Evénements du 5 octobre : la grande manipulation politique de l’histoire algérienne

Le 5 octobre, une manigance hautement menée par les clans du pouvoir
Le 5 octobre, une manigance hautement menée par les clans du pouvoir

Ces jours-ci commenceront les commémorations des évènements du 05 octobre 1988. La légitime évocation de la mémoire des victimes, va t-elle encore une fois masquer la plus grande manipulation politique de l'histoire de l'Algerie indépendante?

Le 5 octobre eut lieu et la lumière fut : tel est le crédo 

Gageons que ces évènements ne manqueront pas d'être analysés sous le prisme des concepts dominants, néanmoins insignifiants car sans rapport avec la réalité. Confortablement installés, le dos à leur société, certains intellectuels, journalistes, militants, et dirigeants politiques soutiennent avec une assurance déconcertante qu'une révolution démocratique est passée par octobre 1988.

Leur but n'étant évidemment pas d'éclairer le "citoyen algérien" sur les dessous d'une manigance hautement élaborée par les clans qui nous gouvernent, mais de le glorifier dans l'illusion d'avoir accompli son "printemps" et arraché des acquis démocratiques un certain octobre 1988. On parlera de processus démocratique, de rupture, d'ouverture démocratique de printemps algérien (en automne !) et même de révolution. Ainsi voilé derrière le paravent de ces notions mystificatrices en la circonstance, le régime d'hier s'en tire à bon compte et sa continuité assurée sur le sacrifice de ses propres victimes. Un régime despotique, désormais légitimé par des "cerveaux" qui confondent jeux de mots et concepts à forger dans la complexité du réel et l'effort de réflexion. A coups de conférences, d'articles de presse, de déclarations, de livres, d'exhibitions télévisuelles... nos "éclaireurs" devenus des lessiveuses de service, lavent sans relâche son nouveau "look" de tout soupçon quant au crime de masse qu'il a perpétré en octobre 1988. La permanence de la répression qui s'abat chaque jour sur l'expression démocratique de la société algérienne, vingt cinq ans après cette fameuse révolution d'octobre, n'inspire pour eux aucune interrogation. Tous ces "Panglos" clament à qui veut les entendre que tout est bien dans le meilleur des mondes, L'Algérie s'est acquitté de sa révolution démocratique.

Que de mensonges sont dits et écrits sur les tenants et les aboutissants de cette tragédie d'octobre qui a coûté la vie à des centaines de jeunes innocents manipulés par ceux-là mêmes qui ont commandité leur assassinat et trônent aujourd'hui sur leur mémoire bafouée

Le sacre sacrificiel

Qui étaient ces jeunes ? Pourquoi étaient-ils sortis dans la rue à un moment précis? Que voulaient-ils ? Pourquoi n'avaient-ils ni revendications à faire entendre ni slogans à scander ? Comment expliquer la spontanéité de leur sursaut ? Qui les avait conduit à des actes de vandalisme et pourquoi ? Par quoi ou par qui étaient-ils coordonnés? Une série d'autres questions mériteraient d'être posées tant le mystère est encore épais et entretenu. Mais d'emblée, ces interrogations sont noyées par la promptitude des réponses péremptoires apportées par des analyses dont les sources restent pour le moins suspectes. Oblitérant la vague d'arrestations opérées par la police politique dans les milieux du PAGS, la veille du 5 octobre (ce qui crédite la thèse de la préméditation) les unes parlent d'une révolte de la jeunesse, justifiée par ce concept creux : "le ras le bol des jeunes". D'autres empruntent à l'histoire de France le concept désuet de "jacquerie". Certaines, plus élaborées probablement, vont jusqu'à déceler des aspirations démocratiques chez ces pauvres jeunes apolitiques qu'on a privé de parole, à un tel point que leur mal- être n'avait d'autre cri, que celui d'une noix qu'on écrase. Innocents, crédules, peu ou pas du tout enclins aux abstractions politiques comme l'ont voulu les maîtres de l'école algérienne et du pays, ces jeunes ne demandaient rien à personne et la démocratie était leur dernier souci. (Beaucoup parmi ceux qui ont survécu au massacre, rejoindront plus tard les rangs du FIS. Un parti qui excelle lui aussi dans la manœuvre et la démagogie auprès de la jeunesse). Ils végétaient dans l'impuissance et le fatalisme ambiants, sans se rendre compte que les faiseurs de la petite histoire machiavélique, les destinaient au rôle historique du sacre sacrificiel, à la gloire du souverain. Sans boulot et sans parole, les jeunes ont bon dos et l'esprit maniable. C'est connu. Ils formaient une armée déstructurée, démunie, qui offrait malgré elle, des prédispositions à se faire conduire selon le bon gré des puissants. La manipulation commence là, pour aboutir aux drames sanglants qu'on connait. Pour faire date dans l'histoire il fallait du sang afin de marquer les esprits et la conscience collective, mais plus encore, pour cimenter et légitimer un réajustement prévu de longue date, dans un régime de plus en plus contesté et menacé (voir ci-dessous).

