Le Matin renaîtra, comme une fleur de printemps ! Par Maâmar Farah (Le Soir d'Algérie)

Le Matin renaîtra, comme une fleur de printemps ! Par Maâmar Farah (Le Soir d'Algérie)

C'est à Mohamed Benchicou que je pense aujourd'hui, à sa souffrance physique et morale, à sa solitude dans une geôle sombre et humide, mais aussi à l'immense espoir qu'il a soulevé chez les cadres honnêtes, les citoyens debout et tous les Algériens dignes ! Car Mohamed a été finalement le seul à s'opposer d'une manière franche et directe à ce pouvoir gâteux qui s'en ira en nous laissant une certitude : Le Matin qu'il a tué, renaîtra...

Rappelez-vous ! Et si vous avez oublié, les archives de son journal, abattu à bout portant par les «Destruktors», n'ont pas la mémoire courte ! L'accusation contre BRC, c'est lui ! Les révélations sur Shorafa, Sawiris, c'est lui !
La dénonciation du couple Ben Ali-Trabelsi, au faîte de leur gloire, c'est lui ! L'affaire Chakib Khelil, c'est lui ! L'ancien ministre n'avait pas d'ailleurs hésité à traîner Mohamed en justice alors que ce dernier se trouvait déjà en prison ! S'il y avait une vraie justice dans ce pays, ce n'est pas le journaliste qui aurait été incarcéré mais bel et bien le ministre ! C'est d'ailleurs le même responsable et le clan dont il se prévalait qui ont suspendu Le Matin, vendu aux enchères l'immeuble du journal et mis fin à une belle aventure... On comprend aujourd'hui pourquoi les juges ont été si prompts à le condamner à deux années de prison pour le transport de simples bons de caisse qu'il ramenait justement en Algérie pour tenter de sauver son immeuble de Hussein Dey ! Son domicile n'étant plus situé à Alger mais en France, on aurait pu comprendre qu'il avait emmené ces papiers avec lui et comme ce n'étaient ni de l'argent liquide, ni de l'or ou de la drogue, on pouvait considérer qu'il n'avait aucune intention de nuire ! Nous savions tous que sa condamnation était due au courage qu'il a eu, lui et son équipe, de dénoncer les agissements d'un cercle de prédateurs qui a pris possession des postes-clés pour faire main basse sur les richesses de l'Algérie, s'offrant, aux quatre coins du monde, des biens et des richesses qui feraient pâlir les millionnaires de Forbes ! Cette justice qui a manqué à l'appel du devoir et de la conscience et qui est restée en marge du mouvement d'émancipation des différentes communautés, ne pourra se hisser au niveau de ses responsabilités que le jour où ses propres acteurs décideront de se libérer définitivement de toute tutelle ! C'est à Mohamed Benchicou que je pense aujourd'hui, à sa souffrance physique et morale, à sa solitude dans une geôle sombre et humide, mais aussi à l'immense espoir qu'il a soulevé chez les cadres honnêtes, les citoyens debout et tous les Algériens dignes ! C'est à l'homme qu'on a traité comme un voleur, qu'on a tenté d'abaisser, que je pense ! Je garde intactes, dans ma mémoire, les images et les paroles de ces «bonnes consciences» qui nous répondaient : «Vous êtes des sentimentaux ! Vous ne savez pas ce qu'il a fait, Mohamed ! Il importe de la loubia et vit comme un roi à Paris !» En fait, c'était pour justifier maladroitement leur lâcheté, leur silence, leur renoncement... Nous ne tirons aucune gloriole à rappeler que nous étions parmi les rares confrères à ne pas céder à la pression des puissants du moment, ni à baisser la tête devant leurs menaces et leur arrogance, apportant à Mohamed ce rare réconfort d'un groupe d'amis sincères, fidèles, solidaires, prêts à tout perdre pour la parole donnée, pour les serments tenus jadis dans les arrière-salles enfumées des bistrots de la rue de la Liberté, pour les combats justes, pour les espoirs d'un lendemain meilleur se levant sur tous les enfants d'Algérie, sur les taudis et les fabriques, sur les champs et les oasis, là où les honnêtes travailleurs triment pour nourrir leurs enfants ! Loin des cercles encombrés des nouveaux riches, anciens sans-le-sou bombardés par la rapine, la trahison et la corruption dans les hautes sphères de la jet-set mondiale ! En arrachant le droit de créer enfin nos propres quotidiens, au cours de ce magnifique départ de «l'aventure intellectuelle», nous venions de concrétiser tous ces rêves nés de la frustration et la désillusion qui nous accompagnaient à El Moudjahid. Mais la décennie rouge a tout de suite transformé notre aventure en tentative désespérée de nous accrocher aux derniers pans d'une République vouée aux pires calamités ; aux côtés des autres forces vives et des élites éclairées de notre société, les journalistes ont mis toute leur énergie à repousser le danger fasciste coloré de vert... Au lendemain de la catastrophe, un nouveau pouvoir s'estima l'unique sauveur de la nation alors que les républicains venaient de gagner la bataille décisive — politique — sur l'islamisme et ses organisations armées ! L'islamisme ne représentait plus, en 1998, un danger pour les intérêts fondamentaux de la Nation. Autrement dit, et même s'il pouvait s'avérer encore nuisible, il n'était plus en position de prendre le pouvoir en Algérie. L'arrivée de Bouteflika se fit dans une atmosphère bon enfant : cet ancien et brillant chef de la diplomatie algérienne bénéficiait d'un large mouvement de sympathie. Il donnait l'image d'un président moderne, ouvert sur l'universalité et prêt à propulser l'Algérie dans la galaxie des pays émergents. Mais, dès 1999, et au vu de ses premières prestations, nous nous posions la question de savoir si le candidat Bouteflika ne venait pas de l'ère d'avant Ben Laden (in «Petit format », billet quotidien en page 2 du Soir)... c'est-à-dire de cette époque lointaine où l'islamisme ne se posait pas encore comme une menace militaire. La clémence vis-à-vis des terroristes, le réveil des zaouïas à coups de milliards, l'absence de réformes modernes de l'enseignement, de la justice, de l'administration, etc. dessinaient déjà les contours d'un règne qui réservait le plus décevant aux années suivantes. Le viol de la Constitution et le «bombardement» des ministres coopérants aux postes-clés allaient éloigner l'Algérie des objectifs «nationaux», alors que l'importation tous azimuts, dénoncée pourtant avec virulence par le candidat Bouteflika, menaçait tous les secteurs économiques. L'Algérie s'enfonçait dans le marasme politique, social et culturel. La manne pétrolière allait permettre d'étouffer les quelques jacqueries qui éclataient çà et là. La seule révolte populaire d'envergure, celle de Kabylie, donna lieu à une féroce répression qui se solda par la mort de 127 jeunes. Un argent fou sera mis dans des projets peu rentables sur le plan économique, véritables gouffres financiers qui ont multiplié par dix le nombre des assistés aux quatre coins du pays. A ceux-là, on donnait quelques sous, un magasin par-ci, une camionnette par-là; à d'autres, on ouvrait les portes de la caverne d'Ali Baba. Les milliardaires vont se multiplier. La corruption gangrène tous les secteurs... Les affaires Sonatrach 1 et 2 ne sont qu'une porte ouverte sur des scandales en série qui arrivent en courant. Et quand je pense à Benchicou, je pense aussi à ce règne finissant qui aborde sa dernière courbe avant la ligne droite. Car Mohamed a été finalement le seul à s'opposer d'une manière franche et directe à ce pouvoir gâteux qui s'en ira en nous laissant une certitude : Le Matin qu'il a tué, renaîtra... comme je l'ai écrit au mois de juillet 2005, dans la dédicace de mon livre Les mots du jeudi, tome 2: «Au quotidien Le Matin, Porte-drapeau des sans-espoir Enterré vivant et qui repoussera Comme une fleur de printemps Dans le terreau de nos convictions Sous le soleil éternel de l'Algérie».
M. F.
P. S. : El Presidente vient de mourir. Chavez, l'un des derniers résistants à l'impérialisme et le bâtisseur d'un Venezuela populaire et socialiste, affranchissant les pauvres et les sans-grade, vient de quitter la scène. On dit qu'il fut scandalisé par les «réformes» proposées par Chakib Khelil et qui allaient brader toute notre industrie et nos richesses pétrolières. Il intervint personnellement auprès de Bouteflika pour que la loi scélérate ne passe pas. Ce fut un grand homme ! Adieu, camarade !

