3. L'illusion Benbitour

3. L'illusion Benbitour

Oui, plus que jamais, les chefs de l’armée restent redevables auprès du peuple algérien d’une rectification majeure et urgente : restituer au peuple algérien le pouvoir dont ils se sont indûment accaparés en 1962, privant l’Algérie d’une véritable indépendance.

Après tout, la lourde méprise de 1999 est la leur. Les chefs de l’armée voulaient duper leur monde, ils se sont dupés eux-mêmes. Ils croyaient avoir affaire à un "un des leurs", un homme au grand talent de communicateur qui saurait plaider leur cause sans être tenté de les trahir en raison, justement, de cette relation intime qui en faisait un filleul de l’armée. Ils croyaient juste refaire avec Bouteflika ce que Boumediène et l’état-major avaient fait avec Ben Bella en 1962 : se fabriquer un président parmi la fratrie naturelle. Un militaire civil d’apparence, un civil à l’âme militaire. Un "faux civil" qui disposait du seul pouvoir qu’ils n’avaient pas : le pouvoir des mots.

Ils se trompaient.

Aujourd’hui, le filleul ne veut plus sortir de la maison. "C’est mon bien", assure-t-il. Cela passe non seulement par un empêchement de Bouteflika de postuler un quatrième mandat, mais aussi et surtout par la mise en place d’une pause institutionnelle, le temps de nettoyer les écuries d’Augias et de reconstituer le contexte naturel d’une véritable élection démocratique que le peuple algérien attend depuis cinquante ans.

Toute élection organisée dans les conditions actuelles, sous un État otage des forces prédatrices, reconduirait, pour cinq autres années, corrupteurs et corrompus à la tête du pays. Les présidentielles de 2014 seraient alors les funérailles de l’Algérie.

C’est ce que semblent négliger nos amis Ahmed Benbitour et Sofiane Djilali qui estiment envisageable, dans le contexte politique actuel façonné par Bouteflika, avec ce système politique illégitime hérité du putsch de 1962 contre le GPRA, de renverser la situation en organisant une "élection démocratique" à la seule condition qu’en soit exclu Bouteflika. Il suffit pour cela, nous suggèrent nos deux amis, de s’en remettre au bon sens de l’opinion publique puisque Bouteflika a échoué si lamentablement au cours des trois mandats et que le quatrième promet l’hécatombe.

Dire cela, c’est se méprendre sur la gravité historique de la décision de 1999 et sur l’ampleur des ravages du système Bouteflika qui s’en sont suivis : la situation d’aujourd’hui rappelle, d’ailleurs, tragiquement celle de décembre 1991. Certes, en face, il n’y a pas les militants du FIS. Il y a cependant un adversaire tout aussi redoutable, tout aussi pervers, peut-être plus cruel que l’islamisme : le système Bouteflika soudé autour de la prédation. Il est devenu un bloc uni par la forfaiture. Il possède les trois conditions nécessaires pour remporter une élection sous un système perverti : l’immoralité, l’argent et l’obligation de vaincre.

La banderole du MCA

Sommes-nous condamnés, chers amis, à expérimenter toutes les erreurs sur le dos notre mère ? Nos amis semblent croire en une force supérieure, le peuple ou les services secrets ou les deux à la fois, qui réagiraient devant l’hécatombe.

Ce faisant, ils tombent dans l’émouvant péché des démocrates, celui de vouloir pratiquer la politique sans cynisme. Nos amis Benbitour et Sofiane Djilali, face aux clans, face aux parrains, face à Bouteflika, aux salafistes et aux délinquants, face à Belkhadem, Benyounès, Ghoul, nos deux amis Ahmed Benbitour et Sofiane Djilali paraissent non seulement démunis de ce vice ordinaire en politique mais handicapés par leur patriotisme, si on peut dire les choses comme ça, mésestimant cette principale force qui fait les véritables créatures de pouvoir : l’immoralité. Pourtant l'expérience de 2004 est encore fraîche dans les mémoires et, eux comme Benflis, pour l'avoir subie, devraient revenir du pèlerinage moins dévots qu’ils n’étaient partis. Abdelaziz Belkhadem l'a bien compris. Sous ses dehors puritains, sa barbe de grand dévot et sa gandoura blanche du vendredi, l’ex-chef du FLN est le parfait dirigeant pour cette mafia. Il ne répugne pas à fréquenter ces affairistes troubles qui savent acheter leur carnet d’adresses. Car enfin, chers amis, il est vrai qu'il y a hécatombe nationale, mais elle dérange qui ? Ce fut au prix de l’hécatombe nationale que s’est concrétisée, en toute conscience, la politique antinationale de ses trois derniers mandats. Et c'est pour maintenir la prédation, quitte à aggraver l'hécatombe nationale que le quatrième mandat est déjà l’affaire des forces prédatrices formées par ces milliardaires de l’informel et la pègre pétrolière internationale installés au coeur de l’État.

