Algérie : malbouffe, incompétence et corruption

"Nous sommes ce que nous mangeons."
"Nous sommes ce que nous mangeons."

"La destinée des nations dépend de la façon dont elles se nourrissent." (1)

Il était une fois, l’Algérie "grenier de Rome" puis exportatrice de fruits et légumes et un demi-siècle après s’être libérée de tout colonialisme, la terre ne nourrit plus personne. A défaut d’avaler directement son pétrole, elle s’en sert pour financer sa malbouffe. Une alimentation bas de gamme ajoutée à une spécificité locale et c’est la totale : des maladies "civilisatrices" greffées aux maladies ancestrales transmissibles. Bienvenue à la typhoïde et le diabète, le cancer et le cholera, l’obésité et la tuberculose, la méningite et cholestérol etc. La peste s’est rappelée à notre bon souvenir à Oran il y a quelques années, et aux dernières nouvelles c’est le paludisme qui s’invite à son tour à la fiesta. Même la Méditerranée nous boude, polluée avant d’être exploitée, la radine nous cède ses sardines congelées recongelées, grâce à la baraka Sonelgaz, à pas moins de 400 dinars le kilo. Avant l’introduction de la bouffe américaine avec Macdonald et Compagnie, le cancer était pratiquement inexistant au Japon. Mais en Algérie si on ne veut pas être "mal-nourri" on est "pas-nourri" du tout : le poison ou la famine.

En 2005, une étude nationale (2) a révélé que la consommation alimentaire quotidienne des Algériens ne respecte pas les recommandations internationales pour tous les groupes d’aliments : pour les fruits elle est trop faible (0,6 fruit/jour au lieu des 2 recommandés) les légumes (0,8 au lieu des 3 recommandés), faible aussi pour les laitages, les protéines animales et végétales (1,15 contre 2 recommandées). Par contre, les produits gras et sucrés sont très élevés (2,7/ jour contre 1 recommandé) les céréales (3,8 contre 3). La situation est tellement grave qu’elle suscite la grogne des mandataires (3) et le réveil des députés (4). D’après le représentant des premiers, 20% des produits qui rentrent aux marchés de gros sont jetés en raison du circuit de distribution défectueux. Il dénonce l’absence de contrôle de qualité à tous les niveaux ; la tricherie en parlant de la longueur de la tige de l’artichaut jusqu’à 20cm, une pratique courante malsaine. Il précise que par manque de concurrence la marge bénéficiaire du marché de détail va de 100% à 200%. Il suggère qu’il faut au moins 4 espaces par commune et la marge bénéficiaire doit varier de 30 à 40% pas plus. Quant à l’OAIC (office algérien interprofessionnel des céréales) qui importe 60% de nos besoins, il a semé la panique à l’APN, commission agriculture : "L’attaque terroriste du complexe gazier de Tiguentourine nous a fait vraiment peur…Vous imaginez les conséquences que ça pourrait avoir sur une économie nationale qui se base essentiellement sur la manne énergétique pour nourrir le peuple ?" Des élus sudistes dénoncent des semences inadaptées au climat au sol saharien, des nappes d’eau souterraines inexploitées en plus de la menace du gaz de schiste ; d’autres de l’Est parlent du déficit de stockage des cérébrales au point de réquisitionner des écoles des salles de sport au risque de détériorer une bonne partie de la marchandise et ceux de l’Ouest s’interrogent sur les dimensions réduites des surfaces exploitées… En un mot, une mélasse d’incompétence de bêtise et de corruption.

Quelle commune peut se vanter de quatre marchés de détail avec des bénéfices à 50% maximum ? On voit mal les responsables locaux se réveiller le matin avec l’idée saugrenue de se soucier de l’estomac de leurs électeurs et fluidifier les réseaux de distribution, planifier des centres de stockage , veiller au contrôle de la qualité et des prix alors qu’ils n’arrivent même pas à gérer le nombre de poubelles, le cauchemar de la circulation et la sécurité tout court. N’importe quelle mère de famille analphabète pas trop intelligente sait qu’il faut laver l’assiette avant de la remplir, débarrasser la table avant de la déposer dessus… Si d’après la FAO, le ¼ des fruits et légumes pourrissent pour une bonne partie avant d’arriver chez le détaillant, il y a ceux qui ne pourrissent pas, ceux du made in ailleurs bien relookés dans des usines chimiques loin de nos yeux afin de supporter le voyage en bateau et d’égayer nos tristes étals.

