La révision constitutionnelle et la crise de confiance Etat/citoyens

L'immobilisme politico-économique imprimé par Bouteflika à tout l'Etat algérien coûte cher au pays.
L'immobilisme politico-économique imprimé par Bouteflika à tout l'Etat algérien coûte cher au pays.

Du fait de l’importance du texte, qui engage l’avenir du pays tout pouvoir crédible doit rester attaché à la volonté populaire.

L’objet de cette contribution est de poser la problématique de cette révision face à la crise de confiance entre l’Etat et le citoyen, tout en n’oubliant pas le manque de crédibilité des institutions qui isolerait encore plus l’Algérie de la scène internationale.

1.- Une Assemblée non représentative : rappel chiffré des résultats du 10 mai 2012

Pour les résultats officiels des élections législatives du 10 mai 2012, avalisés par le Conseil constitutionnel le 24 mai 2012, le nombre d’électeurs inscrits a été de 21.645.841. Le nombre de votants de 9.339.026, donnant une participation officielle de 43,14% avec un nombre de bulletins nuls de 1.704.047. Qu’en est-il par rapport à quatre ratios en référence aux nombre de votants pour chaque parti ? Le ratio nombre de sièges par rapport au total des 462 sièges ; le ratio suffrages recueillis sur nombre d’inscrits ; le ratio par rapport aux votants ; le ratio suffrages sur suffrages exprimés. Pour le FLN, le nombre de suffrages recueillis a été de 1.324.363 voix pour 208 sièges alors qu’en mai 2007 il avait obtenu 1 315. 686 voix pour 136 sièges. Le ratio suffrages recueillis sur le nombre d’inscrits a été de 6,11% ; le ratio par rapport aux votants de 14,18% ; le ratio suffrages sur suffrages exprimés de 17,34% et le ratio par rapport aux votants de 14,18%. Quant au RND, le nombre de suffrages recueillis a été de 524.057 voix pour un nombre de sièges de 68 et pour mai 2007, 591 310 voix pour 61 sièges. Pour le RND, pour mai 2012, le ratio par rapport au total sièges est de 14,71%, le ratio suffrages recueillis sur nombre d’inscrits de 2,42%, le ratio par rapport aux votants de 5,61%- et le ratio suffrages sur suffrages exprimés de 6,86%. Pour la liste de l'Alliance Algérie verte, le nombre de suffrages recueillis a été de 475.049 voix pour un nombre de sièges obtenus de 50. Alors qu’en mai 2007, le MSP seul a eu 552.104 voix pour 33 sièges. Pour cette alliance composée de trois partis islamistes, le ratio par rapport au total sièges est de 10,82% ; le ratio suffrages recueillis sur nombre d’inscrits de 2,19%, le ratio par rapport aux votants de 5,08% et le ratio suffrages sur suffrages exprimés 6,22%. Pour les autres partis limitrophes le Front des forces socialistes dont le nombre de suffrages recueillis a été 188.275 voix pour un nombre de sièges obtenus de 27. Le ratio par rapport total sièges est de 5,84%, le ratio suffrages recueillis sur nombre d’inscrits de 0,86%, le ratio par rapport aux votants de 2,01% et le ratio suffrages sur suffrages exprimés de 2,46%. Le Parti des travailleurs a eu 26 sièges, le nombre de suffrages recueillis a été de 283.585 voix. Par rapport aux sièges le ratio est de 5,62% ; le ratio suffrages recueillis sur nombre d’inscrits de 1,31%, le ratio par rapport aux votants de 3,03% et le ratio suffrages sur suffrages exprimés 3,71%. Si l’on calcule le nombre de voix d'abstention (12.307.800) plus bulletins nuls, (1.704.047), plus les partis n’ayant obtenu aucun siège (1.366.656), nous aurons un total de voix de 15.378.503 voix. Donc 71,04% de la population algérienne n'est pas représentée par rapport au fichier électoral officiel. Mais fait intéressant l’Office national des statistiques (ONS), le 22 mai 2012 le nombre d’Algériens en janvier 2012 est de 37,1 millions. Le nombre d’adultes en Algérie étant de 23 373 000, l’on déduit que les inscrits sur le fichier électoral annoncé par le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales qui sont de 21 645 841 donne 1 727 159 adultes Algériens non inscrits sur les listes électorales. Ainsi, le FLN qui a eu 6,11% de voix accaparant pour 21.645.841 inscrits ne représenterait plus que de 1.324.363 divisé par 23.373.000 soit 5,66% des inscrits potentiels, le RND 2,21% et l’alliance verte 2,03%, le FFS 0,79% e t le PT 1,21%,. Ainsi, ces personnes non inscrites, prenant l’hypothèse à vérifier d’une action consciente, ajouté au total abstention plus les bulletins nuls nous avons 17.105.6627 soit 79,02% qui n’ont fait aucun choix. Pour l’ensemble des partis, FLN, RND, Alliance verte, FFS, PT ayant eu au total 379 sièges, 82,03% mais par rapport aux données de l’ONS seulement 9,87% de voix par rapport aux inscrits potentiels.

