Le gaz n’est pas le seul domaine où l’Algérie subit des contrecoups

L'exploitation du gaz de schiste se fera au détriment d’un choix stratégique. Celui de la mobilisation de l’eau du système aquifère du Sahara
L'exploitation du gaz de schiste se fera au détriment d’un choix stratégique. Celui de la mobilisation de l’eau du système aquifère du Sahara

Le secteur des hydrocarbures pourvoit actuellement à 97 % des revenus du pays. Ces ressources servent, malheureusement, à maintenir un statu quo dangereux et illusoire. La redistribution d’une partie de la rente pétrolière sous forme de salaires ou de transferts sociaux promeut le clientélisme et condamnent les valeurs de l’effort et du travail dans notre société.

La conjoncture économique mondiale est marquée par une crise qui perdure dont l’une des conséquences est de comprimer la demande énergétique, et pousse les différents Etats à chercher des réponses endogènes et/ou de court terme pour répondre à leurs besoins en énergie. Leurs choix sont multiples : nucléaire, renouvelables, retour au charbon, mobilisation des non conventionnels. Sans oublier que les pays les plus avancées travaillent à faire évoluer leurs réseaux de distribution d’énergie, à la maîtrise de leur consommation, à l’améliorer leur efficacité énergétique de l’intensité énergétique de leurs économies ; ils consentent un effort considérable pour développer de nouvelles sources énergétiques. Leurs regards se tournent de plus en plus vers les océans, le marémoteur, les hydrates de méthanes, les parcs d’éoliennes en offshore, etc.. Le domaine énergétique connaît des évolutions fulgurantes. Osons le mot : des révolutions.

De façon plus immédiate, l’Algérie est exposée à des contre-coups liés aux développements des non conventionnels Etats-uniens. La réduction des importations gazières US a précipité les prix à la baisse sur les marchés spot (marché libre). Cela fragilise un élément clef de notre politique gazière construite sur la conclusion de contrats à long terme où le prix du million de BTU (british termal unit) est indexé sur celui du baril de pétrole. D’où les difficultés pour l’Algérie à maintenir un niveau appréciable de livraisons de gaz et à consolider ses contrats à long terme. Il faut le dire ; nous allons vers l’échéance de nos contrats actuels et les conditions de leurs renégociations sont extrêmement difficiles. La qualité des pétroles de schiste – qui s’avèrent légers et pauvres en soufre - les fait entrer en concurrence directe avec le Sahara Blend. 

Les mutations qui marquent le secteur énergétique sont profondes. Elles sont autant liées à la stagnation de la demande énergétique, qu’aux mutations technologiques. Sans oublier la question climatique qui, quelque peu occultée à la "faveur" de la crise économique, va revenir au-devant des préoccupations avec la réunion prochaine du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et la publication de son 5ème rapport. La question ne s’arrête donc pas aux hypothétiques mesures que les producteurs, dont la cohésion est incertaine, pourraient arrêter. En tout état de cause, c’est l’absence d’une vision nationale de mobilisation de nos ressources énergétiques au service d’un véritable plan de développement qui est déterminante dans le cas algérien. Certains pays gaziers ont une meilleure capacité d’adaptation à cette difficile conjoncture. Les Russes ont relevé le niveau de leur offre gazière par la réalisation de nouveaux gazoducs desservant directement l’Europe. Les Qataris vont développer leur flotte de méthanier pour accroître leur offre GNL, notamment en direction de l’Asie du Sud-Est. Les marchés spot, qui écoulent des quantités en évolution constante, prétendent à devenir un élément structurant des marchés gaziers. L’année écoulée a connu des révisions à la baisse du prix du million de BTU fixé par les formules de calcul dans le cadre des contrats à long terme. Durant l’été 2012, EON a obtenu une telle démarche de son fournisseur russe, Gazprom. Ce dernier vient d’être condamné à rembourser 1,5 milliard d'euros de trop-perçu du à cette indexation à l'allemand RWE. L’information est rapportée par le journal russe Vedomosti.

Le piège de l’exploitation de gaz de schiste

L’Algérie ne peut pas jouer sur les volumes – y compris si elle fonce tête baissée dans le traquenard de l’exploitation du gaz de schiste. Le seul choix qui s’offre à elle est celui d’une politique d’urgence – de sauvegarde nationale – d’affectation de ses ressources énergétiques à un exceptionnel effort d’investissement productif. L’exploitation du gaz de schiste sollicitera deux ressources majeures, à savoir nos avoirs en devises, et nos ressources en eau fossilisées dans le système aquifère du Sahara :

1- Il faudra payer rubis sur angle les technologies et les équipements nécessaires – jusqu’à la silice - à un investissement au rendement incertain.

2- Nos ressources en eau. Cette option de gaz de schiste se fera au détriment d’un autre choix stratégique, qui est celui de la mobilisation de l’eau du système aquifère du Sahara septentrional (SASS). Semble-t-il que nous serions bien placés pour savoir que l’eau c’est la vie ? Cela ne se reflète pas dans les choix qui s’opèrent actuellement. L’eau du Sahara est une ressource stratégique. L’arbitrage effectué entre ces deux ressources est opaque et se révèlera à terme criminel et contraire aux intérêts de la nation. Surtout qu’il s’agit de mobiliser les gaz de schiste pour climatiser un habitat mal pensé et mal réalisé ou pour faire rouler des 4x4 qui sont autant de signes de fortunes qui échappent à l’impôt.

L’Algérie dispose d’un potentiel réel capable de lui permettre de relever les défis et de préparer l’avenir. Mais il est marginalisé et délaissé. La politique énergétique du pays est actuellement l’apanage de quelques éléments clefs de la bureaucratie en place. Les choix qu’ils imposent sont ceux qui servent les intérêts rentiers et prédateurs de la caste gouvernante. Malheureusement, les patriotes qui ont peu ou prou conscience de l’importance de ces questions sont sur la défensive ou peinent à trouver des cadres d’expression. Les enjeux sont immenses autant pour la Nation que pour les milieux de la prédation et de l’accaparement de la rente. Les choix qui seront opérés dans ce domaine vont pour une large déterminer le sort de l’Algérie. 

Mohand Bakir, journaliste et membre du Collectif national pour les libertés citoyennes (CNLC)

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