Quelle place encore réserver à l'intérêt national ? L'hécatombe ? Il faut choisir : l'Algérie ou le clan ; l’emploi ou les milliardaires trabendistes ! L’avenir, les prochaines générations, ou la pègre pétrolière internationale qui avait son homme au sein du gouvernement : Chekib Khelil ! Il y a deux ans à peine, le milliardaire Tliba Bahaeddine, surnommé "L'émir de Qatar d'Annaba" était inconnu du monde politique. Aujourd’hui, il est l’homme fort du FLN, vice-président du groupe parlementaire du parti au pouvoir. Parti du président Bouteflika. Celui qui coopte les futurs chefs d'État. Mais Tliba n'est pas la seule fortune louche à s'approprier des espaces dans les institutions officielles de la république Algérie. D'autres milliardaires de l'import ont investi le parti majoritaire : le richissime Cherif Ould El Hocine, président de la Chambre nationale de l’agriculture, propulsé membre du Comité central avant de se faire élire à l’Assemblée comme député sur la liste du FLN et finir ensuite président de la commission de l’agriculture au Parlement ; le Crésus de Tébessa, Mohamed Djemaï, qui a acheté sa place au Comité central du FLN puis son mandat de député à l'Assemblée nationale où il sera non seulement élu mais propulsé chef de groupe parlementaire du FLN avant que de véhémentes protestations des militants fassent reculer la direction du parti ; le milliardaire de Blida, Ahmed Djellat, le milliardaire d'Adrar, Ali Hamel, le milliardaire de M’sila, Dilmi Abdelatif, sont les autres affairistes fortunés, pour ne citer qu'eux... Le dinar, celui du trabendo surtout, sert à ça, acheter des voix qui en feront les édiles de la nation, le droit de siéger dans les plus hautes instances de l'État, dans les assemblées et probablement au sein même du conseil des ministres. L’argent de l’informel sert à ça : corrompre et pervertir le choix populaire. Inutile pour le citoyen électeur de la désigner ses représentants au sein des instances de l'État. Les nouveaux riches le font à sa place. Pour eux, les élections ne sont qu'un souk où tout se monnaye, la place de député, de maire, de chef de parti ou de ministre. Les choses ont atteint un tel stade de gravité que même la Commission nationale de surveillance des élections locales (Cnisel) vient de reconnaître que les municipales du 29 novembre 2012 – tout comme les législatives de mai 2012 - ont été perverties par "l'argent sale" qui a "influencé lourdement sur le résultat du scrutin".

Mais qui s’en soucie ? Les milliardaire de l’informel et la pègre pétrolière internationale travaillent à ce que rien ne change en Algérie. Surtout pas ce régime qui les préfère aux patrons investisseurs, qui leur aménage des portes cochères pour grignoter leur part de l’excédent financier en multipliant par cinq le volume des importations, qui pompe outrageusement les hydrocarbures. La banderole déployée par les dirigeants du MCA est l’initiative de cet arc prédateur qui prospère, comme dans la bonne vieille Russie de Boris Eltsine, par l'accumulation des capitaux non déclarés, la spéculation, l'absence de transparence, la corruption, le népotisme économique… Les nouveaux riches sont devenus décideurs politiques après avoir prospéré très vite, trop vite, dans l’import et le marché informel, sous le pouvoir de Bouteflika.