2.- Les raisons de la démobilisation populaire : l’Algérien préoccupé de son devenir

L’important est de tirer les leçons, afin de débloquer la situation économique et sociale caractérisée par le statu quo et l’immobilisme, en fait la panne de la réforme globale, le gouvernement dépensant sans compter, distribuant des revenus sans contreparties productives, généralisant les subventions mal gérées et mal ciblées, pouvant conduire le pays à terme à une hyperinflation, faute de cohérence et de visibilité dans la démarche. Cela implique que l’on définisse d’une manière claire et datée le futur rôle de l’Etat dans le développement, durant cette période difficile de transition, concilier les impératifs d’efficacité et le devoir de l’équité à travers l’Etat régulateur. L’économie algérienne est fortement bureaucratisée avec la dominance des relations informelles, n’étant actuellement ni une économie étatisée, ni une véritable économie de marché étant dans l’interminable transition depuis plusieurs décennies expliquant les difficultés de la régulation tant politique, sociale qu’économique. La population algérienne face à une inflation importante est préoccupée par la détérioration de son pouvoir d’achat et que face au syndrome hollandais, les Algériens sont inquiets pour leur avenir, les pouvoirs publics donnant de fausses données sur le taux de chômage et d’inflation, qui discréditent encore plus certains ministres déconnectés de la réalité. L’Algérie actuellement est en plein syndrome hollandais. Le syndrome hollandais est apparu en 1970 et fait référence aux difficultés rencontrées par l’économie hollandaise suite à l’exploitation, dans les années soixante, des réserves de gaz naturel du gisement de Slochteren. L’augmentation des exportations produit un excédent commercial et importer des biens/services devient alors plus avantageux que de les produire localement ce qui peut produire une réduction de la production nationale et donc une plus forte dépendance aux importations, un accroissement du chômage et la généralisation de la corruption (gain facile et corruption). Cela peut concerner également d’autre ressources naturelles comme cela a été le cas de l’Espagne avec la découverte de l’or en Amérique Latine qui aussitôt épuisé a conduit l’Espagne à une récession de plus de deux siècles. Le budget de l’Etat est ainsi essentiellement alimenté par une fiscalité pétrolière comme l’économie algérienne. Cela explique que malgré le pré- programme 1999/2003 (7 milliards de dollars US), le programme 2004/2009, dont le montant selon la déclaration du Chef du gouvernement algérien de l’époque , en date du 12 novembre 2007, à 200 milliards de dollars US, et le nouveau programme 2010/2014 de 286 milliards de dollars dont 130 sont des restes à réaliser du programme 2004/2009 les résultats sont mitigés et à ce jour aucun bilan n’a été dressé par les pouvoirs publics se contentant à travers la télévision algérienne qui n’a aucun impact de relater les réalisations physiques à dominance d’infrastructures (70% de ces dépenses) sans se préoccuper des couts et des impacts réels. Devant le bilan mitigé des réformes établi d’ailleurs tant par les organismes officiels qu’internationaux, il s’avère qu’il y a urgence du redressement socio-économique de l’Algérie.