Par Maâmar FARAH
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Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/03/07/article.php?sid=146182&cid=8

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Commentaires (12) | Réagir ?

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rabah Benali

Bonjour

Tout est dit dans cet magnifique article à propos de la tragédie Algérienne.

Tragédie qu'on peut qualifier de "Tragédie du siècle".

Dans le noble esprit Mohamed Benchicou ("Ami Moh"), ce papier de Mr Farah est aussi un délice de lecture. Merci !! Mr Farah.

Aussi, mille mercis !! à "Ami Moh" et à toute l'équipe du Matin DZ.

Combattants de l'ombre maintenant ouverte, une fenêtre de liberté.

Fenêtre qui nous permet de crier nos douleurs et d'exprimer notre détresse.

Fenêtre, qui sans l'ombre du moindre doute, ne cessera de s'ouvrir toute grande pour laisser s'engouffrer dans le monde des lumières, l'expression de la jeunesse oprimée d'un pays meurtri par la bestialité et la barbarie des hommes.

Pays de Abane, Ben M'hidi, Krim, Alloula, Lyabes, Mekbel, Djaout, Boucebssi et les milliers de ces anonymes intrépides, nobles et vaillants qui ont payé de leur vie ce fragile souffle de liberté.

Ne les oublions pas. !! Et Maintenons vive et alumée leur flamme. Flamme à transmettre aux générations montantes.

Suggestion à "Ami Moh", à Mr Boualem Sensal et à l'ensemble des combattants de la plume, vertueux éprits de justice et de liberté de penser:

Traduire vos œuvres respectives dans différentes langues vivantes enfoncerait sans le moindre doute, encore plus profondément, le coin que vous avez planté, par vos écrits, dans l'édifice de l'obscutrantisme et de la tyranie. Elle sera une épine insupportable dans les pieds des monstres sanguinaires et incultes du pouvoir d'Alger.

Cette traduction de vos oeuvres ferait connaitre davantage notre tragédie à l'ensemble des peuples de la planète.

Je suis persuadé que très nombreux seront ceux parmi nous vos lecteurs, à être prêts à imaginer un système de collecte de fonds ou toute autre forme de soutien pour cette entreprise. Si l'empêchement était d'ordre matériel. A réfléchir !!

Encore une fois merci !! Mr Farah et mille fois Merci !! "Ami Moh"

Vos lecteurs vous saluent et vous disent bravo l'artiste !!

Rabah Benali

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Khalida targui

ne revons pas mais il est là c'est important pour nous soulager quand une tele matin ?

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