Egypte : l’armée conduit-elle le pays vers une impasse politique ?

Contre les Frères musulmans, l'armée égyptienne défend d'abord ses intérêts propres.
Contre les Frères musulmans, l'armée égyptienne défend d'abord ses intérêts propres.

A part la caution du roi Abdellah II de la Jordanie sans pour autant mettre la main dans la poche, la majorité des pays pourvoyeurs de fonds de l’Egypte, est très inquiète de l’escalade de violence et surtout de la déviation de l’armée de sa feuille de route.

En effet, elle n’est pas arrivée et ne fait rien pour le chapitre de la réconciliation nationale. Pour eux le gel des avoir de certains responsables de la confrérie, leur interpellation et leur emprisonnement n’est pas de nature à calmer les choses. Bien au contraire, on assiste voilà près de trois semaines à deux Egyptes, une en face de la mosquée Rabiya Al-Adawiya et une autre place Tahrir. Quand bien même la légitimité démocratique, comme les frères musulmans aiment l’appeler, reprenne sa place, comment Morsi pourra-t-il gérer un pays où plus de la moitié de la population est contre lui sans compter l’armée, la police, les milliardaires, les artistes et surtout la justice. D’un autre côté cet affrontement qui fait de plus en plus de victimes surtout dans les rangs des islamistes ne peut plus continuer et pourrait s’il perdure entraîner le pays vers une escalade à la syrienne. La réconciliation est vitale mais qui est en mesure aujourd’hui de réconcilier les deux parties ? La solution pourra-t-elle trouver une issue interne ou la communauté internationale devra-t-elle s’impliquer ? Plus on tergiverse, plus le problème s`aggrave. Ces hommes et ces femmes tués ne vont certainement pas faciliter les choses. 

L’armée égyptienne défiée par les islamistes est rentrée dans un imbroglio interminable. Pourtant, elle devra assumer une grande partie de ce gâchis. Elle a fait un coup d’Etat tactiquement militaire le 11 février 2011 pour écarter Hosni Moubarak et pris le pouvoir à travers le Conseil supérieur des forces armées (CSFA). Il faut souligner que depuis son élection en juin 2012, Morsi a atteint le sommet de sa popularité lorsqu’il a écarté le maréchal Tantaoui. Alors on peut se poser des questions sur le grand amour aujourd’hui entre l’armée et la place Tahrir. L’armée égyptienne porte en effet une responsabilité écrasante dans la crise actuelle en Egypte. Elle a littéralement saboté la transition post-Moubarak en refusant de laisser la légitimité électorale porter ses fruits. Le Parlement élu en janvier 2012 n’a ainsi jamais pu désigner un gouvernement assis sur le suffrage populaire. Ce sont les militaires qui, dans l’espoir de faire élire un des leurs, Ahmed Chafik, le dernier Premier ministre de Moubarak, ont dramatisé la présidentielle de juin 2012, dont Morsi est finalement sorti vainqueur. L’armée égyptienne comme celle de tous les pays Arabes a d’abord des intérêts économiques à défendre puis viendront ceux de la nation. D’ailleurs et à en croire la conversation rapportée par le quotidien égyptien El Watan entre Al- Sissi et Morsi la veille de son limogeage ; le général lui annonçait avoir rassemblé suffisamment de preuve pour l’inculper de comploter contre la sécurité de l’Etat et donc montre que ce coup «d’Etat» a été planifié depuis longtemps. 

Il est troublant que la justice sorte le dossier de l’évasion de la prison de Morsi en 2011 alors qu’il a fait l’objet d’une enquête d’habilitation pour sa candidature au poste suprême de président de l’Egypte en 2012. On a voulu montrer que le mouvement du 30 juin est conduit par des jeunes activistes qui ont réussi par la force de leur nombre qui dépassait les 20 millions de forcer la main à l’armée d’abandonner l’idée d’un referendum pour le maintien ou non de Morsi et d’appliquer la légitimité du peuple. Pour étayer la volonté du changement on a fait circuler sur les réseaux sociaux une vidéo de ce jeune Ali Ahmed qui à l’âge de 12 ans pouvait portait un jugement de valeur sur la gestion des islamistes et maîtrisait une parfaite vision de la démocratie à l’occidental. Ainsi, ces jeunes diffèrent des autres pays qui ont connu le printemps arabe et qu’ils avaient l’âge où l’on refait le monde et ils ont réussi à faire basculer un régime en espace de quatre jours. 

Comment, se pose-t-on des questions, un parti de plus de 85 ans d’âge se laisse faire par des jeunes amateurs politiques dont l’âge moyen ne dépasse pas la trentaine ? D’abord une enquête a montré que les jeunes journalistes fondateurs du mouvement «Tamarrod» militaient dans les rangs de «Kefaya», le précurseur du mouvement révolutionnaire de janvier 2011.Ces jeunes sont d’inspiration nationaliste et rejettent l’intervention étrangère à commencer par celle des Etats-Unis. Ils étaient les premiers à dénoncer la corruption et les passes droits de Hosni Moubarak et de ses fils. Plus paradoxal, ils seront présents dans la lutte contre le conseil supérieur des forces armées, l’organe sensé diriger la transition d’après Moubarak. L’armée les a accusés de rentrer dans le jeu des frères musulmans. Elle les a malmené dans leur célèbre manifestation du 18 décembre 2012 où l’on voyait l’image immortalisée de cette jeune fille qu’on traînait à terre par les vêtements et dévoilant son soutien gorge alors qu’on tabassait ses collègues qui venaient à son secours. La majorité des manifestants présents le 30 juin 2013 ont voté Morsi par défaut pour barrer la route au candidat de l’armée Ahmed Chafik. Mais leur déception ne tarda pas de venir lorsqu’ils constatent que le président élu n’arrivait pas à s’affranchir de la confrérie des frères musulmans. Le décret présidentiel de décembre 2012, au travers duquel Morsi s’octroie des pouvoirs beaucoup plus que ceux qu’avait son prédécesseur déchu, était la coûte qui a fait déborder le vase. Ces jeunes ont organisaient alors une manifestation face à la cours du palais présidentiel mais les services d’ordre ont fait l’erreur de faire couler le sang et c’est désormais l’escalade. Le même scénario est en voie de se répéter aujourd’hui avec l’armée dans la tuerie de la garde républicaine et celle de Mansoura, dans le delta du Nil, lors d'affrontements entre factions rivales, alors que des dizaines de milliers de partisans du président islamiste déchu Mohamed Morsi s'étaient rassemblés dans tout le pays pour réclamer son retour. Mais cette fois-ci, ce sont les frères musulmans qui en sont les victimes. 

