La liberté, le temps d’un sandwich Par Mohamed Benchicou

La liberté, le temps d’un sandwich Par Mohamed Benchicou

À un brillant esprit qui s'étonnait de voir mon nom parmi les signataires de la pétition pour la liberté de conscience, me blâmant pour ce courage "mal placé", j'ai dû avouer ma désespérante inculture dans l'art boursier d'accommoder la témérité aux humeurs de l'âge. Je redoute, plus que tout, ce temps de la raison qui s'installe en même temps que les cheveux blancs et dont on dit qu'il succède, invariablement, au temps de la folie. Dans un monde où les femmes sont faites pour être aimées, les printemps pour être vécus et les libertés pour être défendues, comment exister dans le reniement de nos années vagabondes, de nos fulgurantes folies qui, elles seules, nous prémuniraient de la tentation du confort de la servitude dite provisoire ? Il n'y a rien de plus détestable, en temps de révolte, que les moralisateurs acariâtres qui s'estiment tenus de donner leur avis et les cartomanciennes pas dupes qui prétendent avoir tout compris des "dessous de l’affaire". J'ai reconnu, du reste, devant mon confesseur, n'avoir ni sa perspicacité ni son "courage", celui-là qui le faisait supporter, à cette minute-là, le lourd paradoxe de s'interroger sur les raisons de se battre sous un régime mafieux. Je n'ai pas cette prétention de pouvoir défoncer des portes ouvertes, exercice complexe qui exige du temps et de la salive. Par les temps qui courent, je me suffis d'une flamme de colère qui nous console de tant d'apathies, d'un refus d'abdiquer sa personnalité, sa liberté de conscience, aux calculs cyniques d'une camorra qui gouverne pour le pire et qui entend asservir la liberté de chacun à ses calculs politiques. Aucun gouvernant, encore moins s'il est illégitime, n'a le pouvoir de dicter au cœur ce qu'il doit aimer et à l'esprit ce à quoi il doit croire. C'est la grande leçon de liberté que viennent de nous prodiguer les non-jeuneurs de Tizi-Ouzou. Cela aurait pu être des jeuneurs aussi. Oui, cette pétition, je l'aurais signée s'il s'était agi de jeûneurs qu'on aurait empêché de jeûner ou de croyants dont on aurait contrarié la pratique religieuse. C’est de liberté qu’il s’agit, pas de bravade.

Cela dit, et à tout prendre, je préfère l'infantilisme qui consiste à accompagner des jeunes Algériens dans un combat pour la dignité à la mâturité suspecte qui se résume à les ignorer ou, pire, à les condamner, comme vient de le faire, avec une agressivité superflue, notre ami Samir Bouakouir, ancien cadre dirigeant du FFS, dont on attendait meilleure contribution que ce chapelet de jugements hâtifs qui le relègue au rang de prêtre fouettard. Car enfin, cette jeunesse placée à égale distance du désespoir qui la jette à la mer et du découragement qui la jette dans la servitude, est-elle condamnée à compter seulement sur nos apitoiements ou nos réprimandes, jamais sur notre solidarité ou, mieux, sur notre humilité ? On la voudrait éternelle coupable quoi qu'elle fasse, coupable de désespérance quand elle se noie en mer, coupable de dérapages quand elle prend des initiatives pour vivre dignement dans son pays. M. Bouakouir, qui fait partie des défenseurs incontestables de la liberté, a le devoir de la pédagogie et de l'écoute, pas celui du persiflage et des jugements péremptoires. En qualifiant la manifestation d'"opération stupide de quelques écervelés", il emprunte le jargon dérisoire des vaincus de l'Histoire qui n'avaient vu dans le Printemps berbère de 1980 qu'une "agitation séparatiste", dans le 1er Novembre qu'un "ridicule soulèvement de gueux" et dans le 5 octobre qu'un "inoffensif chahut de gamins".

