Les pays arabes otages de l'islamisme. 2. Syrie : Un pays mûr pour l'intégrisme

Les pays arabes otages de l'islamisme. 2. Syrie :  Un pays mûr pour l'intégrisme

Par : Ibrahim Hamidi (Al Hayat)
Lire : 1. L'Algérie, sa Grande mosquée, ses talibans….Par Mounir Boudjemaa (Liberté)

La vie sociale et culturelle syrienne est déjà pour une grande part aux mains des islamistes, explique Al-Hayat. Et combattre les groupes extrémistes pour amadouer l’Occident ne convainc personne.

Depuis quelques semaines, les autorités syriennes annoncent régulièrement le démantèlement de “cellules terroristes”. Ces cellules constituent-elles vraiment un danger pour ce régime qui s’est toujours présenté comme laïc, socialiste et panarabe, et qui avait mené une répression violente contre les islamistes au début des années 1980 ? En avril 2004, pour la première fois, le gouvernement syrien a annoncé avoir déjoué un attentat planifié par un “groupe subversif” contre les anciens bureaux des Nations unies à Damas. Quelques jours plus tard, la télévision syrienne a diffusé un entretien avec deux membres du groupe, qui ont expliqué qu’ils voulaient “défendre les musulmans contre l’injustice”. Trois des quatre membres du groupe auraient combattu en Irak après la chute de Saddam Hussein. Cet incident a donné l’alerte, puisque l’on craint que les “Arabes irakiens” [les Arabes qui ont fait la guerre en Irak] ne posent de gros problèmes de sécurité dès qu’ils rentreront dans leurs pays d’origine, à l’instar des “Arabes afghans” après leur expérience de la guerre sainte contre les Soviétiques.

Toutefois, certains gouvernements occidentaux sont sceptiques et, selon le porte-parole de l’administration américaine, toute cette opération a été “cousue main” afin de signifier au reste du monde que Damas était “engagé dans la lutte contre le terrorisme” et non “exportateur de terrorisme”. Ces doutes travaillent les journalistes et les diplomates chaque fois que l’on annonce des affrontements armés entre des “groupes extrémistes” et les forces de sécurité syriennes. En effet, les autorités syriennes se contentent généralement de publier, via l’agence de presse officielle SANA, des communiqués succincts accompagnés de photos de stocks d’armes, de ceintures d’explosifs et de bombes, réduisant les journalistes à répéter la version officielle tant il est difficile, voire impossible, de vérifier la crédibilité des informations. Enfin, ces opérations ont semblé tomber à point nommé, c’est-à-dire à des moments d’intensification des pressions étrangères sur le régime.

Au milieu de l’année 2005, après une intervention des forces de sécurité dans un quartier de Damas, les autorités parlent pour la première fois d’une “cellule terroriste” du groupe “Jund Al-Cham Lil Djihad” [Soldats du Levant pour la guerre sainte]. Un peu plus tard, au mois de juin dernier, des aveux de personnes présentées comme membres de la “cellule” sont publiés dans le journal officiel Al-Thawra et à la télévision, donnant lieu pour la première fois à la publication de textes de cette organisation. Selon les informations distillées par les autorités syriennes, cette cellule voulait s’en prendre par la force et par la propagande aux régimes de la région afin d’instaurer un “émirat islamique” ou un “califat” sur l’ensemble de la Syrie, de la Jordanie, du Liban, de l’Irak et de la Palestine.

La dernière intervention policière, dans la province d’Edlib, a fait huit morts, dont trois qui se sont fait sauter avec leurs ceintures d’explosifs. Selon les observateurs, Damas a voulu envoyer un signe positif aux Américains et aux Britanniques, leur faisant comprendre qu’il démantelait les réseaux de soutien à la rébellion irakienne, et ce à un moment où il était exposé aux pressions internationales concernant l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri au Liban.

Selon les chiffres communiqués par le ministre des Affaires étrangères syrien aux ambassades étrangères en automne 2005, les services de sécurité syriens ont arrêté plus de 8 000 extrémistes qui avaient tenté de s’infiltrer en Irak, dont près de 4 000 Syriens, 2 500 Irakiens et 1 600 ressortissants d’autres pays arabes, qui ont tous été extradés vers leur pays d’origine. Les autorités ont également pris des mesures restreignant sévèrement l’entrée en Syrie de ressortissants des pays arabes âgés de 18 à 30 ans, considérés comme des terroristes potentiels.