En effet, face à une population de plus de 37 millions d’habitants en janvier 2012, (allant vers les 50 millions dans quelques années) et une population active dépassant les millions en 2012, avec une demande additionnelle d’emplois annuelle de 350.000/400.000 par an qui s’ajoute au stock sous évalué avec des emplois temporaires fictifs improductifs, des emplois informels marchands dominants plus de 40% et des sureffectifs dans les entreprises publiques et administrations, la vocation de Sonatrach n’étant pas de créer des emplois, des réserves de change ( richesse virtuelle) qui dépassent en avril 2013 les 200 milliards de dollars US,(86% étant placées à l’étranger à un taux dérisoire tenant compte de l’inflation mondiale), un stock de la dette extérieure inférieur à 4 milliards de dollars US, et un stock de la dette intérieure intérieur à 1 milliard de dollars, nous assistons à une croissance du PIB mitigé non proportionnel aux dépenses monétaires (3% entre 21004/2013 alors qu’il aurait du être de 10/15%), montrant la mauvaise gestion, la corruption généralisée et la mauvaise allocation des ressources financières .Les taux de croissance, de chômage et d’inflation officiels sont des taux artificiels que voile la rente des hydrocarbures où nous assistons à une redistribution passive de revenus pour une paix sociale éphémère. Nous assistons donc à une nette détérioration du pouvoir d’achat de la majorité de la population où 70% vivent avec un revenu inférieur à 200 euros consacrant plus de 70% de ce modeste revenu aux produits de première nécessité qui connaissent une inflation galopante Cette situation de l’Algérie de 2013, avec une nette concentration du revenu au profit de couches rentières au détriment des producteurs de valeur ajoutée directement (la sphère économique) ou indirectement (l’Education, la Santé), malgré des transferts sociaux (10% du PIB) mal ciblés et mal gérés, trouve son essence dans le fait que les deux piliers du développement du XXIème siècle, face aux enjeux de la mondialisation, à savoir la bonne gouvernance (mauvaise gestion généralisée et corruption socialisée) et la valorisation du savoir sont subordonnées aux intérêts rentiers. Cela explique la démobilisation de la population algérienne face à ce paradoxe de l’aisance financière et d’une relative régression économique et sociale : un Etat riche mais une population de plus en plus pauvre. Les tensions sociales actuelles montrent clairement que continuer dans l’actuelle politique socio-économique conduit l’Algérie droit au mur, d’autant plus que l’épuisement des hydrocarbures traditionnels (pétrole et gaz conventionnel) est pour bientôt horizon 2025 au moment où la population tendra vers 50 millions d’habitants.

3- La révision constitutionnelle doit s’insérer dans le cadre de la refonte de l’Etat

Le verdit du Conseil constitutionnel du 24 mai 2012 concernant les élections législatives du 10 mai 2012 ne change donc pas les équilibres du parlement actuel largement non représentatif. Il y a urgence de revoir le mode de scrutin qui déforme la réalité sociale. Car, environ 80% de la population algérienne, n’ont fait aucun choix, ce qui ne peut qu’avoir des incidences politiques. Aussi, le constat malgré des dépenses colorables et un effort jamais déployé au niveau des appareils de l’Etat algérien depuis l’indépendance politique, nous avons assisté à une très forte démobilisation populaire, notamment de la jeunesse majoritaire, désabusée par tant de promesses non tenues. Quelles leçons tirer de cette démobilisation populaire ? La première leçon fondamentale est la prise en compte tant des mutations mondiales qu’internes à la société algérienne avec le poids de la jeunesse qui, parabolé, a une autre notion des valeurs de la société. Les dernies évènements du Sud ont bien montré que ces élus n’étaient pas représentatifs étant rejetés tant par la population locale que par la jeunesse algérienne. Cela se constate à travers la baisse progressive du poids des tribus, des confréries religieuses et de certaines organisations syndicales (dont l’UGTA), du fait de discours en déphasage par rapport aux nouvelles réalités mondiales et locales et dont le pouvoir du fait de l’ancienne culture en fait son unique relai. La deuxième leçon liée à la précédente, est l’urgence de revoir le fonctionnement du système partisan et de la société civile. En effet, la Constitution de 1989 et la loi du 5 juillet de la même année ayant consacré et codifié le droit des citoyens à créer des partis politiques, un nombre considérable de formations politiques ont vu le jour, souvent sans véritable programme, ni perspectives sérieuses, se manifestant ponctuellement principalement à l’occasion de rendez-vous électoraux du fait des subventions de l’Etat (instrumentalisation de l’administration). En réalité sui l’on tient compte des tendances au niveau de l’ancien parti unique des années 1980, c’est l’ancien parti du FLN éclaté en trois composantes. Il y a une forte ressemblance avec la démarché des partis de l’ancien président égyptien et tunisien qui ont volé en éclat après la printemps démocratique.