Les couteaux sont sortis

L'ennui, chers amis, c’est que l’Algérie se commande aujourd'hui par la bête, pas par l'ange et il faut parfois se mettre dans la peau de la bête pour sauver les rêves de l'ange. Comment prévoyez-vous de remporter la bataille du quatrième mandat quand elle est déjà l'affaire de la mafia de l'import, de la pègre pétrolière mondiale mais aussi de tous les kleptocrates qui se font rattrapper par la justice (italienne, s'entend) et qui misent sur Bouteflika pour s'assurer l'impunité, animés par ce que j’appelle l’obligation de vaincre. Tous ces honorables mafieux ressemblent à ces oligarques russes soudainement enrichis dans l’après Gorbatchev et qu’on a vus saisis de panique à l'idée de perdre leurs positions et, surtout, d'avoir à rendre des comptes, ils chercheraient à maintenir coûte que coûte Boris Eltsine au pouvoir. La peur d'avoir à rendre des comptes ! Voilà ce qui unit Chekib Khelil à Tliba et Amar Ghoul aux dirigeants de la Saipem ! Mais tout cela, vous le savez, cher Benbitour. C’est en parlant d’eux que vous avez dit dans un entretien à El-Khabar (10 décembre) : "La caste qui entoure Bouteflika a tout intérêt qu’il fasse un mandat à vie". L’ancien chef du gouvernement désignait "un groupe de personnes qui profite des largesses du président et de ses cadeaux, mais aussi de l'état de faiblesse du pays, de la corruption, de la mauvaise gestion, du gaspillage, et des immenses programmes d’investissements dont la source principale de financement sont les hydrocarbures. "Ces gens ont tout intérêt que l'actuel président reste au pouvoir pour un quatrième et cinquième mandat, voire y rester à vie". C’est tellement vrai qu’en face, regardez-bien, se dressent déjà les troupes qui aiguisent les couteaux pour la bataille. Ce n'est pas une image, je parle de vrais couteaux.

Tliba Bahaeddine dispose d’hommes de main mafieux et de troupes de voyous prêts à punir les adversaires politiques. Selon une source proche du parti, c’est ce "député" qui a fourni, lors de la réunion du CC le 15 juin dernier, les baltaguias, ces voyous qui ont empêché un bon déroulement de la réunion et permis le maintien de Belkhadem. Au besoin, Tliba Bahaeddine et ses amis savent manier le couteau. Le mouhafadh FLN de Annaba, Mohamed Salah Zitouni, adversaire de Belkhadem et un des chefs de file des redresseurs, et qui s'est retrouvé à l'hôpital pour traumatisme et blessures au visage après une agression à Hydra, en sait quelque chose. Zitouni accuse Tliba Bahaeddine d'être le commanditaire de cet acte de violence qu'il a fait commettre par des voyous d'Annaba. Quant au dinar, c’est pour se faire élire et faire élire. Bouteflika à qui ils doivent tout, Tliba et ses amis travaillent à ce que rien ne change. Surtout pas ce régime qui les préfère aux patrons investisseurs, qui leur aménage des portes cochères pour grignoter leur part de l’excédent financier : entre le premier et le troisième mandat de Bouteflika, dans un marché économiquement dérégulé, où l’on ne produit presque plus rien et où l’on importe presque tout, même de la tomate concentrée en provenance… d’Arabie saoudite, les importations ont presque quintuplé, passant de moins de 10 milliards de dollars en 1999 à plus de 40 milliards de dollars à fin 2009 ! Au cours des 14 années de règne de Bouteflika, le pays a abandonné l'investissement productif et ne vit que par et pour le pétrole. Comment, dans ces conditions, ne pas militer pour un quatrième mandat afin que rien ne change ? Publiquement. Tliba Bahaeddine s’est distingué en fin novembre 2012 en s’offrant une page publicitaire en couleur dans El-Khabar et dans laquelle il exhortait le président Abdelaziz Bouteflika à se présenter pour un quatrième mandat. Une non-réélection de Bouteflika serait une catastrophe sans nom pour eux. La page publicitaire achetée par Tliba dans El-Khabar, appelant Bouteflika à se présenter en 2014 était le signe d’une nouvelle stratégie. Finie la discrétion ! En 1999, ils avaient contribué par le biais de Koudjiti, un proche de Belkheir.