Le boom de la littérature islamique

Une simple observation suffit pour se rendre compte que l’identité islamique gagne du terrain en Syrie. Ainsi, le port du voile a augmenté et les librairies ont réduit leur offre de littérature non religieuse au profit de la littérature islamique. Même la grande librairie située face au centre culturel russe, dans le centre de Damas, s’est reconvertie dans la vente de livres religieux alors que cette même rue était autrefois réputée pour ses librairies de tendance marxiste. On s’habitue aussi à la vue de ces jeunes portant la barbe et la djellaba courte [coupée à hauteur de la cheville, selon “l’exemple du Prophète”]. De même, la plupart des restaurants installés sur les rives de la Barada dans la banlieue de Damas, ont cessé de servir de l’alcool et aménagé des espaces “famille” [une manière d’empêcher la mixité des sexes en dehors des couples mariés].

Dans le village Djebel Al-Zaouia Al-Oua’ra, qui avait été le théâtre d’affrontements armés avec les Frères musulmans dans les années 1980, nous rencontrons Mohamed Nouri. Dans sa jeunesse, il avait des convictions socialistes, aimait défier les traditions et transgresser les coutumes vestimentaires. Il avait étudié à Moscou du temps de l’URSS, où il avait envisagé de se marier avec une Soviétique, à l’instar de milliers d’autres Syriens qui avaient fait leurs études dans l’ancien bloc de l’Est. En rentrant dans son village, il voulait y répandre la bonne parole laïque et rêvait de construire un centre culturel ou un dispensaire. Mais, au bout de vingt ans, les contraintes sociales et la force des traditions l’ont emporté. Mohamed est désormais attaché au rigorisme religieux. Il proclame que “l’islam est la solution” ; ses quatre enfants – dont deux filles, qui portent le voile depuis l’âge de 10 ans – étudient à la mosquée. Ahmed, son ami d’enfance, a quant à lui passé dix ans en Arabie Saoudite, d’où il est revenu imprégné d’un islam salafiste, et de coutumes saoudiennes.

Le choix entre 8 000 mosquées ou alors 4 théâtres

Le parcours de ces deux amis est emblématique de l’évolution d’une génération. Pour comprendre l’échec des efforts qu’avait déployés l’Etat syrien afin de développer une société laïque moderne, il faut remonter au début des années 1980. Après la répression contre les Frères musulmans, le régime devait se prémunir contre le risque d’être accusé par la majorité [sunnite] de la population d’être hostile à l’islam. Il avait alors adopté une politique d’encouragement d’un islam “modéré et apolitique”. Ainsi, il avait lancé la construction de mosquées, dont le nombre atteint aujourd’hui environ les 8 000 à travers le pays [pour 18 millions d’habitants], créé des “écoles Assad pour l’apprentissage du Coran”, actuellement au nombre de 120, et fondé des instituts supérieurs de sciences religieuses, au nombre de 22.

Par ailleurs, parmi les 584 associations du pays, 290 sont des associations de bienfaisance de tendance islamique. Un jeune Syrien a donc le choix entre deux choses : les 8 000 mosquées, qui dispensent environ 416 000 cours par semaine et sont fréquentées chaque vendredi par des millions de fidèles, ou les 70 centres culturels et les 4 théâtres publics qui ont présenté 27 pièces en 2003 et sont fréquentés, au mieux, par quelques milliers de personnes par an. La plupart choisissent la mosquée afin d’échapper au monolithique discours officiel baasiste, aux frustrations engendrées par la corruption, et aux soucis matériels du quotidien.

Car, selon les chiffres des Nations unies, la Syrie compte près de 5,3 millions de pauvres, c’est-à-dire environ 30 % de la population, dont 2 millions qui n’arrivent pas à satisfaire leurs besoins essentiels.

Avec tout cela, il n’est pas certain qu’un jeune Syrien moyen considère que ce qui s’est passé le 11 septembre 2001 a été un acte terroriste. Il y verra probablement plutôt la preuve que “l’islam est la solution”, puisqu’une petite organisation a été capable, “grâce à l’islam”, de tenir tête à la superpuissance américaine, alors que les régimes arabes se sont tous révélés incapables d’obtenir les victoires qu’ils avaient promises à longueur de discours.

Ibrahim Hamidi

Al Hayat

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Commentaires (1) | Réagir ?

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popeye_dz wali

Algérie, Syrie, Maroc??le même scenarii semble se reproduire partout et avec une facilité déconcertante ! Il y?a forcement un meneur de jeu, un quartier général pour bien huiler cette machine infernale avec une logistique plus que consistante : Arabie Saoudite