Le sang doit couler, il coula. Ainsi est faite l'articulation entre le nouveau visage du "système" et le sacrifice de plusieurs centaines de jeunes. Une nouvelle constitution est promulguée (encore une !) autorisant un multipartisme sous tutelle, avec des petits "partillons" fantaisistes jusqu'à saturation et des partis islamistes plus engagés à en découdre avec les aspirations démocratiques de la société qu'avec le despotisme du pouvoir. Des milliards de dinars sont investis en permanence pour soutenir l'édifice de cette caricature de la démocratie. Cela ne gènera pas nos analystes à présenter les événements du 05 octobre comme la matrice d' une véritable révolution démocratique sans précédent dans le pays. On ressassera cette contre vérité jusqu'à la nausée pour l'enraciner dans la conscience nationale. Le pouvoir inamovible qui en a été le bourreau architecte en devient du coup l'enfant légitime. Le régime tant décrié est vite réhabilité. Il devient le maître d'oeuvre de "la démocratie naissante", l'arbitre des antagonismes politiques et idéologiques et le recours incontournable pour des démocrates et des progressistes fascinés par la perspective des élections. Rares étaient ceux qui ont décelé le piège de ces élections entre projets de société qui s'excluent indubitablement, mais plus rares encore étaient ceux qui s'interrogeaient sur les ressorts et le sens caché de ces événements d'octobre, le mobile et le rôle joué par les tenants du pouvoir

Entre mouvement et événements

Pour y répondre, revenons en arrière, plus précisément en 1980. Au printemps de cette année, naît à l'université de Tizi-Ouzou un mouvement de contestation, suite à l'interdiction de la conférence, que devait tenir Mouloud Mammeri sur "la poésie kabyle ancienne ". La répression qui s'abat alors sur la communauté universitaire donne à cette contestation une amplitude qui couvre la Kabylie, une partie de l'Algérois et de l'émigration. Un mouvement large avec une profondeur sociale se met aussitôt en place. Des structures représentant l'ensemble de la société civile émergent en son sein. Elles sont animées par des cadres militants aguerris par des années de lutte clandestine. Ce mouvement se dote d'uneplate forme de revendications claires et d'objectifs précis enrichis par les recommandations d'un séminaire (séminaire de Yakouren ) qui s'est déroulé du 1er au 30 août 1980. Le MCB est né. C'est un Mouvement autonome, à ancrage populaire large avec une vision politique claire.

On peut résumer ses revendications comme suit:

- Reconnaissance de l'identité amazigh

- Reconnaissance et développement de la langue et de la culture amazigh.

- Reconnaissance et développement de l'arabe algérien.

- Tamazight langue nationale et officielle.

- Libertés démocratiques

- Ecriture objective de l'histoire

- reconnaissance du droit à la liberté d'expression.

- Reconnaissance du droit à l'organisation autonome de la société civile. (femmes, travailleurs, paysans, jeunes, étudiants etc...)

La tendance de gauche du mouvement ajoute la revendication "Pour un vrai socialisme".

Au regard de ces revendications qui concernent l'ensemble des algériens, le MCB, exerce une influence considérable sur une large partie de la population et de l'intelligentsia algérienne. La qualité démocratique de son fonctionnement, de son encadrement, de ses objectifs et de ses activités le porte incontestablement à l'avant garde du combat pour la démocratie. Il porte la promesse de contribuer largement à l'irruption autonome de la société algérienne sur la scène politique pour imposer pacifiquement la démocratie dans le pays. Dès sa naissance, il impulse avec ses cadres et militants la création de plusieurs associations autonomes dans la société civile au dam du FLN et de son article 120 : Association des enfants de chouhadas, associations des femmes, ligue des droits de l'homme, syndicats autonomes des travailleurs etc. Le vrai processus démocratique est enclenché en 1980 à l'initiative de la société.

La répression constante et les intrigues du pouvoir pour l'arrêter restent vaines jusqu'à cette date fatidique du 05 octobre 1988. Un plan machiavélique, finement élaboré par les services de sécurité est mis en exécution quelques jours avant les dramatiques évènements d'octobre. Le but : dessaisir la société de son initiative démocratique et en vider toute la substance au profit du pouvoir.

Choisir entre la vérité et la haine

Il est pour le moins consternant de constater avec quel aplomb certains démocrates et progressistes sensés déjouer par leur vigilance d'esprit les duperies du pouvoir se font aujourd'hui encore les relais (inconscients ?) de sa vision et de ses calculs.

Toute tentative de reléguer à la marge de l'histoire et de la conscience nationale le Mouvement du printemps 1980 (Printemps berbère ) pour lui substituer dans sa portée politique les événements dramatiques d'octobre 1988 révèle au grand jour des desseins pour le moins anti- patriotiques qui jurent avec les principes de la démocratie et de la république. En effet, quelle raison peut-on invoquer en inter-changeant dans leur contenu politique des événements sans objectifs proclamés, sans slogans, sans direction avec un Mouvement structuré, construit de longue haleine dans les tréfonds de la société, exprimant des revendications claires et des objectifs définis? sinon parce-que l'un, en plus d'être l'oeuvre perfide du pouvoir, participe par voie de conséquence à en consolider les fondements, l'autre plutôt menaçant, visait à les saper, ou bien s'agit-il simplement de ce racisme inavouable qui disqualifie toute initiative émanant de la Kabylie même si celle-ci est salutaire pour l'Algérie ? La Kabylie serait-elle proscrite dans l'esprit de ces démocrates et progressistes au point de lui préférer les voies de l'enfer ? N' a-t-elle pas toujours fait preuve de promptitude à secouer le joug de l'oppression au nom de toute l'Algérie et ce, depuis près d'un siècle? Si la Kabylie est hissée par l'histoire au rang d'une avant garde démocratique, ce n'est certainement pas par quelque excellence innée mais parce que des conditions objectives l'y ont contrainte. La Kabylie est une chance pour l'Algérie.

Mokrane Gacem

Plus d'articles de : Mémoire

Commentaires (11) | Réagir ?

avatar
departement education

merci

avatar
algerie

merci

visualisation: 2 / 11