"Un talent cisaillé", la nouvelle biographie de Tahar Djaout

La couverture du livre.
La couverture du livre.

Rachid Hammoudi, journaliste au quotidien national Horizons, a publié une biographie aux éditons Odyssée de Tizi Ouzou, consacrée à Tahar Djaout assassiné à la fleur de l’âge un certain 26 mai 1993. La mort de Tahar Djaout demeure mystérieuse. Vingt ans après, le crime n'est pas encore élucidé et les assassins courent toujours. Entretien.

Le Matindz.net : Qui est Rachid Hammoudi ?

Rachid Hammoudi : Je suis né en février 1963 dans la petite ville côtière de Tigzirt où j’ai fait mes études au collège mais j’ai vécu davantage à Ait Saïd, un gros village situé à sept kilomètres de la mer qui a cette particularité d’être au milieu de la forêt de la Mizrana, qui soit dit en passant, a perdu depuis une vingtaine d’années plus de la moitié de sa superficie.

Je n’ai pas connu mon père, mort alors qu’il avait moins de 25 ans. Infirmier dans l’ALN, Il avait rejoint les rangs du FFS. J’ai fait un cursus scolaire normal, de l’école primaire d’Ait Saïd construite vers la fin du XIXe siècle. Les deux classes qui faisaient office d’école sont toujours debout. C’est la que mon grand père maternel a décroché son CEP vers 1912 ou 1913. Il récitait de mémoire les fables de la Fontaine, parlait de leçons de choses, de la Russie et jamais de l’URSS ! Ce fut ensuite le lycée Amirouche de Tizi Ouzou où j’ai décroché mon Bac Lettres en 1982. Je fais partie de cette génération qui quelques années après l’indépendance a bénéficié d’un enseignement relativement de qualité tant en Français qu’en langue arabe. Nous étions aussi enracinés dans le terroir kabyle qui dans notre région se déclinait à travers des rites liés à la visite des mausolées, les séances nocturnes de contes, l’attente des exilés, le travail de la terre ou l’élevage du bétail. J’ai obtenu ensuite mon diplôme à l’école nationale d’administration en 1986 mais j’ai eu très tôt l’envie d’écrire, née peut être d’un goût précoce et prononcé pour la lecture des revues comme Afrique Asie ou Demain l’Afrique, les illustrés (c’était l’époque de Pif le chien, Popeye, Kebir et d’autres comme Samir provenaient d’Irak). Les loisirs se réduisaient alors au cinéma et à la lecture, à quelques concerts d’artistes de la chanson kabyle qui connaissait alors une sorte d’âge d’or. Au collège, devenu depuis je crois lycée Omar Toumi et au lycée, il y avait une bibliothèque scientifique et une autre littéraire. C’est la période de découverte des auteurs Algériens et étrangers même si les premiers figuraient moins dans les manuels scolaires que les seconds. Je crois que le premier livre que je devais résumer fut «le grand Meaulnes» d’Alain Fournier que m’avait recommandé en 6eme notre professeur de Français M Fangeaux. Mon premier article, si on peut dire, remonte au collège vers 77 quand dans le journal scolaire, une tradition qui existe rarement de nos jours, j’ai évoqué le problème de la séparation des garçons et des filles dans la cour de recréation. Cela m’avait valu quelques douces remontrances de la part de celles-ci. Et puis sont venues des nouvelles, des envois "d’apprenti journaliste" tout au long des années 80 alors que j’étais en stage dans le Sud où à l’ouest du pays pour des journaux comme "Horizons", "Actualités". Cela avait continué durant le service militaire entre 1987 et 1989 où j’ai couvert quelques événements culturels comme le festival de la poésie Ain Turck pour "Révolution Africaine". J’ai travaillé une année dans l’administration mais sans grande passion. J’avais déjà l’esprit et un pied dans la presse qui me passionnait à l’époque. Quand survint Octobre 88 et le printemps démocratique des années qui ont suivi, j’ai intégré au fil du temps de nombreuses rédactions tant privées que publiques.

Vous avez publié "Un Talent cisaillé", une biographie en hommage à l’illustre journaliste et romancier Tahar Djaout. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

C’est un livre ou je tente d’évoquer sa vie et son parcours dans trois villes qui ont inspiré l’homme de lettres qu’il était avant tout. Il s’agit du petit village d’Oulkhou prés d’Azzefoun où il avait passé sa prime enfance, d’Alger où il s’est formé et côtoyé le milieu culturel et de Paris ou il a séjourné pour une formation. J’y évoque sa vie, ses écrits tant littéraires que journalistiques à travers surtout des témoignages de confrères qui ont travaillé avec lui dans les rédactions d’"El Moudjahid" où il avait collaboré au supplément culturel hebdomadaire puis au sein des collectifs d’Actualité et de Ruptures. J’essaie de suivre pas suis pas à pas son évolution, de déceler ses sujets de prédilection et la manière dont ses écrits dans les journaux alimentaient sa production romanesque. Je présente enfin les motivations de son brusque son passage de la rubrique culturelle à la chronique politique plus engagée après les événements d’Octobre 1988 et les formes de son engagement pour une Algérie moderne. Parallèlement j’ai tenté de restituer l’époque car j’estime qu’on peut comprendre et connaître un peu du passé d’un pays à travers l’histoire de sa presse où se reflètent les attentes de la société et des enjeux liés à l’exercice du pouvoir. C’est pour cela que je me suis attaché à faire revivre l’aventure d’"Algérie Actualités" ou Djaout de 1979 à la fin 1992 avait passé l’essentiel de sa carrière. Les jeunes devraient mieux connaître cet hebdomadaire de qualité avec toutes ses limites dont l’équivalent, à mon avis n’existe plus sur la scène médiatique.

