Egypte : qui tire sur qui ?

A qui profite toutes les victimes de ces affrontements ?
A qui profite toutes les victimes de ces affrontements ?

Les affrontements, au demeurant prévisibles entre pro-Morsi et la police appuyée par les militaires et selon les témoins des « Baltaguia » ont rien que la matinée du 27 juillet fait plus de 40 morts selon le ministère de la santé égyptien, 200 à en croire les frères musulmans et 72 selon l’organisation Human Rights Watch (HRW).

Si on se base sur le plus petit dénominateur commun, on déduira avec regret que tout le monde est d’accord sur au moins 40 morts et plusieurs centaines de blessés en une seule matinée. Est-ce vraiment nécessaire dans un pays qui se vante d’être cité dans le coran et de jouir d’une haute culture. Le plus grave c’est que toutes les parties disent ne pas tirer à balles réelles et n’expliquent pas cette boucherie humaine. Le nouveau pouvoir par le biais de son ministre de l’intérieur, Mohamed Ibrahim a non seulement nié les faits mais aussi et à aucun moment exprimé ses condoléances aux familles de ces malheureux qui comptent parmi eux de nombreux jeunes de moins de 20 ans. Il semblait dans sa conférence de presse plus préoccupé par l’organisation de la cérémonie de la sortie d’une promotion de policiers que de regretter un tel acte qui touche pourtant tous les égyptiens qu’il est sensé administrer. Les initiatives internes, pourtant nombreuses ne semblent pas aboutir étant donné les préalables posés par les deux parties. La confrérie persiste de revendiquer le retour du président déchu et qu’elle qualifie de légitimité démocratique. Les frères musulmans cherchent certes une sortie honorable mais se trouvent piégés par leur propre démarche. Certainement, ils n’ont pas prévu tant de morts et donc face à cela un retour en arrière serait un suicide politique pour eux. En tout cas leur base chauffée par ces malheurs, n’en voudra pas. De l’autre côté le pouvoir, essentiellement militaire tente un dialogue mais en partant des événements du 30 juin. Ce sont deux points contenus dans des droites parallèles et qui ne peuvent se rencontrer qu’à l’infini. Pourtant les politologues égyptiens pensent que si aucune solution n’est trouvée d’ici la fin du Ramadhan, la guerre civile pourrait être inévitable. L’initiative du chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton s’est ce lundi limitée à l’écoute de tous bords mais bute comme toutes les autres aux mêmes obstacles liés aux fondamentaux du conflit ci-dessus évoqués. Mais le fait que la représentante européenne s’est rassurée des conditions de détention du président déchu, dissipera quelque peu l’embarras de certains pays vis- vis de ce coup d’Etat militaire qu’on tente de l’adoucir en le qualifiant de démocratique. Il faut préciser cependant que la France appui Ashton pour la libération de Morsi. Sinon, sur le plan économique, l’occident en général n’a pas été d’un grand secours pour l’Égypte. En effet, depuis plusieurs mois que le gouvernement Morsi négocie en vain un prêt avec le FMI d’un montant de 4 milliards de dollars, il a suffit qu’il soit écarté pour que deux pays du moyen orient en accorde effectivement le triple. Donc le côté économique est bien pris en charge par l’Arabie Saoudite. Ce n’est pas encore clair et les parties qui ont soutenu la feuille de route ne veulent pas montrer leur divergence tout haut, mais le bloc sacré contre les Frères musulmans s’effrite progressivement. Des personnalités liées à la coalition au pouvoir ont dénoncé les violences policières du week-end. Le parti salafiste Al-Nour, qui a soutenu la destitution de Morsi mais avait déjà pris ses distances avec l’armée, a évoqué un «carnage» et son président, Younes Makhyoun, a demandé des «poursuites contre les auteurs». Mohamed el-Baradei, vice-président et principale figure de l’opposition libérale sous Morsi, a condamné sur Twitter «un usage excessif de la force» et a appelé «toutes les parties» à «rejeter la violence et à arrêter le bain de sang». Pour timide qu’elle soit, cette position traduit un malaise de plus en plus palpable chez un homme qui a toujours mis en avant des principes démocratiques et s’est opposé avec virulence à l’ancien régime.

