Algérie en 2013 : rente, gouvernance mitigée et extension de la corruption

Il est indéniable qu'en tant que premier magistrat du pays, le président est responsable de la corruption qui règne dans les institutions.
Il est indéniable qu'en tant que premier magistrat du pays, le président est responsable de la corruption qui règne dans les institutions.

Il y a lieu d‘éviter à la fois de se verser d’illusion grâce à la rente des hydrocarbures car les expériences historiquement montrent clairement qu’aucun développement durable ne peut se réaliser au sein d’une société anémique et l’Algérie ne saurait échapper à cette règle universelle. Avec une chute de 50% des recettes d’hydrocarbures, l’Algérie risque de vivre le drame des années 1990.

Il s’agit également d’éviter le juridisme stérile, l’important pour mener une bonne politique étant d’analyser au préalable les facteurs de blocage du fonctionnement d’une société. Viennent ensuite la mise en place d’institutions adaptées tant au contexte local qu’international et des lois qui doivent se mouler au sein d'une vision stratégique. La corruption ne se combat pas par des lois mais par l’amélioration de la gouvernance (et un véritable Etat de droit) qui conditionne le devenir futur du pays.

1.- Institutions et gouvernance

La gouvernance désigne l’ensemble des mesures, des règles, des organes de décision, d’informations et de surveillance qui permettent d’assurer le bon fonctionnement et le contrôle de l’Etat, d’une institution ou d’une organisation qu’elle soit publique ou privé, régional, nationale ou internationale. Institutun, du latin Instituo (établir, instituer) désigne une structure d’organisation d’origine humaine et destinée à s’inscrire dans la durée dans le domaine juridique. Toute institution se présente comme un ensemble de taches, règles, conduites entre les personnes et pratiques sont dotées d’une finalité particulière. Nous trouvons les institutions locales et internationales, politiques, économiques, sociales et communautaires. Dans ce cadre existent des liens dialectiques dans la mesure où la gouvernance à pour but de fournir l’orientation stratégique au sein d’institutions crédibles. Dans cette logique, la notion d’institution est multiple recouvrant des règles formelles et informelles de comportement, des moyens de faire respecter les règles, des procédures de médiation en cas de litige. La gouvernance efficace au moyen d ‘une décentralisation réelle à ne pas confondre avec déconcentration, ce qui est le cas en Algérie se fondant sur un pouvoir jacobin centralisé dépassé, nécessite l’engagement de tous les participants à mettre en œuvre l’ensemble des éléments suivants: un personnel bien orienté, entraînant la meilleure communication ; une approch systématique ; une plus grande accentuation sur les valeurs collectives et le code d’éthique ; une gestion des risques et des relations régulières avec les citoyens et les tiers et une livraison de qualité optimale. Elle exige l’intégrité fondée sur l’honnêteté et l’objectivité, aussi bien que sur les normes de justesse et de probité quand il s’agit de l’intendance des fonds publics et que la gestion des affaires d’un organisme. L’intégrité est dépendante des normes personnelles et du professionnalisme des individus; elle est aussi reflétée dans les pratiques de la prise de décision, procédures, qualité et crédibilité. Enfin, elle exige la qualité de leadership qui est exigée du conseil décideur et /ou de l’administration exécutive de l’organisation. Dans le secteur public, cela nécessite une communication lucide et claire entamée avec le président de l’organisation et une détermination nette et précise des priorités du gouvernement. De plus, l’administration exécutive doit faire preuve d’une capacité collective à assurer une bonne administration et de communiquer les normes cohérentes de la gouvernance.

Or en Algérie, l’administration publique tant centrale que locale (bureaucratisation avec plus de 2 millions de fonctionnaires pour 37 millions d’habitants, sans compter les emplois rentes et les sureffectifs des entreprises publiques que l’on fait rentrer dans la rubrique économique) souffre de graves faiblesses qui entravent et pervertissent son action, favorisent les comportements douteux et suscitent chez les citoyens et les usagers un sentiment de frustration et parfois de rejet. Le bureau est nécessaire mais lorsqu’il est efficace et n’alourdit pas ce que les économistes appellent les couts de transaction en fonctionnant en tant que pouvoir bureaucratique, en vase clos, en donnant l’illusion de prendre des décisions au nom de la majorité. Ces faiblesses en Algérie tiennent, fondamentalement, à des défauts d'organisation et de méthode qui se traduisent par de lourdes déficiences dans la conception et la programmation des actions, la multiplication de procédures lourdes et redondantes, un manque de suivi sur le terrain, l'absence de mécanismes d'évaluation et de contrôle appropriés qui favorisent la prolifération de pratiques malsaines telles que le clientélisme, le népotisme, la corruption, les abus d'autorité en tous genres et le gaspillage de ressources publiques rares. Comme conséquence de ces dérives, le sentiment du service de l'Etat et du public est profondément altéré, favorisant chez de nombreux responsables et agents publics des comportements et des mentalités qui aboutissent, dans la gestion de la chose publique, à développer des logiques et des finalités propres qui placent les moyens publics au service d'intérêts particuliers.