En 2004, alors que les principaux patrons, dont Issad Rebrab, Réda Hamiani ou Omar Ramdane, réunis au sein du Forum des entrepreneurs, tergiversaient longuement (trois réunions successives) avant d'accorder leur "soutien" du bout des lèvres, à Bouteflika, eux donnaient sans compter. On ne voyait pas, en cette année-là, la formidable puissance qu’ils représentaient déjà, en coalition avec la pègre pétrolière mondiale. En 2009, pour le troisième mandat, ils s’étaient faits moins discrets, y allant encore plus franchement. Ce sont eux, les nouveaux milliardaires de l'économie informelle, qui avaient pris en charge la logistique du siège de campagne du candidat Bouteflika. Ils avaient tous payé, le soutien logistique, le transport, le traiteur, le téléphone, les supports de communication, les affiches, les posters, les tee-shirts, les fascicules… Ainsi, la "villa blanche", la compagnie de sécurité privée, les supports médias, les lignes téléphoniques mobiles, le transport et même le site internet officiel (bouteflika2009.com), appartenaient à l’homme d’affaires Rédha K., 36 ans,réputé proche du frère du Président, Saïd et dont le père, Ahmed K., avait fait fortune dans l'importation de ronds à béton dans les années 1990.

Peuple échaudé…

La formulation d’une stratégie électorale suppose la connaissance exacte du terrain de la bataille et une appréciation claire du rapport de forces. Dans l’environnement d’aujourd’hui, après les dégâts politiques, culturels et sociaux du pouvoir de Bouteflika, sur quelles forces comptent nos amis Benbitour et Sofiane Djilali pour arriver à leur fin. Sur l’opinion publique ? Sur le bon sens populaire ? C’est oublier que le peuple sait que sa voix ne sert nullement à désigner les dirigeants dans ce pays et qu’il préfère garder son bon sens pour lui. Il ne vote plus parce qu’il a définitivement compris que dans ce système politique privatisé, nos présidents n’ont jamais été sélectionnés par le verdict populaire mais par un noyau d’initiés, dans le cas de Bouteflika par des services secrets et de quelques places fortes d'Europe, du Golfe arabe et du négoce pétrolier. La dernière fois qu'il a élu "avec enthousiame" un président, c'était en 1995, malgré les mises en garde de l’organisation terroriste, le GIA, qui menaçait de s’en prendre aux citoyens qui se rendraient aux urnes. Mais des esprits supérieurs ont annulé leur choix et fait démissionner le général Liamine Zéroual, pourtant élu massivement, sans leur demander leur avis. La faute historique des généraux de l'époque se mesure aussi au désabusement qu'ils ont, pour longtemps, planté dans le coeur des Algériens.

L'intérêt de la caste militaire avait prévalu sur l'intérêt national. Le malaise de l’Armée qui "ne veut plus être au centre du système politique" l’avait emporté sur le choix populaire. Il aurait fallu tenir compte d'un élan populaire sans précédent depuis l'indépendance, de la vitalité de l’État, ou ce qu'il en restait, qui demeurait debout en dépit de tout, en dépit d'un pétrole à son plus bas niveau, d'un boycott occidental, des caisses vides, et qui n’avait pas capitulé devant l’islamisme comme le recommandait la plateforme de Sant Egidio. Il aurait fallu donner la priorité à une Algérie renaissante qui était en train de se relever, laborieusement mais triomphalement, d’une bataille impitoyable contre le terrorisme islamiste, où la lutte contre l’intégrisme islamiste avait redonné une nouvelle légitimité au combat populaire, une Algérie qui retrouvait goût à la grandeur, qui courtisait la démocratie.

Alors, que faire pour 2014 ? Faut-il, de nouveau, jouer l'Algérie à la roulette russe ?

M. Benchicou

A suivre

Prochain article : Présidentielles ou funérailles ?

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Commentaires (23) | Réagir ?

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Khalida targui

l'Algerie est devenue une illusion, bravo pour 'l'article qui nous a pris toutes nos illusions

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youcef benzatat

(Article censuré). Réponse de Y. Benzatat à M. Benchicou à propos de « l’illusion Benbitour »

Face à l’immoralité outrancière du système de pouvoir, le défi de sa mise à l’épreuve, par la volonté patriotique dépouillée, optimiste et déconcertante d’Ahmed Benbitour, se dresse comme une gêne troublante devant la fatalité de la démission, de l’impuissance et du pessimisme de nos élites.