Malheureusement cette fois-ci il en fait partie. Bien qu’il a répondu favorablement à l’appel d’Al Sissi , le mouvement Tamarrod, à l’origine de la mobilisation anti-Morsi du 30 juin, a, lui aussi, pour la première fois exprimé des réserves sur l’évolution de la transition politique. «Nous soutenons les plans de l’Etat dans sa lutte contre le terrorisme, mais nous avons déjà souligné que cela ne justifiait pas les lois d’exceptions ou les mesures contraires à la liberté et aux droits de l’homme», a déclaré son leader, Mahmoud Badr, avant d’ajouter : «Nous n’accepterons jamais le retour de l’appareil de sécurité d’Etat de Moubarak.» Une vive réaction aux propos du nouveau ministre de l’Intérieur, Mohamed Ibrahim, qui, samedi, avait expliqué la flambée de violence par «la fermeture de certains services après le 25 janvier 2011 et une restructuration inadéquate de la police sous Morsi», et a annoncé la réintégration de certains officiers écartés après la chute de Moubarak. Ce discours ouvertement contre-révolutionnaire et la répétition des bavures sanglantes laisse craindre un retour de la brutalité et de l’arbitraire policier de l’ancien régime. «Nous ne sommes pas dupes, nous savons que certaines personnes de l’ère Moubarak cherchent à récupérer à leur profit notre révolution. Mais nous ne les laisserons pas faire», affirme un membre important de Tamarrod (1). Il faut signaler qu’en dépit de leur échec économique, la thèse des frères musulmans se confirme de jours en jours. Pour eux les manifestations qui ont précédé le coup d'Etat du 3 juillet n'ont été qu'une façade. Elles ont été organisées en sous main par l'armée et soutenues par les institutions de l'Etat profond restées en place : police, justice, services secrets, complexe militaro-industriel. En un mot, l'ancien régime s'est "vengé".

Entre temps, la connivence entre le mouvement Tamarrod et des magnats de l’ancien régime s’est précisée, Ainsi leur lancement publicitaire est assuré par le milliardaire copte Naguib Sawaris, le magnat de la téléphonie mobile, présent dans le monde entier dont l’Algérie. Il leur a offert le réseau pour leur siége à travers toute l’Egypte. Tamarrod reste donc redevable au parti des Egyptiens Libres dont le penchant «Business» est bien connu des Egyptiens. Leur siège au Caire est mis à leur disposition par un magistrat très connu pour ces manipulations de «reformes». Il s’agit d’un certain Hicham Bastawissi. Le gauchiste Mamdouh Hamza, leader d’un groupe de construction de bâtiments finance quant à lui l’impression de millions de pétitions qui circulent. Mahmoud Badr, patron d’un journal et lui aussi très connu dans la propagande. Les Algériens l’ont vu mettre de l’huile dans le feu du côté du fils de Moubarak lors du match Egypte -Algérie puis devenir contre les Moubarak après la révolution du 25 janvier 2011. C’est un opportuniste notoire qui les représente dans presque toutes les chaînes hostiles aux frères musulmans et pratiquement en permanence. Ensuite de hauts fonctionnaires auraient appuyé la démarche du complot de l’armée. Ainsi, le club des juges que dirige Ahmed Al-Zind, avait déjà une dent contre Morsi, saisit l’occasion, étant membre du système judiciaire de déterrer de vieux dossier comme ils le savent le faire pour impliquer et interpeller la totalité de l’état-major des frères musulmans. Le juge Zind a été en première ligne de la fronde contre la présidence Morsi. "Je ne pouvais rester silencieux face aux attaques continues du président contre l'appareil judiciaire. C'était un devoir national, juridique et moral", assène-t-il sous les regards approbateurs de ses confrères. N’est-il pas l’occasion propice pour vider son venin. La confrontation s'est ouverte, dès l'entrée en fonction du président islamiste, quand celui-ci a rétabli par décret la Chambre basse du Parlement, dissoute par la Cour constitutionnelle. De nombreuses attaques se sont ensuite succédé, entraînant des grèves à répétition dans les tribunaux, et le point de non-retour a été franchi avec la déclaration constitutionnelle du 22 novembre par laquelle le président s'est accordé des pouvoirs étendus et a offert l'immunité à l'Assemblée constituante, menacée de dissolution par la Cour constitutionnelle. Les protestations basées à Rabaa al-Adawiya perturbe le pouvoir en place et entrave la mise en œuvre effective de sa feuille de route. Privés de leurs télévisions, fermées par les autorités, et dénigrés par la majorité des médias privés, les pro-Morsi se rappellent chaque jour au bon souvenir des Egyptiens, coincés dans les embouteillages monstres que provoquent leurs manifestations et effarés par le bilan sans cesse croissant des "martyrs" qui chauffe de plus en plus la masse. Maintenant, la confrérie, forte de l’argument que les morts se comptent par dizaines dans son camp et pas dans l’autre, elle tente de créer des fissures dans le corps de l’armée et de la police. Ainsi, des messages sont entrain de circuler dans les casernes pour rappeler que la réglementation internationale a changé et que celui qui tire avec des balles réelle sur la foule et tue devra assumer seul et ne peut se couvrir par celui qui donne des ordres. En plus, certains groupes ont refusé de répondre à l’appel d’Al Sissi considérant que le général n’a pas besoin d’un mandat populaire pour s’attaquer au terrorisme, donc ses intentions sont suspectes et troublantes. Il s’agit notamment de cas du Mouvement du 6 avril ou des socialistes- révolutionnaires qui, dès jeudi, ont affirmé dans un communiqué tristement visionnaire qu’ils «ne voulaient pas signer un chèque en blanc pour commettre des massacres». 