2.- La corruption

La Banque mondiale retient les formes de corruption suivantes : les "dessous de table" : ce sont des versements à des responsables officiels afin qu’ils agissent plus vite, de façon plus souple et plus favorable, la fraude qui est la falsification de données, de factures, la collusion ; l’extorsion qui l’argent obtenu par la coercition ou la force, le favoritisme (collusion) qui est le fait de favoriser des proches. Et enfin le détournement de fonds qui est le vol de ressources publiques par des fonctionnaires. Nous aurons ainsi la grande corruption à haut niveau où les décideurs politiques créant et appliquant les lois utilisent leur position officielle pour promouvoir leur bien-être, leur statut ou leur pouvoir personnel et la petite corruption : c'est la corruption bureaucratique dans l’administration publique. Quant à l’Organisation des Nations unies, elle donne une définition très générale, reprise par la suite par l’ONG Transparency International : "la corruption est l’abus d’un pouvoir public à des fins privées". Une autre définition celle proposée par l’OCDE : "corruption signifie toute commission ou paiement offert par une entreprise à un agent et à toute personne occupant une position de pouvoir, afin d’influencer sa décision en faveur des intérêts de l’entreprise". Avec la mondialisation des échanges, le placement dans des paradis fiscaux et ce aidé souvent par des cabinets conseils spécialisées, il est très difficile d’évaluer les commissions et autres paiements suspects qui circulent dans un monde de comptes secrets, de comptabilités parallèles, de fonds cachés, de réseaux d’influence invisibles pour le plus grand nombre. Pour le cas Algérie, la gouvernance déficiente et la corruption sont des problèmes que vivent quotidiennement les Algériens. Leurs impacts sur la pauvreté et la croissance entrainent des conséquences particulièrement désastreuses. Au quotidien, les pauvres ne peuvent pas avoir accès à des centres de santé, à l’école ou à d’autres services essentiels parce que leurs administrations publiques ne cherchent pas à répondre à leurs besoins ou parce qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas payer de pots de vins. Dans la nouvelle économie la bonne gouvernance soulève des questions au sujet du rôle qui revient à l'État et pose, le problème de corruption qui est présent dans la majorité des pays en voie de développement. De profondes répercussions sont alors à envisager sur les institutions nationales dont le mandat est de s'inscrire dans la nouvelle économie mondiale. Gouvernance et corruption ne sont pas synonymes. La gouvernance s’entend de la manière dont les représentants et les institutions de l’État acquièrent et exercent le pouvoir de définir la politique publique et de fournir des biens et des services publics. La corruption est un aspect d’une mauvaise gouvernance, qui donne lieu à l’utilisation des biens publics à des fins privées. Il y a prévarication lorsqu’un représentant de l’État accepte, sollicite ou extorque un pot-de-vin et lorsque des agents privés donnent ou offrent des pots-de-vin pour circonvenir aux politiques et procédures de l’État pour se procurer un avantage comparatif et en tirer profit. La corruption peut aussi être le fait de parties du secteur privé mais avoir trait à des activités de l’État et avoir un impact sur ces dernières. C’est le cas, par exemple, lorsque des soumissionnaires forgent des ententes frauduleuses dans le cadre de marchés publics.

