Dévaluation du dinar : quelles conséquences sur l’économie algérienne ?

Le dinar a subi plusieurs dévaluations.
Le dinar a subi plusieurs dévaluations.

La cotation officielle du dinar algérien est passé de 5 dinars pour un dollar en 1973 à plus de 81 dinars un dollar et approchant 113 dinars un euro le 24 octobre 2013. Quelles incidences sur l’appareil productif et les ménages objet de cette contribution.

1.- Créé en 1964, le dinar algérien était coté avec le franc jusqu’en 1973, 1 dinar pour 1 franc, et par rapport au dollar 1 dollar pour 5 dinars. Depuis 1974, la valeur du dinar a été fixée suivant l’évolution d’un panier de 14 monnaies avec une dépréciation entre 1986/1990 de 4,82 à 12,191 (cours USD/DZD), de 150% suivi d’une seconde dépréciation, de l’ordre de 22% en 1991. Avec la cessation de paiements en 1994 et suite au rééchelonnement et aux conditionnalités imposées par le FMI, il y a eu une nouvelle dévaluation de plus de 40% par rapport au dollar américain suivi dès 1995/1996 d’une convertibilité commerciale de la monnaie algérienne. Comme je l’annonçais dans une contribution en date du 10 octobre 2013, (pourquoi donc cet étonnement aujourd’hui), un euro valait 111,25 et le 24 octobre 112,831, contre 102,060 courant juillet 2013. 81,18 dinars dollar. Au 24 octobre 2013 le dinar tunisien s’échange à 2,246 un euro et un euro 11,240 dirhams marocain (source: www.daily-bourse.fr). L’argument de la banque d’Algérie qui utilise un système de "flottement dirigé" pour qui cela résulte de l’inflation ( alors qu’il est annoncé une baisse en glissement annuel en 2013) est-elle la seule explication et pourquoi la valeur du dinar algérien est-elle si insignifiante par rapport au dinar tunisien et au dirham marocain alors que ces deux pays connaissent un endettement ? Sur le marché parallèle l’écart entre le cours officiel fluctue entre 140/150 dinars un euro produit de la méfiance. valeur d’une monnaie repose avant tout sur la confiance en l’avenir d’une économie performante ou pas. Ainsi, lorsque les autorités publiques taxent (fiscalité excessive) et réglementent à outrance ou en déclarant illégales les activités du libre-marché, il biaise les relations normales entre acheteurs et vendeurs. En réaction, les acheteurs et vendeurs cherchent naturellement les moyens de contourner les embûches imposées par les gouvernements. Lorsqu’un gouvernement veut imposer ses propres règles qui ne correspondent pas à l’Etat anthropologique de la société, celle-ci enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner avec un contrat moral plus solide que celui imposé par l’Etat.

2.- L’inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis-à-vis du dinar algérien où le cours officiel administré se trouve déconnecté par rapport au cours du marché parallèle qui traduit le cours du marché. Pour se prémunir contre l’inflation, et donc de la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. De nombreux Algériens profitent en effet de la crise de l’immobilier, notamment en Espagne, pour acquérir appartements et villas dans la péninsule ibérique, en France et certains aux USA et en Amérique latine sans compter les paradis fiscaux. C’est un choix de sécurité dans un pays où l’évolution des prix pétroliers est décisive. S’il n’y avait pas de pétrole et de gaz et les réserves de change, richesse virtuelle qu’il s’agit de transformer en investissement productif, due non au travail mais à la rente des hydrocarbures, qui clôtureront certainement fin 2013 à 200 milliards de dollars, (dont 86% placés en majorité en bons de trésor américains et en obligations européennes -45% au taux fixe de 2 à 3% au même niveau que le taux d’inflation mondial)), l’euro s’échangerait à 300 ou 400 DA. C’est grâce aux réserves de change que le taux de change officiel est à 100 DA/euro. Face à l’incertitude politique et la psychose créée par les scandales financiers, beaucoup de responsables vendent leurs biens pour acheter des biens à l’étranger. Également, beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, à la baisse depuis quelques mois, achètent les devises sur le marché informel.

3.- Pourquoi cet artifice comptable de la banque d’Algérie qui constitue une dévaluation de fait, la Banque d’Algérie parlant de glissement ? La première raison est d’essayer de freiner les importations, mais est ce possible sinon de provoquer une révolte sociale et d’entrainer la fermeture des entreprises existantes où le tissu industriel en déclin (moins de 5% du PIB) exportant 98% en hydrocarbures et important 70/80% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont taux d’intégration ne dépasse pas 15%. Du fait que l’économie algérienne est une économie rentière, les principes des lois économiques universelles ne s’appliquent pas, au contraire ayant eu un effet inverse à travers l’envolée des importations qui risquent d’atteindre, si le rythme des six premiers mois se maintient à 60 milliards de dollars en biens fin 2013 auquel il faut ajouter 12 milliards de dollars de services.