Prenons l’exemple du légume-star, la tomate, c’est la plus grande consommatrice de fongicides (5), produits phytosanitaires tueurs de tous les champignons. Cueillie verte, elle est trempée dans un bain de chlore saturée de gaz d’éthylène, bien que nature ce dernier à fortes doses ressuscite (idiotement) certains champignons. Enfin on la paraffine pour qu’elle garde sa brillance avec des cires, des toxines dérivées en général du pétrole dénoncées par de nombreux chercheurs. Sans parler de la fameuse serre où les morceaux de plastique abandonnés libèrent leur chimie au pied de la plante. Cette "merde" liftée à outrance ne se trouve pas seulement chez le vendeur des "produits-luxe" mais aussi dans le ketchup les conserves les sauces pour pizza, etc. Et pour cause, la conserverie nationale de tomates ne suffit pas. L’année 1996 a été le "concentré de pratiques maffieuses", (6) pourrissement de la tomate industrielle à Annaba, 1,2 milliard de dinars partis en fumée et moult pénuries provoquées par certains spéculateurs pour servir des intérêts occultes d’après l’inspecteur régional des enquêtes économiques et de la répression des fraudes d’Annaba. 16 ans plus tard, question tomate, l’Algérie est de plus en plus dépendante de l’industrie agroalimentaire internationale. Idem pour le lait en poudre, nous sommes les premiers importateurs au monde et pourtant nous avons rêvé dans les années 90 de vaches laitières aux mamelles gonflées paissant zen dans nos champs. Plus d’une génération plus tard, on bouffe de la poudre lactée à chaque bouchée : lait yaourt fromages crème gâteaux glaces bonbons etc.

Comme la tomate, le bisness veille à nos toxines. Avant, une vache pouvait vivre 20 ans, aujourd’hui après 5ans, elle est dans nos assiettes dopée d’hormones et d’antibiotiques pour multiplier son apport de lait. Quant à la dinde et le poulet, ils sont dopés aux hormones pour atteindre en un temps express le poids idéal afin de satisfaire tous les fast-foods qui pullulent aussi vite que nos mouches et moustiques. Déséquilibrées les animaux n’arrivent pas à suivre l’infernale cadence et là, on n’hésite pas à faire de l’insémination artificielle(7). Que dire de la floraison de sodas qui ne connait aucune pénurie avec leurs colorants cancérigènes et leur sirop de glucose-fructose, le fameux HFCS, présent dans tous les aliments contenant un édulcorant, soupçonné d’être la première cause de l’obésité. D’après une expérience de l’Institut allemand de la nutrition humaine faite sur des souris qui l’avaient consommé, les chercheurs ont conclu à une augmentation de la masse graisseuse et plus inquiétant un début de stéatose hépatique, une accumulation de lipides dans le foie. En résumé, les consommateurs du glucose-fructose ont la même pathologie que les oies gavées qui donnent le foie gras… En France, on estime que la malbouffe provoque 3 fois plus de morts que le tabac et 50 fois plus d’accidents de la route(8).

D’après l’économiste de la FAO, Josef Schmidhuber, l’alimentation en Algérie est devenue responsable de nos principaux problèmes de santé. L’obésité gagne du terrain surtout chez les femmes. La malbouffe est liée à la pauvreté, plus le produit est « empoisonné » plus son prix est bas. On mange mal dans un environnement pollué ajouté au stress aux embouteillages à la mal-vie à l’absence d’espaces verts de distraction et c’est le cocktail explosif assuré. Le cancer du sein est la première cause de mortalité des femmes de plus en plus jeunes, une particularité dans le monde arabe, d’après l’Amaac (Arab Medical Association Against Cancer). A l’occasion du dernier congrès tenu en décembre dernier en Algérie, son secrétaire général a affirmé que chez nous "le cancer signifie automatiquement la mort aucune chance de vie". Une enquête a démontré que plus du tiers des Algériens sont hypertendus, la cause, une alimentation hypercalorifique. On sait aussi que des aliments riches en graisse saturée augmentent de 48% les risques de dépression selon une étude espagnole faite en 2011. Or ces graisses saturées sont omniprésents dans notre alimentation : huile margarine biscuits chips gâteaux etc. Pour l’OMS, 53% des Algériennes sont obeses, plus d’une sur deux. Et pour cause, les pays pétroliers sont les premiers importateurs d’aliments dans le monde. Des aliments rapides et pas chers. "On est passé de la malnutrition à une surnutrition de mauvaise qualité." Avant la libération économique, précise l’économiste de la FAO, l’Algérie avait fait des choix en matière de santé qu’elle a abandonnés aujourd’hui.

