Un wali qui veut casser la baraque !

Constructions illicites, constructions inachevées, la plaie de l'urbanisme en Algérie.
Constructions illicites, constructions inachevées, la plaie de l'urbanisme en Algérie.

Sous la plume de D. Loukil, on a pu lire, dans un quotidien national, ceci : « devant la persistance des constructions illicites, le wali d’Oran fait planer la menace de suspension à l’encontre des P/APC, qui ne procéderont pas à la démolition desdites constructions, qui prolifèrent dans leurs communes ».

En soit, cette information est étonnante et méritée d’être commentée, parce qu’elle tranche avec l’absence de réaction, quasi-unanime, des chefs d’exécutif des wilayas et des élus, devant ce phénomène des constructions illicites qui s’est installé, durablement, dans notre environnement et qui procure à ses tenants, un logement, sans coup férir, au détriment de ceux qui sont dans le besoin. Le wali d’Oran excédé et, apparemment, très remonté contre la passivité des élus, a décidé "de prendre le taureau par les cornes" et en la matière, il a de quoi faire : 10 000 habitations illicites recensées dans toute la wilaya, dont 5000 à Es-Sénia et 3000 à Oran. Si l'éradication des bidonvilles apparaît comme une gageure, c'est en raison non seulement de leur ampleur, du silence des P/APC, mais aussi de la complexité des causes de leur implantation. 

Essayons tout de même, d'en démêler l'écheveau, en les classant déjà par catégories et pour faciliter la tâche du wali, de trouver des points d’appui juridiques ou politiques, à même de mener à leur éradication :

I. Classification :

Parmi ces constructions illicites, on trouve : 

1- ceux hérités de la colonisation. 

2- ceux, implantés dans les années 1970. 

3- ceux érigés dans les années 1980. 

4- ceux édifiés lors de la décennie noire des années 1990/2000. 

5- ceux enfin, dits "de fraiche date". 

• S’agissant tout d'abord de la première catégorie, qui peut affirmer, au risque de faire injure et de porter le discrédit sur tous les responsables qui se sont succédés à la tète des collectivités locales, que ce type d'habitat, rappelons-le, constitué, par exemple, des centres de regroupement de triste mémoire, subsiste encore en 2013 et que ses habitants n'ont pas été logés par tous les walis et les P/APC qui se sont succédés depuis 1962 et qui disposaient du pouvoir d'attribution de logement ? La réponse est dans la question.

• Pour identifier les bidonvilles de la deuxième catégorie, il n’y a qu’à se rappeler de "la révolution agraire» et «des 1000 villages socialistes», qui ont été les deux mamelles d'une politique mise en place à cette époque, par souci d'équilibre régional, pour juguler l'exode rural de ces années là, relever la production agricole, améliorer la productivité et mettre fin au déséquilibre régional, au chômage et au dénuement qui prévalaient dans les territoires de l'Algérie profonde. L'exode rural, faut-il le rappeler, était expliqué alors, par les disparités de revenus entre les campagnes et les villes et par l'espoir des ruraux de trouver un emploi ailleurs que dans leur lieu d’origine.

• La troisième catégorie, celle des années 1980, s'est illustrée par le slogan «pour une vie meilleure» qui a mis à terre, sans jeu de mot, toute la politique agraire des années précédentes. Des populations entières ont pris, volontairement, le chemin de la ville, pour s'installer dans sa périphérie et goûter aux délices «du programme anti-pénurie», le P.A.P. On continue, à ce jour, à recaser dans les nouvelles cités, les habitants de ces bidonvilles «résiduels», nonobstant, souvenez-vous, les opérations «coup-de-poing» qui ont consisté à raccompagner ces bidonvillois dans leur wilaya d'origine, à travers une noria de camions réquisitionnés pour l'événement. 