Curieusement, M. Bouakouir fait un usage remarqué d’un terme clé de la propagande répressive : "provocation". En l’occurrence, la provocation ici renvoie ici à "rompre le jeûne publiquement", ce qui équivaut, dans l’esprit de l’auteur du communiqué à une "défiance envers un sentiment religieux largement partagé dans notre société", ce qui l’autorise à conclure que "les initiateurs de ces appels poursuivent en réalité un tout autre but". Mais alors, que reste-t-il de la liberté de conscience si elle doit s’effacer devant un sentiment religieux même largement partagé dans la société ? Vu sous cet angle, il n’y a pas que le jeun qui devrait s’imposer à tous, mais aussi le hidjab, le nikab, la barbe… Et j’en passe, puisque sortir sans hidjab, pour une femme, n’est rien d’autre qu’une "défiance envers un sentiment religieux largement partagé dans la société". C’est cela, la Kabylie "pacifiée" ?

L’accablement de la jeunesse est un procédé tentant. Tentant et scandaleux. Il est quand même incroyable de taxer un mouvement de masse qui s’inscrit dans le respect de la constitution de "mouvements provocateur" et de sous-entendre que le fait accompli, c’est-à-dire la non-observation de la constitution, doit bénéficier d’un silence tactique.

M. Bouakouir qui a souffert du comportement et du langage zaimiste, le reproduit avec brio, dans toute la splendeur de son arrogance, prenant le risque de s'isoler davantage. Or, il me semble que l'obligation de M. Bouakouir est de durer, pas de s'esseuler. La Kabylie a trop souffert de cette fièvre bonapartiste qui l'a transformée en conglomérat de petits empires ridicules et en constellation de grotesques divinités locales, qui passent ce qui leur reste de temps dans des philippiques haineuses qui se voudraient talentueuses mais qui n'en sont que pathétiques. Le communiqué de Samir Bouakouir exprime bien le fossé qui sépare - pour toujours ? - la jeunesse locale de ses élites maraboutisées. On y trouve cette lecture politique, j'allais dire "politicienne", inadaptée, démodée, jamais dépoussiérée, qui jure avec les aspirations profondes des jeunes, qui en est même devenue l'exact contraire et qui sert, aujourd’hui, de fertilisant à la neutralisation programmée de la Kabylie. La Kabylie justement, on y vient. Est-ce bien de la même dont parlent les manifestants et M. Bouakouir ? Ce dernier semble la voir avec les yeux du tacticien politique quand la jeunesse, elle, en parle comme d’un dernier territoire de la liberté. L’ancien cadre du FFS a peur qu’elle se singularise davantage, autrement dit qu’elle s’expose encore plus aux coups de boutoir. Il oublie, ce faisant, que la singularisation est le fait du pouvoir pas de la jeunesse, que le harcèlement des non-jeuneurs à commencé il y a trois ans à Ain-El-Hammam avant de se poursuivre dans d’autres villes de la Kabylie et que, pour tout cela, l’opération sandwich est une riposte pas « une provocation unilatérale ». La solution serait donc, pour ne pas se singulariser, de renoncer à sa personnalité, à ses croyances, à ses idées… Pourquoi pas à sa langue et à et à son identité, pendant qu’on y est puisque, ma foi, tout est venu de là ?

Des hommes comme Samir Bouakouir ont su résister à l'effondrement de leur espoir. Il leur reste à résister encore et encore, d'abord en refusant de toutes leurs forces de s'abandonner, comme tant de révolutionnaires, au désespoir, ensuite en refusant de désespérer de la force de révolte et de libération qui est à l'oeuvre en chacun de ces jeunes gens. Il nous faut apprendre d'eux cette capacité à exalter longuement ce qui est apparemment mort.