En raison des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappent la majorité d’entre eux, de la défiance nourrie à leur égard et à l’endroit du militantisme partisan, les formations politiques actuelles, même ceux siégeant dans la coalition gouvernementale, sont dans l’incapacité aujourd’hui de faire un travail de mobilisation et d’encadrement efficient, de contribuer significativement à la socialisation politique. Quant à la société civile, sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traversent et sa relation complexe à la société ajoutent à cette confusion, qui est en grande partie liée au contexte politique actuel, et rendent impératif une réflexion qui dépasse le simple cadre de cette contribution. Constituée dans la foulée des luttes politiques qui ont dominé les premières années de l’ouverture démocratique, elle reflètera les grandes fractures survenues dans le système politique algérien. Ainsi, la verra-t-on rapidement se scinder en trois sociétés civiles fondamentalement différentes et antagoniques, porteuses chacune d’un projet de société spécifique : une société civile ancrée franchement dans la mouvance islamiste, particulièrement active, formant un maillage dense ; une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et enfin, une société civile dite "nationaliste" appendice, notamment des partis du FLN et du RND, dont plus plusieurs responsables sont députés ou sénateurs au sein de ces partis. Sollicitée à maintes reprises, et à l’occasion d’échéances parfois cruciales, et souvent instrumentalisée à l’instar des micro-partis créés artificiellement, elle manifestera souvent sa présence d’une manière formelle et ostentatoire, impuissante presque toujours à agir sur le cours des choses et à formuler clairement les préoccupations et les aspirations de la société réelle. Or, une restructuration efficace n’a de chance de réussir que si les associations ne soient pas au service d’ambitions personnelles parfois douteuses. Face à cette situation tant des partis que des associations souvent appendices de l’Etat providence, déconnectés des réalités sociales, la problématique de la révision constitutionnelle doit s’attaquer à l’essentiel à savoir la refonte de l’Etat, c’est-à-dire à d’autres aspects que le juridisme qui ne doit pas être une fin en soi.

Les pratiques sociales contredisent les textes si louables soient-ils, devant prendre en considération le couple contradictoire, préservation de la rente/approfondissement des réformes à travers la stratégie divergente des différents acteurs politiques, économiques et sociaux tant internes qu’externes. Aussi, la révision constitutionnelle doit prendre en charge les mutations internes de la société dont la moralisation des institutions à travers cette corruption étalée en plein jour qui menace la sécurité nationale, la lutte efficace contre la corruption étant l’approfondissement démocratique par l’émergence d’une véritable opposition, des contrepouvoirs de la véritable société civile et des organismes techniques de contrôle indépendants tenant compte des engagements internationaux de l’Algérie. La révision constitutionnelle devrait renvoyer pour une efficacité réelle à la refondation de l’Etat algérien pour plus de libertés au sens large, à savoir le respect des libertés économiques, la décentralisation, la commune devant passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités entreprises responsables citoyennes, politiques (par une meilleure efficacité gouvernementale autour de grands ministères), syndicales, culturelles, des droits de l’homme, la protection de la femme et de l’enfance.

En conclusion, l’objectif stratégique de la révision constitutionnelle est de s’éloigner des calculs personnels et du juridisme et de s’attaquer au fonctionnement réel de la société algérienne pour dépasser la situation anomique actuelle qui ne peut que conduire le pays au suicide collectif. Elle doit consacrer l’irréversibilité vers la transition vers l’économie de marché à vocation sociale étant engagé par un Accord avec l’Union européenne dont le dégrèvement tarifaire zéro est prévu horizon 2020, et le gouvernement désirant adhérer à l’OMC, posant la problématique urgente de la transition d’une économie basée sur la rente à une économie hors hydrocarbures dans el cadre des valeurs internationales supposant un réaménagement profond des structures du pouvoir algérien. La révision doit limiter le nombre de mandat présidentiel par l’alternance au pouvoir, garantir les équilibres du pouvoir et l’indépendance de la justice et de tous les médias, une participation citoyenne active et non formelle, pour éviter le divorce Etat/citoyens. En fait, cela implique que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisance inauguré comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle, afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la soumission politique et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice. Afin d’éviter de perpétuer des comportements rentiers périmés, de mettre l’Algérie au diapason des nations modernes et de favoriser l’alternance au pouvoir, la voie référendaire combinée à une mutation systémique associant l’ensemble des forces économiques, sociales et politiques ,sans exclusive par un dialogue productif, me parait la seule voie salutaire d’autant plus que l’Algérie a toutes les potentialités pour surmonter la crise multidimensionnelle à laquelle elle est confrontée par le renforcement du dialogue des cultures - la symbiose des apports de l’Orient et de l’Occident, comme le montre clairement mon ami le professeur Mustapha Cherif qui vient d’être honoré au niveau international, au sein de l’espace euro-méditerranéen et euro-africain, espace naturel de l’Algérie.

Dr Abderrahmane Mebtoul, économiste et expert International

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (12) | Réagir ?

avatar
adil ahmed

merci

avatar
adil ahmed

merci

visualisation: 2 / 11