Radia s'en va en...terre

Hommage posthume au professeur Radia Mokhtari (décédée le 22 février 2008)

Quarante années d’une vie active, impétueuse, d’une rectitude morale professionnelle de samaritaine, se sont achevées pour Radia, le médecin du travail, l'un des tout premiers professeurs avec un «e» dans cette discipline si masculine, en ce vendredi 22 février, dans des conditions que ni elle, ni sa famille et encore moins ses nombreux amis, n’ont imaginées. Depuis plus de deux ans, nous le savions, Radia-Fadéla menait un combat bien inégal, contre une maladie implacable, qui a fini par avoir raison, une première fois de sa science, une seconde et dernière fois de son énergie et de son immense courage.

N'eut été ce vigilant gendarme de Palavas les Flots, qui découvrit et éventa le terrible et solitaire round que tu livrais dans le secret d'une brume matinale au mal qui avait déjà installé ses quartiers dans ton corps pourtant si robuste, tu aurais pu mener tout ton monde en bateau, en faisant croire à tous, que tu n'étais pas malade. Ce que tu fis d'ailleurs jusqu'à la dernière minute, avec un art de la dissimulation empruntant des chemins et des accents de dignité, assez rares de nos jours. Nooormal ! comme disent nos jeunes d'aujourd'hui, tu étais une scientifique et tu as, ta vie durant, pensé que la science du début de ce troisième millénaire, pouvait, à elle seule, suffire pour conjurer le mauvais sort qui fut le tien, depuis que tu abandonnas, contrainte et forcée par la bête immonde, le service de médecine du travail du secteur sanitaire d'El Harrach, ta fierté, dont tu étais l'infatigable bâtisseuse. Puis vinrent les durs et escarpés chemins de l'exil. Ton seul viatique : l'Algérie au cœur et un unique talisman, ta petite fille à laquelle tu donnas d'ailleurs un nom qui résume aujourd'hui le sens de tous tes combats : Houria Nidhal. Tunis était trop petite pour ton «nif» d'algérienne bien porté, Marseille trop raciste, Perpignan trop bourgeoise, Palavas une station de vacances, toi qui n'en pris jamais de véritables ! Partout, tu étouffais. Il te manquait tout simplement la grande et spacieuse Algérie, ton Algérie à toi… la nôtre à tous, celle de la génération de l'indépendance qui a temps rêvé… d'un grand pays devenu si étroit, si dangereux, un pays subitement déserté par la raison !

• L'Algérie de la zaouia de ton illustre grand-père Cheikh El Mokhtar qui donna à l'insurrection des Zaâtcha dans les vastes contrées du Sud, le souffle que lui conféra au Nord le Cheikh Aheddad, tous deux figures emblématiques de la Rahmania, du temps où les zaouia étaient dans la résistance.

• L'Algérie de Boumediène, qui t'offrit un jour une pomme au cours d'une réception avec les étudiants en te décernant le titre tant envié à l'époque de moudjahida du «djihad el akbar», celui de l'édification nationale. Quand en plaisantant, notre autre regretté Toufik te taquinait en te disant que la pomme était peut-être empoisonnée, tu répliquais imperturbable : tant pis, c'est la pomme du berger à la bergère ! Vrai ! C'était la révolution agraire avec les naïfs bergers que nous fûmes et surtout ses insatiables loups !

• L'Algérie de la générosité qui avait le goût des «m’hadjeb » géants que faisait Kheddoudj dans les camps de volontariat de Khemis-El- Khechna et d'ailleurs, pour démultiplier la population des «nouveaux» bergers au détriment de celle des loups,anciens et nouveaux ! Aujourd'hui, il ne reste de cette époque que le goût de la farce… des m’hadjeb !

