouvoir légitime et légal, produit de la responsabilité de tous dans la plus grande tolérance".

Souveraineté et démocratie

Il est nécessaire redonner à l'expression de la souveraineté populaire la possibilité de prendre des décisions sur l'ensemble des domaines de la politique économique, car cette dernière ne relève pas de la science mais de la combinaison d'intérêts divergents et contradictoires, c'est-à-dire de la politique. Ce qui fait la démocratie, ce n'est pas seulement la liberté de parole, c'est le fait que cette dernière aboutisse à produire des dirigeants en mesure de prendre des décisions et devant en assumer les responsabilités. Sans pouvoir d'agir et de décider, il n'y a plus de souveraineté, et quand il n'y a plus de souveraineté, il n'y a plus de démocratie.

Mourad Hamdan (consultant en management)

Lire la 2e partie : Quand la trajectoire du développement croise celle des aspirations démocratiques (II)

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (0) | Réagir ?