Santé, sécurité au travail en Algérie, quel bilan et quels enjeux ?

Le coût et les causes des accidents en Algérie restent peu étudiés.
Le coût et les causes des accidents en Algérie restent peu étudiés.

En matière d’hygiène, de santé et de sécurité du travail et de prévention, le moins qu’on l’on puisse dire est que la situation est alarmante, voir catastrophique, vu l’état d’abandon dans lequel les pouvoirs publics ont laissé le champ de la prévention en milieu professionnel.

En Algérie, les politiques préconisées à ce sujet, par charlatanisme ou par négligence, sont très limitées, très superficielles et évidemment inadéquates, expliquant ainsi le déphasage total existant entre la réalité et les textes de lois et règlements. Même avec la création d’une panoplie d’organismes sous tutelle du ministère du travail, tels que l’Institut National de la Prévention des Risque Professionnels (INPRP), la direction de prévention des risques professionnelle, la CNAS et l’OPREBATPH., censés d’être des intervenants de premier ordre pour prendre leurs responsabilités respectives face à l’enjeu de la santé et sécurité au travail (SST); il en résulte finalement un fardeau excessif d’organismes pour l’État que d’activités, d’actions ou d’initiatives en SST qui visent strictement, du moins, à minimiser les dégâts en santé et sécurité au travail.

En effet, en Algérie, le coût, les secteurs les plus touchés et les causes des accidents et des maladies reliées au travail ainsi que l’identification et la reconnaissance des lésions professionnelles restent encore du domaine de l’inconnu. On peut légitimement se demander si cet état de fait justifie les coûts colossaux destinés au "fonctionnement" de ces organismes inappropriés. Le constat est affligeant : la rigueur, l’organisation et autres compétences ont laissé place à l’approximation, l’anarchie et à la médiocrité.

Dans ce contexte et comme partout ailleurs dans le monde, la santé au travail est reconnue comme enjeu de santé publique et la question qui se pose d’emblée pour l’Algérie d’aujourd’hui est de savoir comment on s’en occupe vu la situation confuse qui est loin d’être reluisante ? La réponse est simple: on s’en occupe, mais sérieusement, par la législation et les interventions gouvernementales, et plus clairement :

Tout part d’un principe qu’un travailleur a le droit à des conditions de travail sécuritaires ne risquant pas d’entraîner de conséquences négatives pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Si on s’appuie sur la définition mathématique du risque, soit la probabilité qu’un événement survienne, on émettra l’idée d’un risque acceptable puisqu’un risque existe toujours. En milieu de travail, comme partout ailleurs, on verra à faire diminuer ce risque le plus possible.

De son côté, l’employeur doit avoir l’obligation légale d’assurer la sécurité de ses travailleurs. Ces règles du jeu doivent être enchâssées par une législation dont voici les principaux éléments et leurs objectifs :

1. Loi sur la santé et la sécurité du travail (SST)

Cette loi doit viser l’élimination à la source des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs. Elle doit, en outre, établir des mécanismes de participation des travailleurs et des employeurs par le biais du paritarisme. Par exemple, prévoir un comité de santé et de sécurité paritaire avec son mandat et ses modes de fonctionnement bien définis ou encore, le droit de refus de travailler et le retrait préventif. Malheureusement, en Algérie, cette vision de la loi est loin d’être acquise. La loi sur la SST (Loi n° 88-07 du 26 Janvier 1988) est conçue anarchiquement, sans fondement suffisant et en déphasage totale avec la réalité de l’Algérie d’aujourd’hui et de toute activité économique. En bref, elle a tout autre objectif que de préserver la santé et la sécurité ou prévenir les risques à celles-ci. En effet, cette loi (n° 88-07 du 26 Janvier 1988, de 47 article!) ne tient pas compte et sérieusement des devoirs et des droits des employeurs, des employés et des intervenants direct et indirect en matière de la santé, sécurité et de la prévention. Pourtant, il est rentable de s’occuper de la santé et de sécurité au travail. De point de vue strictement humain, il est beaucoup plus motivant de travailler dans un lieu ou’ on se préoccupe de notre santé que l’inverse. Un lieu de travail mal propre et délabré n’a rien de rassurant et de motivant. C‘est un manque de respect fondamental envers la première ressource de toute l’industrie ou de tout établissement c’est-à-dire les travailleurs. Des travailleurs motivés par le respect qu’on leur accorde en se préoccupant sérieusement de la SST, travaillent dans une ambiance sécuritaire susceptible d’augmenter la productivité.

2. Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Cette loi doit mettre de l’avant la protection effective du revenu du travailleur accidenté ou souffrant d’une maladie professionnelle ainsi que son retour à une vie normale et autonome. Selon des échos, c’est dans l’opacité totale que la CNAS gère ce dossier.

