Tunisie : après l'assassinat de Chokri, Djabali pour un gouvernement d'union nationale

Hamadi Djabali dissous le gouvernement tunisien
Hamadi Djabali dissous le gouvernement tunisien

L'assassinat d'un dirigeant de l'opposition laïque a provoqué de vives tensions mercredi en Tunisie, où des bureaux du parti islamiste Ennahda, qui dirige la coalition gouvernementale, ont été attaqués et incendiés par des manifestants.

En début de soirée, le Premier ministre, Hamadi Jebali, s'est adressé à la nation pour annoncer sa décision de former un gouvernement d'union nationale composé de technocrates. "Après l'échec des négociations entre les partis sur un remaniement gouvernemental, j'ai décidé de former une petite équipe de technocrates", a-t-il dit en précisant que ses membres n'auraient pas le droit de se présenter aux élections.

Ces dernières, a-t-il souligné, auront lieu le plus rapidement possible. A la suite de la mort de Chokri Belaïd, l'opposition a appelé à une grève générale jeudi, jour des obsèques du défunt, et suspendu sa participation à l'Assemblée constituante. Belaïd, un avocat de 49 ans, était le secrétaire général du Mouvement des patriotes démocrates, membre du Front populaire, une coalition d'opposition qui regroupe une douzaine de formations. Blessé de quatre balles devant chez lui par un homme qui a pris la fuite à moto avec un complice, il a succombé à ses blessures à l'hôpital.

"Chokri Belaïd a été assassiné aujourd'hui devant son domicile, de quatre balles tirées dans la tête et dans la poitrine", a précisé Ziad Lakhder, l'un des responsables du Front populaire. Le chef de file d'Ennahda, Rached Ghannouchi, a affirmé à Reuters que son parti était totalement étranger à cet assassinat. La nouvelle de la mort de Belaïd a provoqué de violentes manifestations à travers le pays. La police est intervenue pour disperser à coups de gaz lacrymogène les manifestants rassemblés devant le ministère de l'Intérieur à Tunis. Des manifestations ont aussi eu lieu à Sidi Bouzid, dans le centre du pays, berceau de la "révolution de jasmin" qui a chassé du pouvoir le président Zine ben Ali en janvier 2011, coup d'envoi du "printemps arabe". La police est également intervenue.

"Tentative de destabilisation"

Selon des témoins, les bureaux d'Ennahda ont été incendiés à Sousse, Monastir, Mahdia et Sfax. "Le parti Ennahda est totalement innocent de l'assassinat de Belaïd", a martelé le chef du parti islamiste. "Les seuls à qui profite cet assassinat, ce sont les ennemis de la révolution." "La Tunisie connaît aujourd'hui l'impasse politique la plus grave depuis la révolution. Nous devons garder notre calme et ne pas nous laisser entraîner dans une spirale de violence. Plus que jamais, il faut que nous restions unis", a ajouté Rached Ghannouchi.

Le chef de l'Etat tunisien, le président Moncef Marzouki, a écourté une visite qu'il effectuait au Parlement européen à Strasbourg et annulé sa participation au sommet de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) jeudi au Caire. "Il y a une tentative de déstabilisation de mon pays", a dit Marzouki, lui-même fondateur du Congrès pour la République, une formation de la gauche laïque qui participe au gouvernement. "Cet odieux assassinat n'a pas d'autre objectif que d'opposer la composante laïque à la composante musulmane de la société pour susciter le chaos", a-t-il ajouté. Il s'est refusé à incriminer Ennahda, laissant entendre que le crime pouvait servir ceux qu'il a appelé les salafistes djihadistes ou les partisans de l'ancien régime du président Ben Ali.

Le Premier ministre, membre d'Ennahda, a condamné un "assassinat politique" et un coup porté à la révolution tunisienne. "Le meurtre de Belaïd est un assassinat politique et l'assassinat de la révolution tunisienne. En le tuant, ils ont voulu le faire taire", a-t-il dit.

A Paris, François Hollande a condamné l'assassinat "avec la plus grande fermeté". "Chokri Belaïd s'est engagé tout au long de sa vie publique dans les combats pour la liberté, la tolérance et le respect des droits de l'homme avec cette conviction profondément enracinée en lui que le dialogue et la démocratie doivent être au coeur de la nouvelle Tunisie", a déclaré la présidence française. "La France est préoccupée par la montée des violences politiques en Tunisie et appelle au respect des idéaux portés par le peuple tunisien lors de sa révolution", conclut le communiqué.

Navi Pillay, Haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l'homme, s'est dite "extrêmement attristée par la nouvelle choquante du meurtre de M. Belaïd". "M. Belaïd était un grand défenseur des droits de l'homme et des valeurs démocratiques, et un farouche adversaire de la violence politique (...)", a-t-elle dit, en condamnant les actes qui "menacent de porter gravement atteinte à la transition démocratique dans la Tunisie postrévolutionnaire".

C'est la Tunisie qui avait donné durant l'hiver 2010-2011 le signal des soulèvements dans le monde arabe. Ennahda a remporté 42% des sièges au Parlement lors des élections d'octobre 2011 et a formé un gouvernement de coalition avec deux formations laïques, le Congrès pour la République de Moncef Marzouki et le parti Ettakatol. Les difficultés économiques ont provoqué ces derniers mois des manifestations parfois violentes et le gouvernement a accusé des militants liés à Al Qaïda de stocker des armes dans le pays en vue d'y instaurer par la force un Etat islamiste.

Avec Reuters

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