Une discussion entre «eux»

Une discussion entre «eux»

Le premier : moi je soutiens Bouteflika et il me soutient sans le savoir ni me connaître.

Le second : moi je l'ai soutenu même avant la mort de Boumediène.

Le premier: moi, je suis pour un troisième mandat.

Le second : moi, c'est mieux: je suis déjà pour le quatrième et pour le cinquième.

Le premier : moi, je suis sûr que le peuple va voter à 100 % pour la révision de la Constitution.

Le second: moi je suis sûr qu'on n'a même pas besoin d'un référendum : les deux Chambres suffisent.

Le premier : moi, je dis qu'on n'a même pas besoin des députés pour le faire. Un décret suffit.

Le second : moi je dis que Bouteflika n'a besoin de consulter personne. Pas même moi qui suis pour.

Le premier : moi je pense qu'avec le prix Nobel, il n'a pas besoin de l'Algérie, c'est elle qui a besoin de lui.

Le second : moi, je donne déjà ma voix à Bouteflika.

Le premier : moi, je lui donne ma veste et la tienne quand tu iras au bain.

Le second: moi, je pense que sans Bouteflika, le peuple sera perdu.

Le premier : moi, je dis que sans Bouteflika, il ne pleuvra jamais plus.

Le second : moi, je pense que sans Bouteflika, le ciel pleuvra pour rien.

Le premier : moi, quand je regarde trop Bouteflika, je deviens aveugle.

Le second : moi, quand je le regarde trop longtemps, je deviens une femme amoureuse.

Le premier : moi, je dis que ce peuple ne mérite pas cet homme.

Le second : moi, je répète que ce peuple n'a même pas le droit d'habiter avec nous et Bouteflika ici, chez nous, entre nous et nous.

Le premier : est-ce que tu vois quelqu'un d'autre dans ce pays pour sauver ce pays ?

Le second : pas même toi, mis à part moi et lui. Je ne vois que ce que voit l'ENTV.

Le premier : est-ce que tu vois quelqu'un d'autre qui a fait pour ce pays ce que lui a fait avec ce pays ?

Le second : personne. Sans lui, le ciel perd ses couleurs. Désert des champs, jardins sans fleurs. Ne t'en vas pas où fuis le feu, quand la paille à peine défaille, qu'elle soit cendre pour qu'il s'en aille.

Le premier : ce n'est pas de toi, c'est d'Aragon.

Le second : même Aragon a voté Bouteflika.

Le premier : que ferons-nous lorsqu'il mourra ?

Le second : nous mourrons à sa place et d'ailleurs, il est mort pendant vingt ans et il est quand même revenu.

Le premier : oui, il rassemble tout le monde.

Le second : oui. Et nous encore plus que les autres.

Le premier : oui, mais il y a des gens qui sont contre.

Le second : ils sont contre eux-mêmes. Personne n'est jamais contre un bon repas.

Le premier : nous allons gagner à la fin.

Le second : nous avons déjà gagné au début.

Le premier : moi, encore plus que toi.

Le second : pourquoi ?

Le premier : parce que je l'ai dit avant toi. Parce que je suis le premier et tu es le second.

Par Kamel Daoud (Quotidien d'Oran)

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Commentaires (4) | Réagir ?

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farouk bouguendoura

très réaliste et très près de la réalité. j'ai eu l'occasion d'entendre des trucs à peu près comme çà... mais dans la réalité

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khelaf hellal

C'est un dialogue des Muppets-show dans un bled de 70% de jeunes auxquels on demande de faire les hittistes "en attendant Godot". Des jeunes qui s'ennuient et qui ont en marre des discours obséquieux et empreints d'une forte religiosité ou on leur parle de l'existence de la mort et de l'au-delà alors qu'ils viennent juste de sortir de la coquille. Je comprends qu'ils préfèrent ainsi aller se jeter en Méditerrannée à la conquête de la vie et d'un hypothétique Paradis que d'attendre Godot pour les sauver.

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