Oui, le rapport de forces est terriblement inégal, il rappelle par ailleurs de loin, l’autre rapport de force auquel était acculé le peuple algérien pendant la nuit coloniale. Il fallait aller aux urnes et subir l’humiliation de la fraude électorale autant de fois jusqu'à l’épuisement de toute illusion. Il fallait ensuite par la force des choses prendre les armes comme dernier recours possible devant un ennemi étranger à notre Nation, pour restituer notre dignité de peuple libre, par le sacrifice qu’impose le combat inégal, pour l’affirmation de notre existence. Pendant ce temps-là, l’ennemi était une Nation hostile, qui convoitait nos richesses, notre terre et jusqu’à notre identité. Aujourd’hui, nous avons affaire à une méprise, représentée par un système cynique issu de nous-même, qu’il faudra éradiquer. Les conditions qui sont les nôtres aujourd’hui devant cette méprise nous imposent la voie pacifique. Car nous avons tout à préserver, notre sang en premier, puis nos biens matériels et surtout notre plus grand bien : l’acquisition d’une conscience politique collective et l’élévation de notre peuple à la conscience citoyenne pour l’arracher de son aliénation dans le pré politique. Instaurer la démocratie dans un état de droit et permettre au peuple d’acquérir les moyens de les préserver.

Le rapport de force est certes, inégal, tellement les forces de prédation sont puissantes et fortement coalisées contre un peuple démuni de tout. Démuni d’éducation politique, de capacité d’organisation et surtout, démuni d’une élite, démissionnaire ! qui aurait pu l’éclairer et l’encadrer pour son émancipation politique.

Il aurait fallu commencer par identifier l’ennemi et mettre un nom sur son vrai visage. Cet ennemi qu’incarnent ces forces prédatrices, spoliatrices des souverainetés et des moyens d’éveil du peuple pour inhiber sa potentielle résistance à leur hégémonie. Devant le risque du ridicule pour son action de paraître puérile, un homme seul, doué d’intelligence et d’une force tranquille sans pareille osa l’affront. Nommer les responsables de la faillite de l’État en l’identifiant à tout le système de pouvoir : « Je pense que la faillite de l’État depuis l’indépendance est à imputer à tout le système de gouvernance préparé en 1959, et mis en place en 1962... » Benbitour n’a pas mâché ses mots en affirmant cette compromméteuse-vérité. Il n’est pas à son premier affront, car il avait déjà démissionné auparavant pour marquer son désaccord avec le fonctionnement de ce système. Il était resté longtemps au service de l’État certes, mais en lui prêtant son savoir-faire pour sauver ses finances d’une faillite annoncée, dont les répercussions auraient été surtout néfastes pour les plus vulnérables, ces millions d’Algériens exclus du système.