Il faut dire que ces jeunes ce sont inspirés de la fameuse pétition lancée en 1919 en faveur du révolutionnaire Saad Zaghloul pour contraindre les britanniques à négocier avec lui du sort de l’Égypte. Ils initient une pareille pour la destitution de Mohamed Morsi. Ils ont pu recueillir plus de 22 millions de signatures pour le forcer à démissionner mais en vain. Tout cela est excitant pour des jeunes dont l’ambition est de changer le monde mais encore faut-il avoir des moyens de leur politique ? Ainsi leur lancement publicitaire est assuré par le milliardaire copte Naguib Sawaris, le magnat de la téléphonie mobile, présent dans le monde entier dont l’Algérie. Il leur a offert le réseau pour leur siége à travers toute l’Egypte. Tamarrod reste donc redevable au parti des Egyptiens Libres dont le penchant «Business» est bien connu des Egyptiens. Leur siège au Caire est mis à leur disposition par un magistrat très connu pour ces manipulations de «reformes». Il s’agit d’un certain Hicham Bastawissi. Le gauchiste Mamdouh Hamza, leader d’un groupe de construction de bâtiments finance quant à lui l’impression de millions de pétitions qui circulent. Mahmoud Badr, patron d’un journal et lui aussi très connu dans la propagande. 

Les Algériens l’ont vu mettre de l’huile dans le feu du côté du fils de Moubarak lors du match Egypte -Algérie puis devenir contre les Moubarak après la révolution du 25 janvier 2011. C’est un opportuniste notoire qui intervient en leur faveur dans presque toutes les chaînes hostiles aux frères musulmans et pratiquement en permanence. La chaîne Al Hayat a diffusé la troisième semaine de juin une interview du candidat malheureux Ahmed Chafik et il avait presque en filigrane annoncé la chute de son ex adversaire Morsi comme si l’armée l’avait informé de ce qui se passera début juillet. Connaissant les connivences de toutes ces personnalités avec l’ancien régime et leur ferme nostalgie pour son retour, la manipulation des jeunes de Tamarrod est fort probable. Il faut dire que de nombreux signes de manipulation ont apparu à la veille de la grande manifestation du 30 juin. On peut citer entre autre, les coupures d’électricité, qui étaient dans certains endroits permanentes avant les manifestations pour chauffer à blanc la population, ont disparu le jour même de la destitution du président Egyptien. Il faut préciser que l’Egypte d’après Morsi est économiquement au bord de la faillite et sans l’aide étrangère, ce pays ne tiendra pas un mois. Il n’a pas une rente comme l’Algérie ou certains pays du Golf pour entretenir une guerre d’usure telle que voulue par les frères musulmans qui campent à Nasr City, devenue une ville dans une autre. L’approche occidentale et notamment américaine de «wait and see» pendant que l’escalade sanguinaire est à son comble risquent de les faire regretter de ne pas tuer cette protestation dans l’œuf. Plus il y aura de massacre, plus la situation se complique et tend vers le scénario syrien dans sa forme. L’armée qui dirige indirectement un gouvernement de transition est en face de trois forces pratiquement traditionnelles si on considère l’amateurisme des apprentis sorciers révolutionnaires de Tamarrod. 

La caste de l’ancien régime est formée entre autres de riches barons du négoce et les islamistes dont une partie est versée dans le business. Depuis plus de 80 ans, ces deux forces historiques tirent l’Egypte vers le bas et il leur est impossible de trouver un compromis. Il faut préciser que la nébuleuse des frères musulmans égyptiens est un holding panislamiste qui a ses tentacules dans le monde entier et notamment celui musulman. Il s’agit d’un creuset qui contient des modérés, des durs, des opportunistes et même des anarchistes difficilement contrôlables. Elle est actuellement décapitée de son état major pour la plus part arrêtés ou recherchés. Une telle situation pourrait favoriser le dessus de l’aile dure et l’entraîner ainsi dans un cycle de violence ce qui est dommage pour un pays frère qui ne doute certainement pas du prix à payer par l’ensemble de la société. Les bénéficiaires seront bien entendu ceux qui tirent profit de leur amertume et ne sont autres que ces milliardaires avides de tout contrôler.

Rabah Reghis, consultant et économiste pétrolier

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Massinissa Umerri

Mr. Reghis, "top-secret" -

les egyptiens sont a la recherche d'une RECONCILIATION INTERNATIONALE !

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klouzazna klouzazna

AU CONTRAIRE... ce pays est sauvé de l'emprise d'une SECTE APOCALYPTIQUE !!!

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