• La quatrième catégorie, celle des années 1990/2000 est de loin la plus fournie, car constituée de familles ayant déserté leur région pour des raisons sécuritaires, liées à la décennie noire. Avec la paix retrouvée et les bienfaits de «La politique de la concorde civile », ces familles n'ont-elles pas reçu toutes les assurances politiques, sociales et économiques pour retrouver leur foyer, leur terre, leur outil de travail et retourner dans leurs régions, maintenant, sécurisées ? L'Etat n'a pas lésiné d'ailleurs sur les moyens : En termes de relèvement de tous les indicateurs socio-économiques des régions concernées. D'aides et de prêts multiformes, parfois en concours définitifs, qui ont été alloués pour permettre à toutes ces populations de retrouver leur mode de vie, leur confort et vivre de leur labeur. Beaucoup de ces personnes ont préféré rester, comme on le verra plus loin ; certaines d'entre- elles ont pris le chemin du retour, en laissant toutefois leurs enfants profiter de «l'usufruit» du bidonville et prétendre, ainsi, à leur tour, à un logement, en recourant parfois à des méthodes anarchiques, pour se faire entendre.

• La cinquième catégorie enfin, dite de fraîche date, formulation empruntée au wali d'Oran «irrité par la prolifération de l'auto-construction sauvage et des bidonvilles de fraîche date qui ont suscité son étonnement et sa colère, tant dans leur existence que dans la facilité de leur branchement, en énergie électrique et hydraulique». Ce type de bidonvilles comme celui par exemple, de Oued Aissi à Tizi Ouzou qui regroupe des populations issues des wilayas de Djelfa, M'sila et Souk-Ahras, qui s'adonnent, en grand nombre, à la mendicité et à la traite d'enfants dans les grandes villes, ou encore, le bidonville du Gué de Constantine, qui recèle des zones de non-droit. Pour résumer, si l'on tient compte de ce qui a été affirmé supra, la clef des bidonvilles, sans jeu de mot, est toute trouvée si l'on admet leur classification telle que proposée et qui repose quand même sur des fondements juridiques et politiques avérés. A moins d'admettre, plus de 50 années plus tard, que les politiques passées et présentées en leur temps, comme révolutionnaires et avant-gardistes, n'ont pas rempli leurs objectifs ; la solution d’éradication des constructions illicites est prête à l’emploi, pour peu que, comme le Wali d’Oran, les responsables des collectivités locales assument courageusement leurs responsabilités et la mettent en œuvre.

II. points d’appui juridiques et politiques qui peuvent servir d’encrage pour traiter les bidonvilles :

1- Les bidonvilles de la première catégorie «n'existent plus», si tout le monde est d'accord, sur ce qui a été affirmé précédemment. 

2- Ceux relevant des années 1970 ont été traité dans le cadre d'une politique en rapport à ces années là et toutes les mesures complémentaires prises dans le cadre de La Politique Nationale du Développement du Renouveau Agricole (PNDRA) ont été des solutions adaptées pour endiguer les mouvements migratoires, mieux en tous les cas, que les tentatives, vaines, d'intégrer toutes ces populations dans une politique de relogement, fut-elle massive. 

3- Ceux des années 1980 se sont caractérisées par la politique du retour forcé des populations rurales concernées, telle que décidée par le gouvernement de l'époque de feu le président CHADLI et les sites qu’ils occupés sont sensés avoir été rasés. 

4- Ceux découlant de la décennie noire ont connu des solutions politiques, économiques, sociales et financières adaptées, avec l'encouragement, la protection et la bénédiction des pouvoirs publics. Si l'on estime qu'il transparait encore des catégories deux, trois et quatre, telles que sériées, quelques «bidonvilles résiduels», qu'ils soient pris en charge une fois pour toutes, à travers les programmes à venir et qu'on en finisse avec ce type d'habitat indigne d'un pays comme l'Algérie. En tous les cas et le sentiment est partagé, les migrations des zones rurales vers les villes ne cesseront pas, tant que le mouvement d'urbanisation agit comme une pompe aspirante. Et paradoxalement, l'urbanisation est provoquée essentiellement par l'afflux des ruraux que les pouvoirs publics n'ont de cesse de reloger.

