Bouakba et Aloui : une double condamnation exemplaire pour terrifier l’opinion

Abdelkader Aloui reste en prison. Ainsi a décidé "la justice".
Abdelkader Aloui reste en prison. Ainsi a décidé "la justice".

L’offensive du pouvoir pour empêcher le changement à l’occasion des présidentielles de 2014, qui a été déclenchée depuis le retour de Bouteflika de sa convalescence aux invalides, franchi une nouvelle étape sous la forme d’une répression ciblée, pour servir d’exemplarité, dans le but de terrifier les potentiels médias susceptibles d’influencer l’opinion à l’idée du changement.

Après avoir opéré un remaniement du gouvernement pour marquer la reprise en main des affaires de l’État et procédé à une diversion trompeuse, par une illusoire restructuration de l’armée et des services de la part de la présidence, pour éloigner les soupçons sur le véritable centre du pouvoir ; tout en écartant du parti FLN les non consensuels ; pour entrer ensuite en pleine campagne électorale, en activant la propagande au profit de la reconduction du système de pouvoir, par le biais des différents clients qui meublent la façade démocratique, il lui faut à présent neutraliser l’opposition, en muselant les médias pour les empêcher de promouvoir une contre propagande, qui viendrait desservir son objectif.

Cette nouvelle étape dans son offensive pour empêcher le changement, s’est manifestée avec la répression ciblée, qui s’est abattue sur le blogueur Abdelghani Aloui, actuellement incarcéré, et le journaliste d’El Khabar Saad Bouakba, qui se trouve à son tour sous la menace de poursuites judiciaires. Une bouchée double, au sens propre du terme, qui viserait à neutraliser les deux principaux médias, potentiels supports susceptibles d’influencer l’opinion à l’idée du changement, respectivement en tant que réseaux sociaux sur internet, fortement mobilisateurs, et presse libre à grande diffusion.

Le choix de ces deux personnes répond à des objectifs bien précis. D’abord Abdelghani Aloui, un jeune blogueur anonyme, d’apparence islamiste, mais qui en réalité relève plus d’un cas pathologique que d’un véritable militant, sans réel discours cohérent et structuré, ni lien concret avec les réseaux islamistes, qui sont quant à eux fortement organisés. Il ne représente donc aucun danger tangible et sérieux sur la sureté de l’État pour retenir contre lui l’accusation d’apologie du terrorisme. Quant à l’accusation d’atteinte à la personnalité du chef de l’Etat et d’outrage à corps constitué, qui lui ont été signifiés pour motiver son arrestation, ils sont partagés en fait par presque l’unanimité des internautes, qui distillent en permanence un flux ininterrompu de ces deux griefs contre le pouvoir et ses représentants sur les réseaux internet. En vérité, son arrestation par le Groupement de Contrôle des Réseaux (GCR), un organisme spécialisé du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), chargé du renseignement, de la surveillance, du suivi et du contrôle des réseaux sur internet, puis son incarcération dans le quartier des détenus terroristes de la prison de Serkadji ne vise pas à combattre cette mouvance politique, qu’il contrôle de l’intérieur par son infiltration, ni de le punir pour diffamation. Il a été plutôt choisi arbitrairement pour servir d’exemplarité, pour dissuader les usagers d’internet à user de leur liberté d’expression, pour contrer la propagande mise en place pour la reconduction du système de pouvoir à l’occasion des présidentielles de 2014. C’est un message clair et direct, adressé sans ambiguïté à tous les internautes pour les terrifier, sous forme d’une sommation, pour les dissuader d’entraver sa stratégie de reconduction du statu quo. Sinon pourquoi avoir arrêté Abdelghani Aloui maintenant, alors que cette pratique de la critique du pouvoir dans l’usage d’internet s’était manifestée en même temps que l’introduction de ce média en Algérie.

La véritable motivation de l’arrestation de ce blogueur isolé, que l’on pourrait qualifier de déséquilibré, devient plus évidente encore avec la menace non avouée contre la presse libre, qui s’en est immédiatement suivie, par l’intention de poursuites judiciaires contre l’un des journalistes, parmi les plus radicaux et les plus actifs dans son opposition à la reconduction du système de pouvoir à l’occasion de ces présidentielles de tous les dangers, qui menaceraient la stabilité du pays par l’aggravation de la déliquescence de l’État, si le système de pouvoir actuel serait amené à être reconduit.

C’est sous le prétexte d’une réaction à une chronique de ce journaliste, parue sur la rubrique "Noqtat Nidham" (Point d'ordre), sous le titre "Avons-nous besoin d'une expertise internationale pour organiser des funérailles?", publiée dans le n° 7226 du quotidien El Khabar, paru vendredi 18 octobre, que la menace de poursuites judiciaires contre lui a été prononcée. On lui reproche en fait [… un acharnement clair et une attaque manifeste contre l'institution militaire, assortis de diffamation et de provocation à l'endroit des cadres de l'Armée nationale populaire (ANP), d'une manière totalement étrangère à la déontologie du métier de journaliste"…] La menace contre ce journaliste s’est ensuite transformée en mise en garde généralisée à toute la profession dans cette même réaction, qui a été diffusée dans un communiqué solennel dans une dépêche de l’APS à 23h00. Endossée à l’APN, cette mise en garde dénonce dans sa forme une «campagne tendancieuse menée par certaines plumes contre l’institution militaire ces derniers temps» et «s’interroge sur les motifs d’une telle entreprise tout en condamnant ces méthodes médiatiques immorales».