En effet toute dévaluation dans un pays a pour but forcément une dynamisation des exportations qui constitue un dumping à l’exportation. Or avec le dérapage depuis trente ans du dinar, les exportations hors hydrocarbures peinent à avoir un taux de 2/3% montrant que le blocage pour passer à une économie productive compétitive est systémique. Deuxième conséquence une poussé inflationniste qui amenuisera les récentes augmentations de salaires, l’Etat réalisant une épargne forcée et devant pousser les entreprises publiques et privées qui fonctionnent en majorité avec des équipements et matières premières importées à augmenter leurs prix. Mais ne pouvant pas s’attaquer aux niches spéculatives, avec la sphère informelle qui dépasse les 50% de la superficie économique, l’inflation jouera au détriment des revenus fixes, notamment des faibles revenus dans la mesure où l’inflation, qui a atteint 9% en 2012, sera certainement plus de 5/6% en 2013. Mais attention aux fausses interprétations, le taux d’inflation se calcule par rapport à la période précédente donnant un taux cumulé 2012/2013 de plus de 15/16%. Cela joue comme facteur de redistribution de concentration de revenus au profit des revenus variables. Mais La raison essentielle est qu’en dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures qui fluctue, en fonction des cours, entre 60/70% du total fondement d’une économie rentière. Car les recettes des hydrocarbures sont reconverties en dinars, passant par exemple de 72 dinars un dollar en 2010 à 77 dinars/un dollar en 2012 à 81,1 dinars un dollar le 24 octobre 2013 et dont les taxes douanières s’appliquent au dollar reconverti en dinars amplifiant artificiellement le montant en dinars algériens accélérant l’inflation intérieure. Tout cela voile l’importance du déficit budgétaire et donc l’efficacité réelle du budget de l’État à travers la dépense publique et gonfle artificiellement le Fonds de régulation des recettes calculé en dinars algériens. Ainsi par exemple, si l’on dévalue de 10% le dinar on gonfle la fiscalité hydrocarbures et le fonds de régulation de recettes de 10% et dans la même proportion on diminue artificiellement le montant en valeur des transferts sociaux, par un pur artifice comptable qui ne correspond pas à l’état réel de l’économie algérienne.

4.- L’Etat algérien joue alors sur les subventions, subventionne un grand nombre de produits de première nécessité, comme les céréales, l'eau et le lait, l'électricité et le carburant sinon le taux d’inflation officiel dépasserait les 10/15% mais avec une très profonde injustice sociale, celui qui gagne le SNMG au chef d'entreprise national ou étranger, bénéficient des prix subventionnés, n’existant pas de système ciblé de subventions. Dans son rapport en date du 18 avril 2012, la Banque mondiale fait pour 2010/2011 que les montants des subventions sous forme de comptes spéciaux du Trésor, recensant sous différentes appellations 14 fonds, allouées au soutien de services productifs, à l’accès à l’habitat et aux activités économiques sont successivement de 40,83, 520,11 et 581,78 milliards de dinars, soit un total d’environ 1.143 milliards de dinars (équivalent à 16 milliards de dollars), représentant 14% du total des dépenses de l’État en dehors des dépenses de fonctionnement. Pour la BM, 277 milliards de dinars ont été réservés aux produits de large consommation (blé, lait en poudre, etc.), soit l’équivalent du quart des subventions accordées au budget d’équipement. A cela s’ajoutent les assainissements répétés aux entreprises publiques qui ont couté au trésor public plus de 50 milliards de dollars entre 1971 et 201, les exonérations fiscales et de TVA accordées par les différents organismes d’investissement (ANDI ANSEJ) y compris pour les entreprises étrangères, dont il conviendrait de quantifier les résultats par rapport à ces avantages à coup de dizaines de milliards de dinars. Pour 2012-2013, le pouvoir algérien ne voulant pas de remous sociaux jusqu’aux élections présidentielles d’avril 2014, les subventions sont encore un tampon pour juguler la hausse des prix internationaux. Ainsi, les différentes lois de finances 2008-2013 ont pour finalité de pérenniser la politique de l'Etat en matière de subvention des prix des produits de large consommation. Outre cette disparité dans l’octroi du soutien de l’Etat, il faut remarquer l’opacité dans la gestion des transferts sociaux qui sont passés de 245 millions de dinars en 1999 1200 milliards de dinars en 2011, 1400 milliards de dollars selon les loi de finances 2012/2013 et 1 603,2 milliards de dinars en 2014, soit 8,8% du PIB ( source loi de finances 2014) environ 20 milliards de dollars’ au cours de 81 dinars un dollar), ceux réellement déclarés, sans qu’aucune date limite ne soit instaurée.