Les travaux de recherche et l’expérience montrent que la qualité de la gouvernance, notamment la maîtrise de la corruption, a un impact significatif sur la croissance. Si un certain nombre de pays et d’institutions d’économies en développement ont réellement pris les choses en main dans d’autres pays, le discours ne s’accompagne pas de réformes concrètes ni ne produit de résultat au plan de la gouvernance et de la corruption. Par ailleurs, les réformateurs n’ont souvent pas l’appui dont ils ont besoin pour formuler et exécuter de difficiles programmes de réforme de la gouvernance allant à l’encontre de puissants intérêts de rente établis, ces rentiers pour préserver leurs intérêts au détriment de la majorité, taxant les réformateurs d’antinationaux, voire des alliés de l’Occident. Une corruption incontrôlée peut détruire une économie en remettant en cause la légitimité des institutions de l’État, en aggravant les inégalités et en déchirant le tissu social. Les problèmes de gouvernance et de corruption sont des obstacles majeurs à la réduction de la pauvreté. Et le cas se pose pour l’Algérie qui vient d’être classée selon le sondage 2013 de Transparency International 105e place sur 107 pays recensés soit deux places avant les derniers. Pour pouvoir parvenir à la réduire, l’Algérie doit asseoir avant tout un Etat de droit, avoir des politiques judicieuses, un cadre réglementaire rationnel adapté aux marchés et au développement du secteur privé, et des services publics, assurer de manière raisonnablement efficace et rationnelle autant d’éléments qui sont largement tributaires du fonctionnement harmonieux de l’appareil étatique dont le judiciaire. Une mauvaise gouvernance et la corruption signifient souvent que les ressources qui devraient alimenter la croissance économique et offrir aux pauvres des opportunités d’échapper à la pauvreté sont en fait utilisées pour enrichir des élites corrompues. Quel plan de lutte contre la corruption ? Pour les projets à haut risque, le personnel devra préparer des plans de lutte contre la corruption qui reprennent les principaux aspects des mesures de prévention intégrées dans la conception du projet. Ces plans détaillés, qui seront propres à chaque projet, viendront compléter les mécanismes de contrôle fiduciaire normalement utilisés et couvriront généralement des domaines tels que la transparence de l’information et des processus, la participation des bénéficiaires du projet ou des organisations de la société civile, la réception et l’instruction des plaintes, les enquêtes sur les allégations d’irrégularités et la sanction des coupables. Ces plans seront établis en collaboration avec les autorités nationales, inclus dans la documentation du projet et rendus publics. Les activités de supervision devront porter, notamment, sur la mise en œuvre du plan d’action qui pourra relever de l’organisme, du sous-secteur ou du secteur concerné, suivant le niveau auquel il sera le plus efficace.

3.- Gouvernance démocratique, participation de la société civile et des médias

Finalement, une incertitude plane sur le futur économique de l'Algérie. La population veut des gouvernements plus responsabilisés et plus transparents. Ce pays semble être entre deux, du temps réel et de la nécessité de saisir les occasions avant que les fenêtres d’opportunités ne se referment et celle du développement durable, du temps démocratique et de l’histoire. Le véritable défi est de faire articuler ces deux temporalités. Arriver à les concilier sans sacrifier l’une sur l’autel de l’autre. Cependant, il ne faut céder ni à un sans voir dans les avancées technologiques la solution définitive des déséquilibres mondiaux, ni leur nier d'emblée tout impact potentiel sur le devenir humain, des moyens technologiques déjà disponibles. Les avancées technologiques ne réduisent en rien le problème aigu du temps et de l’espace. Bien au contraire elles risquent de devenir un nouvel instrument de discrimination et de marginalisation en défaveur du pays d'accueil. Et la seule solution durable est la moralité de ceux qui dirigent la Cité, liée à la démocratisation avec l’implication de la société civile. Même si l'Algérie connaît aujourd'hui une certaine stabilité politico-financière, due essentiellement à des facteurs externes (98% d’exportation représentées par les hydrocarbures), les problèmes de la gouvernance et de la consolidation de l'Etat de droit se posent avec acuité. Les dysfonctionnements structurels et systémiques internes de l'administration, résultant de la forte centralisation du pouvoir de décision et de la persistance de certaines formes d'autoritarisme ont compromis le rôle économique et social du pays. Des réformes économiques ont été entreprises en Algérie mais le problème de restructuration touche tous les pays en voie de développement Une nouvelle gouvernance est un moyen d’améliorer les prestations des services publics et facilite le bon fonctionnement des institutions et favorisant une meilleure interaction des institutions. Une meilleure interaction entre l’Etat, ses institutions et le public implique plusieurs actions stratégiques. Premièrement, une gouvernance démocratique qui garantit une meilleure représentation des citoyens dans les institutions de l’Etat et une large participation au débat démocratique. Deuxièmement, la gouvernance économique: cette dernière devant favoriser l’assainissement du cadre macroéconomique général du pays, des secteurs bancaires et financiers. Troisièmement, la gouvernance administrative: cette dernière devant rapprocher l’administration des citoyens, faciliter l’informatisation de l’état civil, du domaine foncier, du recensement des populations, de la collecte des impôts, etc. D’une manière générale, le facteur crucial des efforts de réforme de la gouvernance qui ont pour principal objectif d’établir des États capables, transparents et comptables de leur action à l’appui du développement, consiste à faire concorder les incitations des représentants de l’État avec ces objectifs, au moyen d’un ensemble bien dosé de règles, de contraintes et de récompenses ; de pressions concurrentielles, de consultation et de partenariat.