5- Pour les bidonvilles enfin, dits de «fraîche date», le wali d'Oran semble avoir trouvé la réponse idoine consistant «au déclenchement d'une opération non-stop de démolition des bidonvilles tentaculaires, avec comme premières cibles Mers-El-Kebir Ain-El-Turck, El Hassi et coca cola» (Quotidien d'Oran du 10 janvier 2013). Pour brutale qu'elle puisse apparaître, cette mesure si elle venait à être généralisée dans les 48 wilayas est un mal nécessaire pour éradiquer, une fois pour toutes, ce type d'habitat précaire, dit de «fraîche date». 

Et le wali ou l’élu qui n’est pas apte à assumer une telle responsabilité, doit céder la place. A défaut :

• On verra réapparaitre, spontanément, des bidonvilles dans les sites mêmes où se sont déroulées des opérations de recasement des populations combien d'indus bénéficiaires, se prétendant sinistrés ont été retiré in-extremis des listes, car ayant précédemment bénéficié de logement social (614 recensés comme tels à El Bayadh dernièrement) ? Certains bidonvilles, comme ceux érigés à Oued-Aissi (Tizi Ouzou) continuerons à être les bases arrières de la mendicité et de la traite des enfants et d’autres maux sociaux plus graves. Des bidonvilles tels que celui du Gué de Constantine continueront à être des zones de non-droit (en ce lieu, une jeune fille aurait été retenue de force et heureusement libérée sous la pression de citoyens courageux). Des individus peu scrupuleux, continueront à ériger des gourbis en milieu urbain, à Guelma ou ailleurs, pour bénéficier de logements qu'ils s'empresseront de revendre au nez et à la barbe des autorités locales. Nous n'avons pas fini pour autant avec les constructions illicites car, outre l'embarras qu'elles suscitent pour les collectivités locales en matière de résidence, de fichier électoral, d'inscriptions scolaires et les maux sociaux qu'elles induisent, elles impactent négativement sur : 

1- Le marché informel dont elles fournissent la main d'œuvre et les marchandises prohibées, sans compter le préjudice occasionné au trésor public, estimé à plus de 400 milliards de dinars. 

2- La contrefaçon dont elles sont un chaînon important. 

3- Les attaques préjudiciables aux réseaux électriques et hydriques. 

4- Le marché de l'emploi, dès lors que les postes de gardiens, agents de sécurité et chauffeurs sont pris d'assaut par leurs habitants des bidonvilles, ce qui permet à un grand nombre d'entre -eux de s'adonner le jour, à d'autres activités non déclarées et préjudiciables à l’économie nationale. 

5- Les niches de violence et de trafic de drogue. 

Tout cela est peut être connu mais, nul ne saurait rester indifférent devant une autre situation aussi lourde de menace, si l'on n'y prenne garde et qui transparaît à travers les deux exemples frappants suivants :

Les citoyens de la ville d'Annaba, excédés par une énième opération de relogement de d’habitants des constructions illicites ont fait part de leur mécontentement, s'estimant aussi prioritaires, car mal-logés. Dans la wilaya de Bejaia (El Kseur) où des habitants s'en sont pris à des programmes (Cnopos) allant jusqu'à saccager les appartements neufs, au motif que ceux-ci devaient leur revenir. 

Ces deux exemples, même s'ils sont, peut-être, l'expression de simples épiphénomènes, n'en sont pas moins édifiants et inquiétants, car révélateurs d'une situation poussée à son paroxysme, sous le regard passif des élus locaux. Le logement social est un problème qui risque de faire éclater la cohésion sociale et réduire à néant les progrès accomplis en matière d'habitat par notre pays, qui reste quand même un des rares, voire le seul pays au monde à le donner, gracieusement, et fermer les yeux sur la spéculation qui en découle : 

1- ce logement est rétrocédé, sans problème, nonobstant son incessibilité théorique.

2- Il est mis, abusivement, sur le marché locatif.

3- Il est inoccupé, aux trois quart du temps. 