Votre œuvre apporte un éclairage nouveau, utile aux lecteurs et aux universitaires…

Des livres ont été déjà publiés sur Djaout. Des thèses sur ses œuvres ont été soutenues. Tout cela constitue bien sur une matière première que pourraient exploiter à l’avenir d’autres chercheurs qui s’intéresseraient à l’homme ou à l’écrivain. Les biographies sont utiles dans la mesure où elles éclairent toujours d’une manière ou d’une autre l’œuvre. Beaucoup de situations connues ou vécues par un écrivain se retrouvent dans ses romans. Hemingway s’est inspiré de sa participation aux deux guerres mondiales et à la guerre civile espagnole pour écrire. Mammeri s’il n’avait pas séjourné au Maroc aurait t-il écrit le passage sur Itto dans "L’opium et le bâton". Djaout ne fait pas exception à la règle même si la part de la fiction est tout autant présente dans ses écrits n’est pas négligeable. Il a toujours considéré que le travail sur la langue, la construction et l’architecture du texte est autant sinon plus importante que le contenu.

Pourquoi votre choix s’est porté sur Tahar Dajout ? Quelles sont vos motivations ?

Entrer dans la vie d’un créateur, c’est quelque part tenter de retrouver des parfums de sa propre existence. Je me retrouve beaucoup dans ses écrits reflétant les mythes, les senteurs de la Kabylie maritime. D’autres dans ses romans et ses articles ont retrouve aussi les ambitions, les rêves d’une Algérie qui n’est pas totalement sortie de l’impasse ou elle s’est fourvoyée. Comme beaucoup d’entre nous, Djaout qui aurait pu être un grand frère est un fils de famille modeste qui s’est construit par sa seule volonté. Ses parents, comme les nôtres, ne lisaient pas vraiment ce qu’il écrivit. Je ne peux oublier cette image de sa mère décédée le même jour trois années plus tard. Elle ne feuilleta pas «l’invention du désert» mais y apposa ses lèvres. Elle croyait encore comme toute une génération aux vertus du savoir. Le journal où travaillait Tahar Djaout a par ailleurs marqué toute une génération. C’est sur ses colonnes qu’est paru alors que j’étais à Tamanrasset un de mes premiers articles. Comme beaucoup de lycéens et d’étudiants, j’attendais avec impatience la sortie d’Algérie- Actualité. Un numéro ouvrant l’année 1987 avait été entièrement confectionné par nous, ses lecteurs. Pouvait-on recevoir meilleur cadeau ? Je n’ai jamais été aussi fier que le jour où ce journal m’avait publié plus tard d’abord dans la rubrique «lieux dits» un article illustré par le regretté Dorban sur Ait Said et ensuite une nouvelle sur la mer pour le supplément estival «Bermudas» vers l’été 1992.

Comment avez-vous rencontré Tahar Djaout ?

D’abord il faut faire justice d’une fausse qui a souvent cours en Algérie ou d’aucuns prétendent qu’il faut connaître quelqu’un de prés pour en parler. On a même vu des vieux militants reprocher à des jeunes qui ont abordé tel ou tel aspect de la guerre de libération de méconnaître une telle période. Une posture illogique quand sous d’autres cieux même la période antique inspire encore des travaux de recherche et la vie de personnages du moyen âge susciter des biographies. Il suffit de travailler sur des témoignages ou mieux encore sur les traces écrites .Cela dit, mon premier contact avec Djaout date je pense de fin 88 ou j’avais reçu dans une lettre malheureusement perdue son avis sur une nouvelle que j’avais publié une nouvelle intitulée haltes nostalgiques. Je crois dans le journal "Horizons". Je l’ai davantage approché du temps où mon ex-campagne travaillait dans la même rubrique que lui à "Algérie Actualité". Cela nous arrivait d’aborder bien des sujets liés autant au journalisme, à la culture que de rire autour d’histoires liées à la corporation ou à ses virées au bled.

Quel souvenir gardez-vous de cet illustre intellectuel ?

En un mot, celui d’un homme tranquille, qui se rendait disponible pour les jeunes. Sans se fourvoyer dans les structures partisanes, il défendait aussi des convictions pour une société où la religion et la science seraient chacune à sa place et où l’identité algérienne serait reconnue et valorisée dans toutes ses dimensions. J’en garde aussi l’image d’un homme plein d’humour qui brocardait sans excessive méchanceté les travers de ses semblables.

Après une vingtaine d’années d’exercice dans la presse, qu’avez-vous appris en matière d’écriture dans la presse ?

Que celle-ci en si peu de temps a changé. En premier lieu, le journal, me semble-t-il, n’a plus le même impact qu’avant. Dans un monde où explosent le net et les supports audio visuels, son influence s’est considérablement rétrécie. Il m’a été donné il y a deux ou trois ans de réaliser un sondage dans un lycée. En terminale, c’est une infime minorité qui évoque les journaux comme source d’information. Prenez le train vers l’université de Bab Ezzouar ou de Boumerdés et vous constaterez l’ampleur de la désaffection pour la chose écrite. Toutefois, quelque part la presse reste encore dans notre pays un espace où existe une relative liberté d’expression et une impertinence qui si on la retrouve dans les futures chaînes de télévision permettra à la société de respirer. Par contre, en Algérie nous souffrons d’un phénomène. Dans nos journaux les uns à longueur de colonnes noircissent le gris où sombrent dans les règlements de comptes. D’autres blanchissent le noir en piétinant par excès de zèle les normes devant régir le service public. Or celui-ci pourrait dans un contexte comme le nôtre brider les intérêts financiers voraces qui pointent déjà le nez.

Entretien réalisé par Mohammed Amrous

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Service comptabilité

merci bien pour les informations

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algerie

merci bien pour les informations