Yennayer à Tripoli Par Arezki Metref

Yennayer à Tripoli Par Arezki Metref

Alors là, je suis tombé de haut, vraiment de haut ! La célébration de Yennayer s’est déroulée, cette année à Tripoli, non pas dans la clandestinité la plus totale comme du temps de Kadhafi, mais dans un stade, carrément dans un stade ! Dans aucun pays ça ne se passe comme ça. Pas dans une cave, ni une salle dérobée, ni un terrain vague à l'abri des regards. Non, un stade ! Un vrai ! Pourrait-on imaginer, par exemple, un Yennayer grandeur nature au stade du 5-Juillet à Alger ? Evidemment non, je crains ! Méga-concert, feux d’artifice, houle de drapeaux ! Et parmi les artistes amazighs de plusieurs pays, notre Takfarinas national ! J'en écarquillais les yeux. Ou plutôt j'en ouvrais grand les oreilles car c'est Ramdane Achab qui racontait son voyage. Il rentrait de Libye où il avait été invité dans le cadre d'un forum organisé entre autres par le Congrès mondial amazigh (CMA), désormais présidé par le charismatique Libyen Fethi N'Khalifa, consacré aux droits constitutionnels de la communauté amazighe de Libye. Pied-de-nez à l'histoire, la conférence s'est tenue au Palais du Congrès général national (CGN) à Tripoli, là où précisément Kadhafi s'était réfugié lors des bombardements de l’OTAN, le site étant sécurisé par la présence de journalistes étrangers. Le palais présentait aussi, semble-t-il, l'avantage d'abriter un passage souterrain dissimulé.

Militant berbère de longue date, linguiste, Ramdane Achab avait dans ses bagages des exemplaires de quelques livres dont il est l'éditeur. Le Dictionnaire de berbère libyen (Ghadamès) de Jacques Lanfry dont il a offert un exemplaire au président de l'Assemblée nationale libyenne. Le «Manuel didactico-pédagogique d'initiation à la langue berbère de Kabylie d'Amirouche Chelli, et Langue berbère : initiation à la notation usuelle en caractère latin dont il est lui-même l'auteur. Tripoli ! Au passage, il convient de rappeler que dans le passé, si on appelait tous les Berbères, des Libyens – d'où l'origine de l'adjectif libyque — c'est parce que la tribu amazighe Lebbou a donné ce générique. L'arasement arabe, puis le long et dur règne de Kadhafi et son zèle dans le déni identitaire ont tenté de gommer cette histoire. En vain, si on en juge par l’éclatant succès de cette manifestation. Le forum auquel étaient conviés Ramdane Achab ainsi que de nombreux Amazighs originaires du monde entier, représentants du mouvement associatif, experts, militants, universitaires, artistes, mais aussi des représentants des missions diplomatiques en Libye (ambassadeurs, consuls), et même un représentant de l’ONU, coïncidait avec la célébration de Yennayer. «Ambiance survoltée», raconte Ramdane Achab, «Je n'ai jamais vu ça ! Ça ressemblait à la Kabylie à la puissance 1 000 dans ses plus beaux jours.» Et il continue : «Drapeaux amazighs partout y compris sur les chars, dans les mains des militaires tous amazighs. » Toute la communication autour du forum, affiches, badges, tee-shirts des hôtesses étaient imprimés en trois langues : tamazight en caractères tifinaghs, arabe et anglais. Les officiels libyens, et il y en avait un paquet, se sont engagés à accorder à tamazight le statut de langue officielle. Le président de l'Assemblée nationale, fondateur du Parti du Front national, en charge de la fonction de chef de l’Etat, Mohammed Youssef el-Megaryef, a commencé son allocution par «Azul fellawen, tanemmirt». Il ne prend pas de détour : il appuie la revendication de tamazight reconnue par la Constitution comme langue officielle.

Les autres officiels n'ont pas été en reste. Il y avait là le ministre des Ressources hydrauliques Alhadi Suleiman Hinshir, la vice-ministre de la Culture Awatef Atashani, le ministre de la Justice Salah Bashir Margani, ce dernier représentant le Premier ministre Ali Zeidan. Mais la grande surprise ce fut l'hymne national exécuté d'abord en tamazight, puis en arabe à l'ouverture de la conférence. Ramdane Achab raconte un moment fort : «Vers la fin de la conférence, une vingtaine de représentants politiques (locaux, nationaux, parlementaires) des 11 régions amazighes de Libye se sont présentés pour lire le communiqué final du forum. Une femme, Sanaa Mansouri, l'a fait en tamazight, et un homme ensuite, Tarik El Atoushi, en arabe. Le texte pose cinq conditions concernant tamazight dans la nouvelle Constitution. Ils disent que si ces conditions ne sont pas satisfaites, non seulement ils ne reconnaîtront pas la Constitution, mais ils ne reconnaîtront pas l'Etat lui-même. La lecture de ce communiqué s'est faite en présence des officiels, président de l'Assemblée nationale, etc.» Parmi les conditions posées, une, certainement inattendue : la reconnaissance par la Constitution du rite ibâdite. On voit bien qu'il y a du changement. Et quel changement ! Du chaos libyen, quelque chose est en train de naître. Ou renaître. Le pays plombé dans sa pulsation historique par le bulldozer arabiste de Kadhafi renaît de ses cendres, et promet même d'être l'épicentre d'une renaissance de la reconnaissance berbère. Toutes les personnes qui ont assisté à ce Yennayer à Tripoli en sont revenues persuadées.

Par Arezki Metref

LE DEBAT AUTOUR DE CETTE CHRONIQUE :

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Commentaires (2) | Réagir ?

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koceila ramdani

c'est le rêve de tout un amazigh censé que de vouloir réunifier le nord de l’Afrique, et que tout redevienne comme au temps de nos ancêtre, mais le chemin est long, même très long, et semé d’embûches, c'est une entreprise colossale, mais faisable, mais en attendant si nous redevenions comme au temps de nos parents, c'est à dire frères et soeurs, et que nous travaillons nos régions respectives afin de donner un certains exemple à ceux qui ne veulent justement pas qu'on s'en sortent, il y a tellement à faire dans nos région que cela occupera peut être au moins deux ou trois génération, mais sans couper toute tentative d'entreprise avec nos frères amazighs de toute la NUMIDIE, et de l’étranger?

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maissinissa ougaroudj

Azul cela fait plaisir c est le retour à l origine partout dans le Maghreb, ça sera bientôt en algerie soit disant arabe, tamazighte est la longue de tout les maghrébins.....