Au-delà de ces divergences de ce que doit être ou ne doit pas être la Kabylie, l’opération sandwich de Tizi Ouzou me paraît avoir révélé un malentendu plus grave : l’illusion de régler la question berbère dans le cadre de cet Etat corrompu et inique. Les précautions tactiques de Monsieur Bouakouir confluent toutes vers cette idée chimérique. Du moins, à ce qu’il me semble. Auquel cas, la fracture entre la jeunesse et ses élites serait bien plus grave qu’on ne le pense. Il n’y a plus rien à conserver des débris de l’ancien système. Si elle doit se régler dans un cadre institutionnel algérien, la question kabyle le sera avec un État démocratique.

Les États policiers n'ont jamais été autres choses que des machines à opprimer et à exploiter, ce qui est, convenons-en, leur métier. Quiconque leur confie, consciemment ou inconsciemment, la gestion de la liberté se prive du droit de s'étonner qu'elle soit immédiatement déshonorée. Oui, comme l'écrit Camus, la liberté se trouve veuve, mais il faut le dire parce que cela est vrai, elle est veuve de nous tous.

M.B.

Source : TSA

Plus d'articles de : Actualité

Commentaires (58) | Réagir ?

avatar
hocine zitouni

@Massinissa Opine

Mais tu racontes des bobards, mon cher ami, chaque algérien est unique. Il y a des islamistes, des athées, des croyants pacifiques en majorité et quelques intégristes littéralistes et salafistes. Vous avez la même proportion, environ, en Kabylie. Et réduire tous les algériens à une masse compacte et unanime et suspect. C'est simpliste et c'est la définition même du racisme, si tu l'ignores. On n'a pas le droit de proférer des propos racistes, c'est un délit, un crime même. Certains kabyles y vont sans retenue, insulter, dénigrer, cracher sur, délirer sur tout ce qui est de nationalité algérienne. Tu trouves cela normal toi? S'il y a des algériens racistes envers les kabyles en général, ils seraient des salauds, des criminels à juger s'il le faut mais personnellement j'en ai jamais rencontré!Y en a qui vous critiquent mais jamais ils ne vous insultent.

Il faut que tu comprennes que le régime algérien n'est pas l'Algérie. Il est illégitime et ne représente pas touts les algériens. Moi personnellement je suis athée mais je ne haï personne. J'en ai rien à foutre des kabyles et je n'accepte pas d'être insulté par quiconque. Je n'ai pas choisi d'être algérien mais je suis fier de l'être et je me sens un homme égal à tous les autres.

Etre kabyle n'est pas une qualité, vous savez, arrêtez de vous lamenter, d'être des mythomanes. Tous les algériens souffrent du régime, y a pas que vous. Je ne pense pas que les kabyles sont très différends des autres algériens.

avatar
elvez Elbaz

Zitouni, les kabyles souffrent plus que les autres de ce pouvoir maffieux et indû juste parceque ce peuple est le seul qui est conscient de son identité et de sa légitimité d'autochtone alors que ce pouvoir persiste dans le déni identitaire, depuis plus de 50ans. Les autres peuples d'algérie sont devenus des mutants du panarabisme de cet état illégitime. leur revendication est toute autre. Ces dreniers revendiquent du pain, des soins et un toit, les kabyles revendiquent leur langue, leur identité et leur espace environnemental et territorial, pour fabriquer leur propre pain, parler leur propre langue, pour construire leurs maisons, leurs hôpitaux, leurs ecoles....

Deux mondes diamétalement opposés en somme!

avatar
PointSiTout

La réponse des habitants de Tizi-Ouzou, ce 05 aout, a été claire et les vidéos sont là pour monter que ce n'est ni le DRS ni amar bouzouar. L'équation est simple dorénavant, vous pouvez faire de la politique mais abstenez vous de vous en prendre à l'islam, à ses cinq pilliers et au prophète de l'islam (QSSL), si d'autres actions provocatrices et s'attaquant à nos valeurs profondes, ont lieu, soyez sûrs que personne ne les empêchera mais les kabyles de nouveau sortiront à chaque fois pour vous répondre et vous remettre à votre place.

SVP, si vous pouviez juste cesser de parler au nom des kabyles et de la Kabylie, ca nous saoule sans alcool!....

visualisation: 2 / 33