3. Règlement sur la santé et la sécurité du travail

Ce règlement est très important car il servira de guide pour la majorité des agresseurs en milieu de travail. Ainsi, on y trouve des valeurs à ne pas dépasser pour le bruit, les substances chimiques présentes dans l’air et les contraintes thermiques. Il est également question de la ventilation, de l’éclairage, des normes sanitaires, l’aménagement des lieux, l’entreposage et la manutention des substances dangereuses, le travail en espace clos, les radiations dangereuses, les mesures ergonomiques, etc.

Une banque des normes et un répertoire toxicologique doivent être conçus pour les rendre disponibles et accessibles à tous, portant sur les concentrations des substances liquides, gazeuses et particulaires permises ainsi que les niveaux de bruit permis en fonction du temps d’exposition. Il est également prépondérant d’introduire et de généraliser l’utilisation du Système Général Harmonisé qui définit bien les moyens d’information à la quelle ont droit les travailleurs relativement aux produits qu’ils utilisent, manipulent ou côtoient sur les lieux de travail. Cette banque de normes et ce système d’information doivent être gérés, vulgarisés et tenus à jour par un organisme à vocation scientifique, comme il devrait l’être d’ailleurs l’Institut National de la Prévention des Risque Professionnels (INPRP). 

Effectivement, L’INPRP devrait contribuer, par la recherche, à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ainsi que d’assurer la diffusion des connaissances et jouer un rôle de référence scientifique et d’expertise en santé, sécurité et prévention.

Sans exagération aucune et dans les faits, c’est-à-dire, selon les bilans des activités de cet institut et depuis sa création en 2000 à aujourd’hui, il ressort clairement que l’INPRP n’a aucune mission, ni vision et moins encore de principes d’action ou d’échéance. Pratiquement, il n’y a pas d’activités en santé et sécurité au travail, ni de projets de recherche, encore moins de démarche scientifique ou de priorités de recherche. En somme, on ne sait pas qui fait quoi et pourquoi ? Cet échec découle de la négligence ainsi que de l’incompétence qui dépasse tout entendement et comme toujours, c’est le peuple qui paie à coup sûr en définitivement la note salée.

Les interventions gouvernementales :

En plus de l’ensemble des intervenants de la santé publique qui doivent avoir un rôle important en SST et les organismes directement affiliés, il nécessaire de doter la SST d’une institution autonome pour assurer l’administration des lois et règlements ainsi que pour jouer le rôle d’assureur public en matière de santé et de sécurité au travail. 

Assurément et comme nous le constatons, la santé et sécurité au travail est très mal encadrée par la législation et il est nécessaire d’instaurer une organisation qui va avoir comme responsabilité d’assurer l’administration des lois et règlements énoncés ci-haut. En outre, toute démarche administrative exige des processus de contrôle et d’évaluation pour valider l’efficacité des moyens de contrôle. On doit entre autres s’assurer de l’utilisation de ces moyens ou sinon identifier pourquoi ils ne le sont pas, d’où l’importance de disposer d’inspecteurs multidisciplinaires, dont les pouvoirs doivent être très importants pour accomplir cette tâche de contrôle et d’investigation.

Sans pour autant négliger le volet lié aux modes d’intervention des inspecteurs qui doit se pratiquer selon une démarche uniforme et il ne doit pas être régi par une logique politicienne ou comptable. Il ne doit pas être non plus traité comme des questions purement techniques.

C’est un domaine complexe qui nécessite la mise en œuvre de compétences de haut-niveau dans différents domaines (scientifique, ergonomique, pédagogique, institutionnel, éthique..). C’est un travail d’expert que chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître comme de plus en plus exigeant.

Enfin, pour terminer ce bref aperçu d’une discipline multidisciplinaire qui est la santé au travail, il est essentiel de rappeler que les connaissances évoluent, les technologies évoluent et si on désire survivre dans un monde en constante évolution, nous devons à tous les niveaux devenir des spécialistes de l’amélioration continue.

Kamel Bourenane

(M. Sc. – Université de Montréal)

Spécialiste en évaluation des risques professionnels et environnementaux- Canada

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Hichem Mahmoud

La santé "C’est un domaine complexe qui nécessite la mise en œuvre de compétences de haut-niveau dans différents domaines (scientifique, ergonomique, pédagogique, institutionnel, éthique..). "Parfois des collaborations avec des tiers est très compliquée faute d'infrastructure, communication et dans la majorité des cas manque de professionnalisme !

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Turquie Santé & Esthétique

Il faudrait qu'on collabore tous pour améliorer cette situation !