Au côté de groupes salafistes révolutionnaires et d’islamistes modérés proches de l’ex-candidat à la présidentielle Aboul Foutouh, ces formations de gauche entendent incarner une troisième voie, en refusant l’alternative Frères musulmans ou armée. Cette troisième voie prend de plus en plus d’ampleur mais pour le moment elle reste embryonnaire. Il faut dire que la révolution égyptienne du 25 janvier 2011 précédée par celle de la Tunisie ont à elles seules donné beaucoup d’espoir à tous les pays du printemps arabes. Leur erreur est qu’ils ont cru à un passage d’une dictature de plusieurs décennies à une démocratie à l’occidental en quelques mois. Il fallait tenir compte de la spécificité de chaque nation car la démocratie ne se décrète pas. Ce sont donc là des ingrédients suffisants qui caractérisent la profondeur et la complexité de la crise égyptienne et amincissent l’espoir d’un retour au calme dans les prochains jours. Il est vrai que de l’issue de ce qui se passe en Egypte dépendra l’avenir de nombreux pays dans la même situation y compris les monarchies du golf mais de là l’analyser comme une troisième phase de la révolution et l’inclure dans un long processus de démocratisation serait aller vite en besogne. Le fait inédit qu’il y ait trente millions d’Egyptiens dans la rue ne veut pas dire nécessairement une forte aspiration de démocratie. Il se trouve que dans ce type de pays, la rue reste le seul moyen d’expression en absence d’autres artifices comme cela existe dans les démocraties occidentales. Faudra-t-il donner un peu plus de temps pour décrypter leur message... peut-être qu’il n’a rien à voir avec la démocratie !

Rabah Reghis, consultant et économiste pétrolier

(1) de nombreuses données ont été empruntées du reportage fait au Caire par Marwane Chahine de Libération.

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Khalida targui

les arabes c'est foutu pour eux la democratie, ils sont bezaf violents avec les enfants les nanas les mecs comment voulez vous qui ne se tirent pas dessus ? Les masriyines vont avoir come les djazairiyines leur bain de sang c'est dans le sang monsieur, on dit bien bassif, avec l'epée, pour forcer quelqu'un

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humbleavis

Beaucoup de clairvoyance dans cet article. Enfin un qui ne justifie pas la mort de citoyens seulement parcequ'ils sont ce qu'on appelle islamistes.