Les incitations des intervenants opérant en dehors de la sphère gouvernementale, notamment les entreprises et autres entités non gouvernementales, qui ont souvent un impact déterminant sur la gouvernance, doivent également être alignées sur ces objectifs. Il est donc souvent nécessaire de procéder à un diagnostic plus approfondi et de formuler une stratégie de réforme plus détaillée et de plus vaste portée en vue d’améliorer la gouvernance dans le pays, en vue de renforcer les capacités, la transparence et la responsabilisation des institutions de l’État, notamment dans les grands secteurs et à l’échelon local ; accroître la demande de meilleures prestations au plan de la gouvernance en renforçant la participation et la supervision de la société civile et des médias ; promouvoir un secteur privé concurrentiel et responsable, notamment en appuyant l’élargissement de la participation du secteur privé à tous les secteurs clés de l’économie et renforcer la responsabilisation des milieux politiques. Mais l’une des grandes priorités générales consiste à accroître la transparence des activités en facilitant l’élargissement de la participation des organisations civiques et des médias et l’intensification de leur supervision. Lorsque les citoyens et les médias ont un large accès à des informations sur les opérations des institutions publiques, ils peuvent contribuer de manière cruciale à tenir l’État comptable de ses actions. Cet accès peut impliquer la publication de données sur le budget et la passation des marchés, l’ouverture d’un accès aux dossiers et aux rapports de l’État, et la diffusion systématique par l’État d’informations sur ses opérations et ses accomplissements, notamment par le biais du portail e-gouvernement.

Une plus grande transparence peut également aider à établir la crédibilité des décideurs qui communiquent des informations sur leurs revenus et leurs biens. Une société civile dynamique, des communautés locales impliquées, et des citoyens indépendants sont autant d’éléments essentiels d’une bonne gouvernance : ils jouent un rôle unique en tenant les pouvoirs publics responsables de la fourniture de meilleurs services, de la création d’emplois et du relèvement des niveaux de vie. Si la transparence des activités gouvernementales peut contribuer à faciliter la participation et la supervision, il est également crucial de prendre des initiatives pour assurer une plus grande participation de la société civile de manière à créer des opportunités concrètes de participation et de supervision, par exemple par le biais de la formulation par un processus participatif des politiques et priorités de dépenses publiques), la responsabilisation sociale des responsables de la prestations des services, un développement piloté par les communautés, la supervision par la société civile et des médias de la passation des marchés publics, le suivi des déclarations de revenus et de patrimoine notamment des dirigeants et leurs proches, et autres modalités qui ont pour effet d’habiliter des groupes sociaux légitimes ; renforcer les capacités de manière rationnelle pour pouvoir tirer parti de ces opportunités et de permettre l’établissement de médias indépendants et compétitifs capables d’enquêter et de faire rapport sur la performance des pouvoirs publics, notamment dans le domaine de la corruption.

En résumé, face aux nouvelles mutations mondiales, l’Algérie doit mettre fin à cette corruption socialisée qui menace les fondements de l’Etat par des mesures démocratiques. Pour cela, mettre une nouvelle gouvernance des services publics et des institutions devient urgente, donc relevant de la sécurité nationale. Le phénomène de mondialisation accentue cette tâche et rend plus complexe le rôle traditionnel de l'Etat largement influencé par l’internationalisation de l’économie. Le futur président de la république algérien héritera d'une situation très difficile pour ne pas dire une mission impossible, tant le passif est lourd produit pas seulement de la période actuelle mais de choix incohérents depuis plusieurs décennies où après 50 années d’indépendance l’Algérie n'a pas toujours une véritable économie. Paradoxe, avec l'aisance financière entre 2000/2013, artificielle et les promesses non tenues d'une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales, les réformes structurelles nécessaires au profit des générations futures avec des ajustements sociaux douloureux ont été différées, les différents responsables étant mû uniquement par la dépense monétaire avec des impacts mitigés, car sans vision stratégique, pour calmer transitoirement le front social. Mais ne versons pas dans la sinistrose car l’Algérie recèle d'importantes potentialités pour peu qu'existe une volonté politique de changement et une gouvernance rénovée, processus de décision collectif n’imposant pas systématiquement une situation d’autorité. Cette stratégie ne peut donc émerger qu’en rétablissant la morale à tous les niveaux, ainsi que d’une coopération entre les institutions dans laquelle chacune exerce pleinement ses responsabilités et ses compétences. Il suffira que les futurs dirigeants algériens appliquent, au lieu de discours creux qui ne portent plus, les principes élaborées au XIVème siècle par le grand sociologue maghrébin, Ibn Khaldoun, qui a montré clairement que la décadence d’une nation commence par l’immoralité et donc de donner le primat à l'effort et au travail sur les valeurs spéculatives.

Professeur des Universités, Dr Abderrahmane Mebtoul, expert International en management stratégique

Courriel : [email protected]

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (8) | Réagir ?

avatar
adil ahmed

merci

avatar
adil ahmed

merci

visualisation: 2 / 8