En fait dans sa chronique, Bouakba n’a usé que de son droit constitutionnel à la liberté d’expression, en émettant une critique sur un communiqué diffusé par l’APS, dont le contenu se rapporte à une rencontre entre le président de la République avec son vice-ministre de la défense, où il a été évoqué un compte rendu de la participation algérienne aux funérailles du général Vo Nguni Giap. La teneur de la critique de cette dépêche par le journaliste, en se basant sur son contenu, n’a fait que soulever la question de l’urgence de la sécurité de nos frontières, qui devrait retenir selon lui l’attention des deux hommes à cette occasion, en même temps que les préoccupations pour les funérailles de cet ami de la révolution algérienne, sans pour autant diminuer de leur importance. 

Mais la préméditation du pouvoir à museler la presse libre a trouvé là l’occasion de s’attaquer à l’un des journalistes les plus dangereux pour la réussite de son offensive de reconduction du système de pouvoir à l’occasion de ces présidentielles, en transformant sa chronique en une véritable aubaine pour mettre sa stratégie en pratique. C’est alors que dans son communiqué le pouvoir va contredire le journaliste, en insistant sur le fait que durant la rencontre entre les deux hommes, le vice-ministre de la Défense a bel et bien fait "un compte rendu sur la situation sécuritaire du pays et évoqué, par la même occasion, la participation de la délégation algérienne aux funérailles de l’ami de la Révolution algérienne, le général Vo Nguni Giap qui mérite toute la considération et la reconnaissance".

De son côté Saad Bouakba se défend en déclarant sur son forum : «j’ai juste critiqué le contenu du communiqué du ministère de la Défense diffusé par l’APS et qui évoquait uniquement les funérailles du général Giap et non pas la situation sécuritaire du pays». Se sentant apparemment pris au dépourvu, Bouakba, voyant le piège se refermer sur lui, fait marche arrière et déclare : "Ma chronique n’est pas une diffamation contre l’Institution militaire pour qui j’ai un grand respect, mais un commentaire sur le communiqué du MDN qui a accordé plus d’importance aux funérailles du général Giap qu’à la situation sécuritaire qui est à mes yeux plus importante. D’un point de vue journalistique je considère cela comme une erreur, mais pas plus. C’est tout ce que j’ai voulu dire dans ma chronique et rien de plus". Pourtant dans une de ses chroniques passées, intitulée : «Ahmed Benbiour ne peut convenir, parce qu’il est l’ennemi de la corruption et des médiocrités», dans laquelle il n’a pas hésité à dire que le pouvoir occulte considère Benbitour comme un danger pour lui parce que c’est un homme libre politiquement, qui aime être au service du peuple et du pays. C’est un homme qui veut puiser sa légitimité pour l’accès à la présidence de la République dans la volonté populaire par le suffrage universel et non pas d’être désigné par l’armée, pour tromper le peuple et lui faire croire que le pouvoir est civil, comme c’est le cas à ce jour. Et de rajouter que Benbitour s’appuie sur un programme économique et politique pertinent pour sortir le pays de la crise qui le paralyse depuis 50 ans, mais que celui-ci ne convient pas au pouvoir occulte, parce qu’il est dangereux pour eux par le fait qu’il se pose comme l’ennemi de la corruption. Pour conclure, il précise que l’homme est intègre et ne peut convenir à une structure mafieuse du pouvoir qui a érigée la corruption comme mode de son fonctionnement.

En vérité, c’est le courage journalistique et l’engagement de Bouakba, dans sa volonté de soutenir le changement du système de pouvoir qui va motiver son choix pour l’exemplarité à sacrifier au côté d’Abdelghani Aloui, pour les dresser comme des épouvantails pour terrifier tous ceux qui sont amenés à s’aventurer dans le champ médiatique. Cette nouvelle étape dans la stratégie de reconduction du statu quo, par la neutralisation des soutiens et de la médiatisation de l’opposition ne fait que commencer. Il faut s’attendre dans l’avenir à voir de nouvelles têtes tomber, jusqu’à la mise au pas de toute la presse libre. En sera-t-il autant pour internet ? Pas si sûr, à moins de renforcer la dictature et procéder comme la Chine, l’Iran, la Corée du Nord et tout autre pays corrompu, totalitaire et répressif, par un contrôle total d’internet.

Youcef Benzatat

Plus d'articles de : Actualité

Commentaires (5) | Réagir ?

avatar
Guel Dring

C'est une méthode toujours en vigueur puisque du principe de la dynamique du groupe, l'oppresseur

repère les chefs de files, les animateurs et pense qu'en les muselant le calme va revenir mais c'est sans compter ce qui a été dit par Ben Mhidi " jetez la révolution à la rue, le peuple la reprendra". L'oppresseur semble maîtriser une situation mais en fait il ne fait qu'animer un événement déjà décrété.

avatar
khelaf hellal

Cela signifie qu'il est interdit de rire de tout même lorsqu'on ne peut se retenir de pouffer de rire de ce qui touche à cet interdit. Ne dit -on pas que les meilleures blagues sont celles qui justement surfent sur ces interdits et ces tabous que l'on croyait jusque-là intangibles et immuables. Même Charlot en a usé dans ses films en caricaturant en images muettes le furer ou en trouvant des échappatoires à des catastrophes certaines que personne n'imaginait. C'est comme l'humour anglais qui réside dans cette citation de W. Churchill : "Tout le monde savait que c'était impossible à faire, puis, un jour quelqu'un est arrivé qu'il ne savait pas, et il l'a fait. "

visualisation: 2 / 5