• L'Algérie des mineurs de l'Ouenza, qui t'accompagnèrent dans ton intrépide expédition dans les entrailles de leur mine, le jour où tu transgressas allègrement les normes si strictes des organisations internationales en vigueur interdisant aux femmes, même médecins du travail, de descendre au-delà d'une certaine profondeur. A la sortie de la mine, les travailleurs fiers du seul médecin, de surcroît femme, qui consentit à descendre avec eux dans leur «enfer», te décernèrent le trophée dont tu étais la plus fière : Ils t'appelèrent «Si-Mokhtari». Tu avouais sans fausse modestie, que ce jour-là, tu eus l'illustre privilège de visiter le cœur de l'Algérie, au sens propre et figuré, celui des seuls travailleurs qui enrichissent chaque jour leur pays, de l'exportation hors hydrocarbures, du fruit de leur sueur et noble labeur et qui meurent aujourd'hui encore de maladies dites «orphelines» ! Sacrée Radia ! Ton optimisme confinant à une apparente naïveté nous manquera à toutes et à tous, comme nous manquera surtout ton entêtement à aller «au-delà des frontières du possible, du permis», ta fétiche et quelque peu candide définition de la liberté. Un enthousiasme débordant, qui érigeait souvent l'impatience en ruse de guerre contre la bêtise humaine, ses préjugés, ses féodalismes de toutes sortes. L'amphi de la fac de médecine résonnera encore longtemps des accents si sincères de tes envolées lyriques pour défendre tes convictions, qui ont résisté à l'érosion du temps… qui passe. Dans le monde si fermé et plutôt conservateur de la médecine de l'époque, des témoins de tes «prêches» avant-gardistes, avouent, aujourd'hui, que le seul fait de pouvoir prendre la parole dans un arabe enrobé de citations d'El Moutanabi ou de Mahmoud Darwich, était en soi révolutionnaire Radia ! Ton frère Azziouez, peut bien cultiver le souvenir «d'avoir eu l'illusion d'avoir été» le temps d'une émission télévisée de grande écoute de 1989, le Madjer du journalisme. Tu étais la seule à pouvoir le «corriger», à rattraper ses points virgules de Président du mouvement des Journalistes algériens, en lui administrant de savoureux «petits ponts» et refroidissant ses analyses par trop grandiloquentes. Il t'est d'ailleurs redevable ainsi que tes dix autres frères et sœurs, du rôle de bras droit de Kheddoudj, dont tu t'es acquitté avec brio, depuis que tu pris le relais économique de Sidi, ton père, cloué dans son lit par la maladie durant plus de vingt ans… Un dernier mot, Radia : Kheddoudj est partie avant toi. Tant mieux, serions nous tentés de dire. Elle n'aurait pas survécu à ta disparition à… 59 ans. C'était il y a un peu plus d'un an. Tu la rejoins aujourd'hui… Tu iras en terre... à ses côtés, comme toujours ! De Radia l'éternelle «s'enva- en- guerre» contre toutes nos persistantes turpitudes,flétrissures et indignités multiples d'ici bas, il ne restera que celle qui ira… en terre aujourd'hui… au cœur de la terre d'Algérie… la veille d'un 8 mars, la seule fête que tu célébrais.
Adieu Radia-Fadéla… adieu belle sœur….
Mission accomplie !

M'hand Kasmi

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Commentaires (2) | Réagir ?

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AL

Bonjour

mes excuses pour ce geste qui risque de remuer les plaies..

cela fait deux années.. et je ne l'ai jamais su.. radia ! ah radia! je sui très triste.. pour une raison trè ssimple... le portrait correspond parfaitement à radia. oui elle avait tout et debout jusqu'au bout.

mais le problème !! j'ai appelé appelé maintes fois sur ton tél. portable.. cela ne répondait pas.. palavas rien, marseille chez ses parents ! rien.. alors je m'étais dit qu'elle avait sans doute changer de lieu, de région aussi de tél. laissons le temsp faire les choses.

et aujourd'hui aussi je m'entêtais à rechercher ses coordonnées.. lorsque je tombe sur cette nouvelle

mon Dieu qu'elle repose en pais

sa fille aussi courageuse elle si elle me lit : mes condoléances, tiens bon tu arriveras en chirurgie..

mes sincères amités

kamel

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belka stamb

je ne la connais pas allah irrehemha d abord et bon de dieu comme ce genre de personnage nous manque aujourd hui dans ce pays comme vous l avez bien dis devenu tres dangereux, et que la raison a deserté encore une fois dieu ait son ame et courage a sa famille.