Il s’agit dans cette affaire d’un système structurant et handicapant la société dans son intégralité et non d’un clan qui a pris son essor hégémonique conjoncturellement au détriment d’autres clans qui seraient quant à eux innocents de toute flétrissure morale. L’Algérie est dominée par une dictature militaire et ses forces de sécurité répriment et neutralisent par tous les moyens possibles tous ceux qui s’opposent à son système de pouvoir totalitaire, centralisé et autoritaire à la fois et dont le centre se situe autour de l’état-major de l’armée et des services de sécurité exerçant le pouvoir de façon collégiale. Il n’y a pas en Algérie de clan Bouteflika ou de clan au sein de l’état-major de l’ANP ou du DRS qui s’affrontent. Il peut y avoir des rivalités entre personnes, mais sans remettre en question la structure du système en ses principes et ses finalités. L’Algérie est dominée par l’ANP depuis l’indépendance du pays, qui abrite en son sein la police politique, représenté aujourd’hui par le DRS, comme force de régulation de la société civile, par la coercition et la violence. Elle exerce une autorité absolue sur tous les ordres de l’État et de la société : le gouvernement, l’administration, la religion, la justice, les services de sécurité, l’économie, les finances et tout ce qui représente dans son ensemble l’État et la société. La présidence de Bouteflika ne pourrait exister sans la complicité de l’ANP et de sa force de régulation qu’est le DRS. Bouteflika est comme tous ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’entourent pour le seconder : un fusible interchangeable en cas de défaillance aux attentes du système, même s’il bénéfice, dans son cas particulier, de complicités plus importantes au sein du centre du pouvoir ou de soutiens extérieurs de la part de la pègre internationale du pétrole ! Pour quiconque ira prêcher l’éveil politique du peuple sur la place publique, ce ne sont pas les cercles de prédation qui gravitent autour de Bouteflika qui se chargeront de la répression, mais bel et bien les agents des services du système de pouvoir qui iront assumer cette basse besogne. Le véritable obstacle à la démocratie en Algérie, c’est son armée, qui prend le peuple en otage et qui considère la rente comme un butin de guerre. C’est en homme averti que Benbitour prie la décision de l’affront : « … toutes les élections présidentielles précédentes ont été déterminées par l’intervention de l’armée, apparente en 1965 et en 1979, ou déguisées par la suite. » Benbitour aurait pu bénéficier d’un soutien de cette même armée pour l’inciter à initier le changement, comme un piège tendu à son insu, qui ne serait au bout du compte qu’une illusion que l’on lui a miroité pour gagner du temps et perpétuer le statu quo comme de coutume. Mais son insistance à changer le système n’est pas un slogan et dissipe toutes les suspicions sur son éventuelle compromission dans une quelconque méprise. Son programme défini clairement et sans ambiguïté les termes de la restructuration du noyau sur lequel repose le système: « Nous adopterons une modernisation de l’armée avec la définition d’une doctrine militaire afin de répondre aux nouvelles exigences de sécurité nationale qui mettent en premier lieu les questions de préparation à la vulnérabilité sur les questions de préparation à la guerre classique. Bien entendu, tout ceci dans le cadre d’une stratégie sécuritaire globale. De même qu’une diplomatie de bon voisinage, d’aide et de coopération avec les pays voisins au nord, à l’Ouest, au Sud et à l’Est […] Ce sera la fin du cloisonnement classique entre la défense et la sécurité, dans lequel, la police est chargée de la mission du maintien de l’ordre et l’armée celle du rétablissement de l’ordre […] Nous adopterons une vision stratégique et intégrée entre les cinq dimensions : militaire, diplomatique, économique, culturelle et informationnelle […] Dans ce modèle, l’armée devient une institution qui agit en partenariat avec les autres institutions de la République dans un environnement caractérisé par la transparence et la responsabilisation. » L’armée serait ainsi sous l’autorité du Président pour servir la patrie et non au service de certains de ses chefs, qui s’en servent pour leurs intérêts personnels contre l’intérêt général, comme c’est le cas depuis 1962. La tâche à laquelle Benbitour s’est attelée, ne s’arrête pas seulement au renversement par les urnes du système de prédation qui entoure Bouteflika, son projet est plus ambitieux. Il consiste en une véritable instauration d’un régime démocratique par la réhabilitation de tous les ordres de l’État et de la société.

C’est en pariant sur l’éveil politique du peuple et le retour de l’élite de la démission, qu’il compte atteindre son noble objectif et tant pis pour les fatigués, devrait-il se dire dans sa solitude agitée, celle qui caractérise les grands hommes qui ont changé le cours de l’histoire de leur Nation. Pour qui Antonio Gramsci a légué cet hymne à la liberté : « l’optimisme de la volonté contre le pessimisme de l'intelligence». C’est l’optimisme de la volonté qui semble être l’énergie motrice de l’initiative de Benbitour devant le rapport de force inégal auquel il doit faire face, certainement en reléguant au second plan le souci du poids de l’illusion qui l’accompagne, en murmurant à qui veut l’entendre, que « la gestion de la transition est difficile, parce que, ce sont les rapports de forces qui déterminent la nature du changement… » Car, si nous nous en remettions uniquement à notre intelligence et à notre faculté de jugement, nous ne ferions pas grand-chose dans ce monde, et nous vivrons sans illusions. Nous serons fatalement des réalistes et toute tentative d'entreprendre une action quelconque nous paraîtrait dans beaucoup de cas, à en juger d'une manière rationnelle, vaine, voire une téméraire naïveté. Mais la volonté humaine, elle, défie les lois de la logique, se nourrit de l’espoir et cultive le surpassement de soi. C'est cet "optimisme de la volonté" qui nous permet de vaincre le désespoir et de tenter ce qui, auprès des prudents raisonneurs, quelque chose d’impossible. En fait, "pessimisme de l'intelligence" et " optimisme de la volonté" s'opposent et se complètent l'un et l'autre pour faire naître les grands hommes et faire avancer l'histoire.

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