5.- D’une manière générale, les investisseurs tant étrangers que locaux se méfient d’une monnaie stable administrée faible qui fluctue continuellement faussant toues leurs prévisions et les poussant non vers les secteurs productifs mais vers la sphère marchande. La valeur réelle de la monnaie, qui n’est qu’un signe, un moyen d’échange (les tribus d’Australie utilisaient les barres de sel comme monnaie d’échange) où nous sommes ensuite passé de la monnaie métallique, aux billets de banque, puis aux chèques et ensuite à la monnaie électronique. C’est le travail par l’innovation continue, s’adaptant à ce monde de plus en plus interdépendant, turbulent et en perpétuel bouleversement qui est la source de la richesse d’une nation. La valeur de la monnaie dépend de la confiance en le devenir de l’économie et du politique, de la production et de la productivité, comme nous l’ont montré les analyses des classiques de l’économie sur «la valeur». La solution réside en une nouvelle gouvernance, de nouveaux mécanismes de régulation, qui conditionnent la dynamisation de la production locale dans des segments à valeur ajoutée au sein de filières internationalisées. Cela passe par des entreprises performantes (coûts-qualité) étant à l’ère de la mondialisation nécessitant de s’insérer au sein de grands ensembles dont les espaces euro-africains et euro-méditerranéens, qui sont les espaces naturels de l’Algérie grâce à soit à un co-partenariat ou à une co-localisation (balance devises partagées, accumulation du transfert technologique et managérial local), la ressource humaine étant le pivot essentiel de la coopération. Ce sont les conditions pour améliorer la cotation du dinar, les taxes douanières et les subventions étant transitoires avec un cahier des charges précises pour les bénéficiaires de cette rente. C’est que l’Algérie est en transition depuis 1986, ni une économie de marché, ni une économie administrée expliquant les difficultés de régulation politique, sociale, économique et financière et par là, la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, fonction elle-même de la transition énergétique, dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux.

Abderrahmane Mebtoul, professeur d’université

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Bachir ARIOUAT

On parle de monnaie, d'échange de conversion d'une monnaie, lorsque il existe des véritables bureau de change, d'une vraie Bourse, d'une économie libre, d'un vrai gouvernement et des Ministres qui assument et qui savent gérer leur Ministère, nous avons rien de tout ça, alors parler dans le vide avec un mafia installer par ceux qui dirigent le pays, cela n'a rien d'intéressant.

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Nabil de S'Biha

J'aime bien ce que nous raconter notre professeur mais il faut que je signale le fait que cela est toujours beau sur le tableau d'une classe et aux yeux des étudiants surtout ! Etant un thésard en économie et avec le minimum de connaissance que je peux en avoir, je vais vous dire que les notions avancées par le professeur ne servent strictement à rien dans une économie comme celle de l'Algérie où le marché parallèle (noir) est aussi puissant que le marché formel, où la bourse n'a aucun rôle (de sanction surtout) à jouer dans l'économie... et j'en passe.

Une autre remarque que je veux mettre en avant est le fait que le Japon à une monnaie très dévaluée mais cela n'a pas changer grande chose en ses capacités de générer des réserves de change (plus de 900 milliards $) et de même pour la Chine. Mais vous allez me dire que ces deux pays sont des nettes exportateurs, c'est vrai ! la question alors est de savoir si cela n'est pas le cas de l'Algérie avec une balance commerciale positive ?

Une dernière chose, notre cher professeur a oublié, sauf si je l'ai raté en lisant, de mentionner et de faire le lien avec les devises de la diaspora algérienne. Etant donné q'il y a plus de 5 millions d'Algérie à l'Etranger, il serait adéquat de parler de ses devises, Euro surtout, qui affluent en Algérie ! A savoir que des millions d'Algériens vivent avec les aides qu'ils reçoivent de l'étranger et notamment en France. La Kabylie est le meilleur exemple comme chacun le sait car sans ces devises, les Kabyles sont pauvres depuis qu'ils ont délaissé l’exploitation de leur terre.

Cher professeur, avec tous mes respects, il faut oublier pour un moment les théories économiques et faire le lien avec le monde réel. Les institutionnalistes tel que Galbraith est formidable base pour exploiter ce domaine.

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