Quand on sait que le passage de l’économie socialiste à celle du marché s’est fait avec les mêmes décideurs qui ont failli, on comprend que la destruction de l’agriculture nationale était programmée pour enrichir les uns et détruire la santé des autres par tous les moyens. D’après la presse, l’importation des voitures a fait un saut de prés de 50% et de 951% pour les Moudjahidne pour l’année 2012 alors que le réseau routier est resté quasiment bloqué depuis l’époque coloniale, on est sûr que notre oxygène sera bien gavé en émanations cancérigènes. On le sait aujourd’hui, la mauvaise alimentation va jusqu'à modifier le cerveau, certaines substances comme l’Aspartame présente aussi dans nos médicaments est soupçonnée d’attaquer l’ADN. De plus en plus, les gouvernements conscients du danger de la malbouffe sensibilisent leurs citoyens et durcissent leur législature afin de freiner l’appétit des patrons de l’agroalimentaire.

On ne néglige ni le contenant ni le contenu et à défaut d’interdire on informe on veille aux pubs mensongères on laisse libre la création d’associations de protection du consommateur on va jusqu’à financer des études indépendantes pour dénoncer les dérives. Face au néant, la populace algérienne n’a le choix qu’entre la malbouffe et crever de faim. Comme elle n’a pas d’autre choix que la friperie occidentale et la camelote chinoise si elle ne veut pas se retrouver à ses risques et périls en tenue d’Eve et d’Adam. Dans son livre La Liste noire de la Malbouffe, le docteur Laurent Chevalier écrit : "Notre alimentation n’est plus adaptée à nos gènes. Non seulement on y a ajouté des substances chimiques mais on l’a bourrée de mauvais gras pas cher à produire, hyper calorifique comme l’huile de palme. Et surtout de sucre et de sel…Je suis sidéré que l’on n’avertit pas les femmes enceintes des risques liés aux substances chimiques de notre alimentation." Il estime que 80% de nos aliments sont industriels et les autres, plus nature, trop agressés par la chimie. Une étude menée entre 2006 et 2007 sur la population française allemande et américaine a révélé que dans le sang des Français se trouvaient trois fois plus de pesticides que chez les deux autres.

Les paysans français sont généralement instruits, expérimentés, connectés et surtout organisés comparés aux nôtres, inconnus des statistiques, marginalisés, Dieu seul sait comment ils se débrouillent avec leurs produits toxiques et combien de pesticides circulent dans notre sang. "Nous sommes ce que nous mangeons." Un simple métal a causé la chute de l’empire romain, du plomb revêtait l’intérieur des jarres remplies de vin de la classe dirigeante. Aujourd’hui on sait que le plomb affecte le cerveau les muscles et les nerfs (9) Face à ce je-m’en-foutisme des pouvoirs publics, l’espoir de ce côté-là est à l’image d’un cercle vicieux qui se serait cadenassé après avoir avalé la clé. Combattre la malbouffe ne nécessite pas un prix Nobel compte tenu de nos traditions culinaires de notre immense pays et de la rente pétrolière si la volonté de survivre et de préserver la santé de nos enfants y est. Quand les plus fortunés, les moins touchés par la malbouffe comme les députés et les commerçants du gros commencent à s’inquiéter c’est que la ligne rouge a déjà été franchie depuis belle lurette…

Mimi Massiva

(1) Anthelme Brillat-Savarin (Physiologie du Goût)

(2) Enquête Nationale Santé 2005 (ENS 2005 Tahina)

(3) El Watan (19/01/2013)

(4) Le Soir d’Algérie (21/01/2013)

(5) William Reymond (Toxic)

(6) Djillali Hadjadj (Corruption et Democratie en Algerie)

(7) El Watan 3/1/1996

(8) Le Point 19/03/2009

(9) Docteur Gilfillan

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Commentaires (7) | Réagir ?

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Ghanou Bedjguelel

un jeune algérien dépense 100 da par jour d'unitées pour combler son afectivité, soit 3000 da par mois. ces toirs mille dinards peuvent bien servivre à combler toute sa famille en terme de senté de de l'assiète. imeginez un maison de 3 demoiselles et 4 bonne hommes qui flinguent ces 3000 balles dans une vie virtuelle pas trop prométeuse !!

ce que je veux dire, avant de parler pourquoi, faudrais penser au comment des choses.

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Ghanou Bedjguelel

un jeune algérien dépense 100 da par jour d'unitées pour combler son afectivité, soit 3000 da par mois. ces toirs mille dinards peuvent bien servivre à combler toute sa famille en terme de senté de de l'assiète. imeginez un maison de 3 demoiselles et 4 bonne hommes qui flinguent ces 3000 balles dans une vie virtuelle pas trop prométeuse !!

ce que je veux dire, avant de parler pourquoi, faudrais penser au comment des choses.

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