S'agissant de la rétrocession du logement, il faut dire qu'elle est facilitée par la permissivité de quelques notaires qui délivrent «des reconnaissances de dette bidons, ou encore «des déclarations sur l'honneur» de gardiennage, pour masquer la transaction et lui conférer ainsi, quelque légalité.

Le wali d’Oran, Boudiaf Abdelmalek, a pointé un doigt accusateur en direction des élus «qui laissent faire», par peur ou par calcul politicien. Maintenant qu’ils ont été tancés par ce même wali, vont-ils se décider à prendre leurs responsabilités ou vont-ils courir le risque d’une suspension telle que promise ?

En tous les cas le wali d’Oran, montrant la voie à ses pairs, est prêt à en découdre et en finir avec leur inertie. Il est décidé de casser la baraque, au sens propre comme au sens figuré. Pour autant doit-on l’encourager dans son entreprise ? Certainement, puisqu’il s’inscrit en droite ligne du dernier discours de juin 2013 du premier ministre, qui a dit aux walis : «prenez des initiatives et je vous couvre, dès lors que vous défendez l’intérêt national ; pour peu que vous faites les choses dans la transparence, vous n’avez rien à craindre»

De ce qui précède, Boudiaf Abdelmalek est-il dans la bonne voie ? Oui assurément ! Encourageons-le alors, mais pas au point de crier : Ben…Boudiaf Président, car comparaison n’est pas raison et puis, il y a une syllabe de trop dans son patronyme. En revanche, Boudiaf à l’Habitat et Tebboune à l’Intérieur, c’est peut-être le ticket gagnant de demain. Le premier nommé, qui a pris de l’avance sur ses pairs est, sans conteste, ministrable ; il a gagné en estime grâce à son entreprise courageuse consistant à mettre les élus face à leurs responsabilités et aussi pour sa parfaite connaissance de la nébuleuse des constructions illicites qu’il peut réduire, s’il était amené à conduire la politique du secteur, placé déjà sur de bonnes bases par le ministre en poste. 

Le second, excellent communicateur, s’est illustré par le redressement d’un secteur plus que moribond ; il se distingue, également, par son franc-parler et ses décisions courageuses (LSP : maintien du bénéfice du logement aux veuves, relance du programme AADL et prise en compte dans le cadre de ce même programme, de la première fiche de paie versée dans le dossier. Ces décisions ont fait beaucoup de bien aux souscripteurs). Il est crédité d’une bonne connaissance du monde des collectivités locales, puisqu’il a eu à diriger le secteur par le passé. Il sera, peut-être, le ministre qui lancera la réforme de la fiscalité et des finances locales, si souvent annoncée mais combien de fois remisée dans les tiroirs, faute, peut-être, d’un manque de volonté ou, disons-le, de capacités. 

Il apparait, enfin, comme celui qui peut recadrer les responsables locaux et remettre en ordre de marche, toutes ces commissions locales d’attribution de logement, dont les décisions, souvent sujettes à caution, donnent lieu à des troubles, à chaque affichage de listes des bénéficiaires de logement. Et l’opportunité des changements semble s’y prêter, aujourd’hui plus que jamais, puisqu’on est à la veille de la mise à la disposition des commissions locales, d’un portefeuille de quelques 177 000 unités de logements convoités autant par les citoyens nécessiteux que par les mafieux qui seront ravis de l’aubaine.

Concluons notre propos avec la réaction de Farouk Ksentini, le président de la commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme et également conseiller du Président Bouteflika, qui a déclaré au quotidien Le courrier d’Algérie du lundi 8 juillet 2013 : «l’absence de transparence en matière d’attribution des logements, l’absence d’une réelle politique de distribution des logements, le non respect des critères d’éligibilité, le favoritisme, le clientélisme et enfin, l’absence de mécanismes efficaces de contrôle relatifs au droit au logement, sont autant de causes qui risquent d’exacerber davantage la crise de logement dans notre pays». 

Chérif Ali

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